25 Août 2015
Pour la gauche de pouvoir, pour la gauche des grandes villes, pour la gauche bourgeoise - souvent la même gauche sous trois appellations - l'angélisme et le déni des réalités furent un malheur puisque les classes populaires s'en allèrent par millions rejoindre les rangs électoraux de l'extrême-droite et du Front National. Insécurité – immigration – troubles identitaires: tout cela ne méritait décidément pas d'être pris en compte, ce n'était qu’inventions et perversités de la droite réactionnaire, répressive, peut-être même factieuse, s'éloignant en tout cas des valeurs de la République.
Jean-Pierre Chevènement, Pierre Joxe ou encore Manuel Valls eurent beau dénoncer ce laxisme dévastateur, jamais ils ne furent réellement entendus. Aujourd'hui encore, au sein même du gouvernement et de la majorité, la gauche Taubira-Duflot n'a pas renoncé à se faire entendre et c'est d'ailleurs une nécessité démocratique. Cet autisme trentenaire n'autorise pourtant pas les socialistes à balancer leurs valeurs par-dessus bord.
Qui a dit, au lendemain de l'attentat manqué contre le Thalys :"Chaque fois qu'on parle de fouilles aléatoires, quelqu'un dit ça risque d'être discriminatoire. Moi je préfère qu'on discrimine effectivement pour être efficaces plutôt que de rester spectateurs". Oui, qui a osé proférer de telles insanités, justifiant ces contrôles au faciès qui, jour après jour, pourrissent l'existence de si nombreux Français, de tant d'immigrés en situation régulière? Nicolas Sarkozy, engagé dans cette infernale course poursuite avec Marine Le Pen? Le député LR (Les Républicains) des Alpes Maritimes, Éric Ciotti, porte-parole (brillant) de la droite de la droite? La délurée Nadine Morano qui joue, jusque la nausée, la provocation pour la provocation ? Aucun de ceux-là et pas même les leaders du FN englués qu'ils sont dans leur guerre civile et familiale. Non, celui qui s'est laissé aller est socialiste, ministre du gouvernement de la France, plus précisément encore Secrétaire d'État aux Transports et, qui plus est, favori de la presse pour succéder àFrançois Rebsamen au ministère du Travail. Alain Vidalies, ou l'archétype du "socialo", solide élu de terrain (dans les Landes), barbu de surcroît, sans doute franc-maçon. Il n'en a pas moins dérapé, gravement. Comment un tel incident a-t-il pu se produire?
Il va de soi qu'on peut légitimement plaider l'incident malheureux, la langue qui a fourché, et c'est d'ailleurs la stratégie qu'a adopté le ministre. On peut estimer que, comme à l'accoutumée, la presse, journaux, radios et télévisions confondus, en font trop, beaucoup trop, qu'ils transforment un dérapage somme toute mineur en un scandale politique à connotation éthique et morale. Pauvre Vidalies que le rouleau compresseur médiatique a écrasé, compilé, mis en pièce, contraint à des excuses publiques et répétées, qui n'obtiendra sans doute plus ce portefeuille du Travail tant espéré.
On peut en effet dédouaner Alain Vidalies. Admettons-le avec franchise: ce n'est pas notre cas. Parce que, à lui seul, il incarne la déroute politique, idéologique, culturelle et éthique de la gauche de gouvernement. Le réalisme, bien sûr. La prise en compte des souffrances (réelles) d'un pan de la société française, cela va de soi. Le refus obstiné de cette phraséologie confortable excusant par avance toutes les dérives puisque les injustices sociales s'aggravent, voilà qui pourrait ragaillardir une partie de cet électorat dit populaire qui a lâché le PS et la gauche de gouvernement. Cela n'autorise pas pour autant d'expliciter "n'importe quoi" à haute et intelligible voix. Or, la chasse au faciès, c'est même pire que "n'importe quoi"...
Certains répliqueront, à l'instar d'Alain Vidalies, qu'il n'existe guère d'autres moyens pour "attraper" des "candidats-terroristes". Peut-être... Qu'en période de guerre, et nous y sommes en plein, il est indispensable de savoir adapter mesures et comportements... Sans doute... Mais le délit de faciès, tout de même! L'une des causes emblématiques de la gauche, l'un de ses combats permanents, l'un des critères qui partage le bien du mal. Alain Vidalies vient de signifier que ces clivages n'avaient plus de raison d'être, qu'ils relevaient de l'obsolescence, que désormais les "valeurs" de la droite devenaient la règle générale, s'imposaient à tous. Petite phrase, grands effets, pour le moins inattendus.
Inutile d'ailleurs de s'interroger outre mesure sur le dérapage du ministre Vidalies. Il confirme que la gauche a renoncé, et donc par avance perdu, le combat des idées et des valeurs. Le socialiste Vidalies s'est exprimé en beauf de droite, comme s'il avait digéré le discours ambiant dominant. Ce n'est pas ce que nous attendons d'un responsable politique, en principe progressiste.
Il y a plus étonnant encore: le silence, l'absence de réactions du Premier ministre et du premier secrétaire du parti socialiste. À l'accoutumée, il suffit qu'un leader droitier se laisse aller etManuel Valls tonne, riposte, s'exalte. De nombreux commentateurs désapprouvent cette attitude ; nous ne sommes pas de ceux-là. Il faut d'ailleurs constater que ces emportements à répétition ont pour l'heure circonscrit le phénomène Dieudonné. Pour le coup, silence radio. Une aberration en provenance de la gauche devrait pourtant être vouée aux gémonies tout autant qu'une provocation sarkozyste. Ce n'est pas le cas. Quant à Jean-Christophe Cambadélis, il promeut depuis quelques jours un livre sur la gauche et le combat des valeurs. Un combat pour l'instant perdu, précise-t-il. On eût aimé l'entendre sur le dérapage de Vidalies. Le chef du PS est resté coi. Étrange...
D'autant plus étrange que nous avons conservé une mémoire fort précise d'une campagne présidentielle en 2012. À de nombreuses reprises, le candidat Hollande avait expliqué que le combat contre les contrôles au faciès serait l'une de ses priorités. Une autre époque. Une autre gauche. Un autre mensonge?
Contrôle au faciès: le dérapage de Vidalies, la débandade du gouvernement
Pour la gauche de pouvoir, pour la gauche des grandes villes, pour la gauche bourgeoise - souvent la même gauche sous trois appellations - l'angélisme et le déni des réalités furent un malheur...