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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Organisation Communiste Libertarie (OCL) - Courant Alternat

La situation politique du Moyen-Orient a connu des bouleversements considérables au cours
des trois derniers mois. L'expansion des zones contrôlées par les djihadistes en Irak -
consécutive à l'effondrement de l'armée dans le Nord qui a fui sans combattre, traduisant
l'effondrement de l'institution étatique dans ce pays - et les innombrables exactions
commises sous forme de nettoyage ethnico-religieux, de massacres, de viols, de
destructions ont provoqué une modification tangible des rapports de forces régionaux, une
extension du champ de bataille, un déplacement des lignes de front, et ont accéléré la
montée en puissance des mouvements de la gauche kurde et de l'entité appelée Kurdistan.
---- Ces événements ont également provoqué une vague de bombardements d'une nouvelle
coalition dirigée par les Etats-Unis, sur des cibles dotées d'armes étatsuniennes,
permettant au passage aux pétromonarchies qui ont longtemps soutenu les djihadistes de
réaliser une très acrobatique et spectaculaire volte-face.


A CTE I: I RAK , UN ÉTÉ 2014 DE FEU ET DE SANG


La prise de Mossoul et de la presque totalité
du Nord irakien au mois de juin ainsi que la dé-
claration de création du Califat dans cette ville
le 29 juin, premier jour «sacré» du Ramadan
ont déplacé l'attention médiatique internatio-
nale sur une région un peu oubliée depuis... l'in-
vasion étatsunienne en mars 2003. Cette
nouvelle réalité politique, avec la formation
d'une véritable armée djihadiste récupérant des
dizaines de chars, des centaines de véhicules
blindés, des hélicoptères, un énorme butin
laissé par les Etats-Unis pour équiper l'armée
irakienne, a provoqué une première réaction des
Occidentaux - essentiellement des Etats-Unis -
qui se sont empressés d'envoyer plusieurs cen-
taines d'«instructeurs» et de «conseillers mi-
litaires» pour aider ce qui reste de l'armée et
les milices chiites à défendre Bagdad et bloquer
la poussée djihadiste vers le sud. Pendant ce
temps, au nord du pays, les milices kurdes
(peshmergas) en profitaient pour conquérir
d'assez vastes territoires revendiqués comme
kurdes et riches en pétrole (Kirkouk et ses alen-
tours).


Stoppés sur le front sud, les djihadistes en-
tament alors une seconde vague d'assaut le
2 août dans le nord de l'Irak et contre la région
autonome du Kurdistan. Une offensive qui a
rencontré... la retraite des peshmergas en
moins de vingt-quatre heures et qui s'est tra-
duite par le début d'un nettoyage ethnique de
grande ampleur contre les minorités nom-
breuses de cette région, avec notamment la
fuite éperdue de dizaines de milliers de yézidis
(Kurdes pratiquant une confession monothéiste
singulière d'origine multimillénaire) dans les
montagnes arides de Sinjar.


Mais une donnée politico-militaire nouvelle
a surgi à ce moment-là: l'intervention remar-
quée des combattants, hommes et femmes, des
différents mouvements kurdes de Syrie et de
Turquie, sur le territoire irakien et à l'intérieur
même du Kurdistan autonome. Notable parce
qu'il ne s'agit pas seulement de l'arrivée de ren-
forts particulièrement aguerris, mais c'est aussi
le signe d'une modification substantielle des
rapports politiques (du rapport de forces) à l'in-
térieur de l'entité kurde dans son ensemble.


Les milices YPG et YPJ (du Kurdistan irakien)
et HPG / YJA Star (du Kurdistan de Turquie) sont
intervenues parce que les peshmergas battaient
en retraite devant les djihadistes et se sont en-
fuis sans combattre, laissant du jour au lende-
main des centaines de milliers de civils sans
protection. Parmi eux, toute une gamme de mi-
norités vivant là depuis des siècles au milieu de
cantons de populations arabes sunnites créés
par le régime de Saddam Hussein dans les an-
nées 1980: chrétiens de différents rites, yézidis,
Turkmènes (sunnites et surtout chiites), shabaks
(apparentés aux Kurdes pratiquant diverses re-
ligions hétérodoxes: alévisme, yârsâmisme...).


Cette retraite - qui n'a pas cessé d'être ques-
tionnée quant à ses véritables motifs - a provo-
qué un vent de panique dans toute la région,
chez les minorités (yézidis, chrétiens, turk-
mènes chiites...), mais aussi jusqu'à Erbil, la ca-
pitale du Kurdistan irakien, car, à un moment
donnée, les djihadistes se trouvaient à moins de
40 kilomètres de là. Vent de panique qui provo-
quera les appels à l'aide de la part du Gouver-
nement régional du Kurdistan (GRK) de
Massoud Barzani, l'intervention déterminante
des combattants kurdes de Syrie et de Turquie
le 6 août, et les premières frappes américaines le
8 août.


L'intervention des milices HPG et YPG a été
providentielle. Considéré comme des adver-
saires par le gouvernement kurde irakien de
Barzani, ce dernier a dû accepter leur implica-
tion. Les Kurdes de Syrie des YPG ont organisé
une opération de grande envergure pour sauver
des yézidis dans les montagnes de Sinjar en ap-
portant des vivres et de l'eau et en créant un
corridor humanitaire. De son côté, les HPG et
YJA Star, branches armées du Parti des tra-
vailleurs du Kurdistan (PKK) en Turquie, ont en-
voyé leurs colonnes de combattants à
Makhmour, où elles ont joué un rôle crucial
pour éviter une nouvelle défaite.


Le 9 août, des unités combattantes du PKK
ont fait leur entrée dans la grande ville de Kir-
kouk, en provenance de leurs refuges des mon-
tagnes de Qandil ; et, le 12 août, dans une
quatrième zone, à Lalesh, la ville sainte des yé-
zidis située au nord-ouest de Mossoul. De leur
côté, des Unités combattantes du Rojhelat (l'est
du Kurdistan ou Kurdistan iranien, les YRK et
HPJ) se sont aussi mobilisées et ont rejoint le
front de Jalawla, ville du Nord-Est irakien
qu'avait prise le 11 août les djihadistes.


Les mouvements de la gauche kurde ne se
sont pas contentés de combattre les djihadistes,
de stopper leur offensive, de reprendre des vil-
lages et des villes et de sauver des milliers de
vies, ils ont insisté auprès des habitants de ces
régions, pour (s'ils le pouvaient) qu'ils se bat-
tent, résistent, mettent en place leurs propres
unités d'autodéfense, que ce soit chez les réfu-
giés yézidis dans la région de Sinjar ou parmi
les populations des deux villes reprises aux dji-
hadistes de Makhmour et Gwer, en territoire ira-
kien. Exemple suivi dans plusieurs villages
chrétiens à l'ouest de Mossoul, où une partie de
la population a décidé de rester et de se battre.
A Kirkouk aussi se mettent en place des Forces
de résistance populaire, composée d'hommes et
de femmes.


A CTE II: L' OFFENSIVE DJIHADISTE SUR K OBANÊ


Alors que depuis début août les djihadistes
ne progressaient plus sur le terrain en Irak, c'est
en Syrie qu'ils décidèrent de lancer une nou-
velle grande offensive, contre la ville de Kobanê.


Kobanê, troisième ville kurde de Syrie, peu-
plée avant la guerre d'environ 300 000 habitants,
mais abritant aujourd'hui plus de 200 000 réfu-
giés, a été depuis le 15 septembre le théâtre
d'une des opérations militaires des djihadistes
les plus brutales, et, après celle de Homs, la plus
cruelle de toutes.


Une conséquence du renforcement récent des islamistes


L'origine immédiate de cette attaque se
trouve à l'extérieur de la Syrie, en Irak, car c'est
là que l'Etat islamique (EI) a réussi à s'emparer
de nombreuses d'armes ayant appartenu au ré-
gime de Saddam Hussein mais surtout d'une
énorme quantité d'armes lourdes et de blindés
de toutes sortes abandonnés par les Etats-Unis
et la «nouvelle» armée irakienne.


L'autre élément relativement nouveau qui se
retrouve dans la nature de cette offensive, c'est
la transformation des diverses unités combat-
tantes djihadistes en une véritable armée, plus
classique, dirigée par un état-major militaire
composé essentiellement de professionnels, des
anciens officiers de l'armée de Saddam Hussein,
formés à l'«art de la guerre» (stratégie/tactique,
maniement d'armes lourdes et techniques de
combat, discipline, coordination et chaîne de
commandement, logistique...) dans les acadé-
mies militaires les plus traditionnelles, en par-
ticulier celles des armées de terre.


Paradoxalement ou pas, les bombardements
étatsuniens, qui ont certainement sauvé de
nombreux civils en Irak, sont aussi à mettre sur
le compte des raisons de cette attaque brutale
sur le territoire syrien. Il n'est en effet pas pos-
sible d'agir en Irak sans réfléchir à l'échelle glo-
bale, particulièrement sur les développements
en Syrie, car cela revient à se protéger sur un
flanc en laissant l'autre à découvert.


Enfin, cette attaque d'envergure a été menée
après une précédente victoire sur le sol syrien:
la prise de la base aérienne et militaire de l'ar-
mée du régime à Tabqa, au sud-ouest de Raqqa,
le 24 août, au terme d'une des plus longues et
sanglantes batailles de toute la guerre civile sy-
rienne. Désormais, l'EI règne sur toute la pro-
vince de Raqqa, il n'y a plus ni forces du régime
ni présence d'autres mouvements de la rébel-
lion. Sauf à Kobanê, tout au nord.


Kobanê est située dans la province de Raqqa,
la place force de l'EI, où se trouve sa «vraie» ca-
pitale, la ville homonyme vers laquelle se re-
plieront les troupes djihadistes en cas
d'offensive majeure sur Mossoul (province de
Ninive) et sur l'Ouest irakien (la grande province
d'Al-Anbâr aux trois quarts désertique, mais
avec les villes rebelles de Ramadi et Falloujah et
des frontières peu contrôlées avec la Jordanie et
l'Arabie saoudite).


Les éléments de cette offensive


L'EI a semble-t-il déplacé une partie de ses
forces de l'Irak vers la Syrie, concrètement à
Raqqa. Les raisons de cette offensive sont au
moins au nombre de trois:


1) Kobanê est le canton central des trois can-
tons formant le Rojava (Kurdistan en Syrie). Il
est aussi le plus petit. Le faire tomber signifie
isoler les deux autres, Efrin à l'ouest, Cerîzê à
l'est.


2) Kobanê permet d'accéder à la Turquie de-
puis la Syrie. Comme plusieurs sources l'ont
montré, les preuves du soutien turc à l'EI sont
claires, sans parler du commerce des produits
pétroliers qui constitue une importante source
de financement.


3) Les Kurdes, en particulier les YPG, se sont
montrés sur le champ de bataille comme la
seule force pouvant faire face à l'EI, et même
l'écraser dans de nombreux endroits. A condi-
tions égales, s'entend.


D'autres raisons, symboliques mais tout
aussi importantes, jouent également. Kobanê
est l'endroit où a été proclamée la révolution du
Rojava, le 19 juillet 2012. C'est aussi la ville où
s'est rendu la première fois Abdullah Öcalan, le
2 juillet 1979, lorsqu'il s'exila de Turquie pour
poursuivre la lutte. C'est aussi à Kobanê que la
solidarité kurde avec les victimes de l'opération
Anfal perpétrée par le régime de Saddam Hus-
sein (le massacre de Halabja en 1988) a été
parmi les plus fortes (entre autres, les enfants
faisaient don de leurs vêtements pour les jeunes
survivants du génocide). C'est un des principaux
berceaux du mouvement kurde en Syrie.


Enfin existe une raison tactique: les djiha-
distes pouvaient espérer profiter de l'absence de
bombardement des forces étatsuniennes sur le
sol syrien.


Dans ce contexte, l'EI a lancé une attaque
très préparée contre Kobanê avec les éléments
suivants:


1) Une attaque sur trois fronts à la fois ; par
l'est, par l'ouest et par le sud.


2) L'engagement de 3 000 combattants au
début, qui ont été renforcés au bout de cinq
jours par plus de 4 000 autres: ils ont donc 7 000
mobilisés.


3) L'utilisation de l'essentiel de son arsenal
de Syrie.


4) L'utilisation d'équipements militaires ar-
rivés en provenance de la Turquie, au moins
deux trains de marchandises anonymes détec-
tés du côté de Tell-Abyad (70 kilomètre à l'est).


5) Et, élément fondamental: l'utilisation
d'une artillerie lourde, en particulier environ
50 tanks en provenance d'Irak.


Ce déséquilibre dans les armements a eu
comme conséquence que, le 15 septembre, l'EI
a pu briser le front par le sud, malgré la résis-
tance kurde désespérée. Le 17 septembre,
l'avancée djihadiste était indéniable.


Les YPG n'ont pas de véhicules blindés ni de
chars, et se battent essentiellement avec des
AK47 (fusils d'assaut, les célèbres kalachnikovs),
des RPG (lance-grenades, à courte-moyenne
portée), quelques mortiers et des mitrailleuses.
Leur supériorité en organisation, en expérience
et en détermination leur avait permis de tenir
pendant des mois (ils avaient encore repoussé
une attaque début juillet), mais l'arrivée des
chars et de lance-missiles depuis Raqqa a rendu
presque impossible le maintien de cet équilibre
des forces. C'est comme se battre avec des
lances contre des canons. D'autant plus qu'il
s'agit d'une zone de plaine, désertique et en par-
tie irriguée, au nord de l'Euphrate, ce qui rend
quasi impossibles les actions de guérilla face à
des forces dotées d'équipements blindés équi-
pés pour les tirs de longue portée.


Le 17 septembre, l'EI est entré dans 21 vil-
lages et, dès le lendemain, les YPG ont donné
l'ordre d'évacuer les populations et de battre en
retraite. Quarante-huit heures plus tard, les vil-
lages occupés par les djihadistes étaient au
nombre d'une soixantaine.


A partir de là, les YPG ont réussi à stabiliser
le front au prix de très lourdes pertes de part et
d'autre. L'EI a, semble-t-il, choisi de ne pas user
toutes ses forces et se limite à des bombarde-
ments massifs contre la population civile.


La Turquie, principal allié des djihadistes


Les appels désespérés des assiégés n'ont eu
aucun effet. Les Etats-Unis, principal respon-
sable des faits pour avoir bombardé l'Irak et
laissé la Syrie être un sanctuaire, ont regardé
ailleurs pendant plus d'une semaine. La Turquie
offre un soutien officieux à l'EI ; et les Kurdes
d'Irak qui doivent tant aux YPG se limitent à des
mots et des gesticulations. Une dernière don-
née: l'EI a émis une fatwa (décret religieux) par
laquelle tous les Kurdes qui sont capturés, qu'ils
soient militaires ou civils, doivent être décapi-
tés. Un demi-million de Kurdes sont actuelle-
ment encerclés à Kobanê par l'EI avec deux
options: être tués au combat ou par des bom-
bardements ou être exécutés s'ils sont pris.


Mais des milliers de civils ont fui avant l'ar-
rivée des djihadistes et se sont dirigés vers la
frontière syro-turque.


De son côté, la Turquie a, au début, rendu la
frontière totalement infranchissable pour les
Kurdes. Les consignes du Premier ministre
Ahmet Davutoglu étaient de créer une zone
tampon pour bloquer toute aide aux Kurdes de
Syrie, civils comme combattants ; ordre fut
donné de les renvoyer vers leur ville et leurs vil-
lages bombardés.


Le vendredi 19 septembre, alors qu'ils et
elles n'étaient que 3 000 à 4 000 face aux soldats
turcs, rejoints par des centaines de jeunes
Kurdes venus manifester leur solidarité depuis
le côté turc, ils-elles ont forcé le passage, coupé
les barbelés et contraint le gouvernement turc à
ouvrir la frontière. Dès le lendemain, ils-elles
étaient des dizaines de milliers.


Le lundi 22 septembre, les réfugié-e-s fuyant
l'offensive djihadiste dépassaient les 100 000.
Les services de l'ONU ont parlé de 130 000. Des
Kurdes, mais pas seulement: Arabes, Assyriens,
Arméniens..., toutes les populations composites
de cette région, les communautés vivant et/ou
ayant trouvé refuge à Kobanê en masse depuis
le début de la guerre (200 000), qui s'enfuient de-
puis que la frontière s'est entrouverte.


Tout le week-end des 20-21 septembre, les
Kurdes de Turquie sont descendu-e-s dans les
rues par dizaines de milliers dans les princi-
pales villes. Des centaines de jeunes de tout le
sud-est de la Turquie se sont dirigés en bus ou
en voitures particulières vers la ville de Suruç
(Pirsûs en kurde), proche de la frontière, en face
de Kobanê.


Des milliers de policiers, gendarmes et sol-
dats turcs ont été déployés pour contrôler les
manifestant-e-s et militant-e-s qui veulent se
mêler aux réfugiés. Au poste frontière de Mur-
sitpinar, les forces de répression turques ont
lancé des attaques pour disperser la foule avec
des gaz et des canons à eau. Dimanche, plus de
30 manifestant-e-s blessés ont été hospitalisés
dans différents hôpitaux de la province d'Urfa
(ou Sanl?urfa). Des centaines de manifestant-
e-s ont répondu avec des pierres, et au moins
un véhicule de la police a été incendié. Des
tentes de solidarité dressées par des manifes-
tants ont aussi été incendiées par les soldats.


L'Etat turc, déjà accusé d'armer encore les
djihadistes, entend créer une zone tampon sur
la frontière afin de contrôler le flux de réfugiés
et empêcher l'afflux de volontaires et de toute
aide matérielle en direction de Kobanê pour
renforcer la résistance.


Plus d'un millier de jeunes Kurdes de Tur-
quie ont réussi à franchir la frontière, au cours
de ce week-end, en passant à d'autres endroits
pour rejoindre les rangs des YPG, répondant
ainsi à l'appel lancé le 18 septembre par la KCK
(Union des communautés du Kurdistan).


La Turquie veut bloquer non seulement les
volontaires du Kurdistan turc mais aussi les
nombreux Kurdes syriens qui ont franchi la
frontière pour accompagner leurs familles, les
aider à se mettre à l'abri, et qui souhaitent re-
venir à Kobanê pour se battre. L'armée turque,
de fait, complète le siège des djihadistes de Ko-
banê par le nord.


Dimanche 21 septembre, alors que les af-
frontements faisaient rage sur la frontière entre
soldats et policiers turcs et jeunes manifestant-
e-s kurdes, le PKK lançait un nouvel appel aux
armes pour défendre la ville de Kobanê et af-
firmait que 400 de ses combattant-e-s avaient
déjà rejoint le front ces derniers jours.


Le même jour, d'après le quotidien turc Mil-
liyet, l'EI aurait capturé environ 300 membres
supposés du PYD dans différents villages et les
auraient ensuite abattus par balles. D'après le
quotidien, certains d'entre eux auraient été for-
cés de se déshabiller, puis traînés sur le sol
avant d'être exécutés. Des photos de corps al-
longés par terre ont été diffusées sur Internet
sans qu'elles soient authentifiées. Les témoi-
gnages des réfugiés traversant la frontière, à
pied, dans des véhicules, dont des ambulances,
rapportent qu'il y a eu de nombreuses décapi-
tations dans les villages. Pour Ibrahim Binici,
député prokurde du HDP présent sur la fron-
tière qui a recueilli ces témoignages, «plutôt que
d'une guerre, il s'agit d'une opération de génocide...
Ils vont dans les villages, coupent les têtes d'une ou
deux personnes et les montrent aux villageois».


La KCK: «Il n'existe plus aucune limite dans la résistance»


Devant la gravité de la situation, le mouve-
ment kurde dans son ensemble appelle à une
mobilisation générale pour défendre Kobanê et
repousser les forces de l'EI.


Les organisations politiques civiles légales
ainsi que tout le tissu associatif appellent la po-
pulation à descendre dans la rue, à se rendre
en masse en direction de la frontière, à aider les
réfugiés et les assiégés, à exercer une pression
maximale sur le gouvernement turc. De leur
côté, les instances du mouvement comme la
KCK ainsi que les organisations «illégales» et
combattantes (PKK, PYD...) appellent la jeu-
nesse kurde de Turquie à rejoindre la résistance
armée en s'enrôlant dans les unités combat-
tantes, notamment les YPG et YPJ du Rojava. Le
22 septembre, la KCK a émis un nouveau com-
muniqué déclarant que «le peuple kurde ne doit
plus mettre de limites à sa résistance».


Sur le front diplomatique, trois députés du
HDP (Parti démocratique du peuple) de Turquie
et une ex-députée allemande au Parlement eu-
ropéen ont commencé une grève de la faim à
Genève, devant les bureaux de l'ONU, le 21 sep-
tembre, afin d'attirer l'attention de l'opinion
publique sur les offensives et les massacres de
l'EI à Kobanê, et de demander une aide huma-
nitaire d'urgence pour le peuple kurde. Selma
Irmak a déclaré à un journaliste du quotidien
Today's Zaman d'Ankara: «En plus de la grève de
la faim, nous allons avoir des entretiens diploma-
tiques avec les responsables de l'ONU. Nous allons
demander à l'ONU et aux puissances internationales
d'envoyer une aide militaire aux Kurdes pour élimi-
ner la violence de l'EI.»


Sur le front kurde, le PKK, par la voix d'un
de ses dirigeants, Duran Kalkan, n'appelle pas
les peshmergas irakiens à intervenir directe-
ment sur le sol de Rojava, mais leur demande
de lancer des offensives sur le territoire irakien
contre les djihadistes. Selon plusieurs témoi-
gnages, dans la nuit du 21 au 22 septembre, en-
viron 400 combattants du PKK auraient réussi à
déjouer la surveillance de la frontière par l'ar-
mée turque et à s'infiltrer en territoire syrien.


Au total, on estime que, depuis une se-
maine, près de 800 combattants du PKK ont re-
joint Kobanê, et qu'un nombre plus important
de jeunes Kurdes sympathisants ont réussi à
franchir la frontière pour s'enrôler dans les uni-
tés combattantes ou pour, d'une manière ou
d'une autre, participer à la défense de la ville.


Par ailleurs, plusieurs centaines de combat-
tants de la guérilla du PKK sont passés depuis
leur base, située dans les monts Qandil en Irak
du Nord, dans le canton le plus oriental du Ro-
java, Cezîrê (Jazira), afin de participer à des at-
taques sur d'autres fronts au sud et à l'ouest
pour briser le siège de Kobanê.


Offensive djihadiste bloquée


Le 22 septembre, les YPG affirmaient avoir
stabilisé le front et bloqué l'offensive de l'EI à
une quinzaine de kilomètres de la ville de Ko-
banê, et même avoir entamé une contre-offen-
sive sur les fronts sud et est. Par ailleurs, les
forces kurdes auraient commencé plusieurs at-
taques contre des positions djihadistes depuis
le canton de Cezîrê (Jazira).


La situation dans la ville devient de plus en
plus difficile. L'eau et l'électricité ont été cou-
pées par les djihadistes. Un journaliste d'un
quotidien turc parle d'une ville en partie dé-
sertée, mais aussi avec des habitant-e-s déter-
minés et armés d'armes de poing. Les jeunes
Kurdes venus du Nord s'entraînent pour partie
au maniement des armes ou sont incorporés
dans les groupes de la défense civile de la ville.
Le 25 septembre, plusieurs milliers d'habitants
en capacité de combattre ont réussi à revenir
dans Kobanê pour défendre la ville.


En France, comme partout en Europe et
ailleurs, des manifestations ont eu lieu à Paris,
Marseille, Strasbourg, Reims, Lyon, Toulouse...


Les frappes aériennes des Etats-Unis


En ce qui concerne les appels à l'aide inter-
nationale, les forces kurdes de Kobanê ne de-
mandent pas la présence de peshmergas d'Irak
car ils ne souhaitent pas du tout que les barza-
nistes mettent les pieds dans le coin. Pendant
longtemps, ils ne réclamaient pas expressé-
ment des frappes aériennes (même s'ils les
souhaitaient), mais leur position s'est infléchie
le 24 septembre, où plusieurs commandants
ont demandé des bombardements sur le front
de Kobanê. Enfin, ils accepteraient volontiers
des armes lourdes, antichar, leur permettant de
se battre «à égalité de conditions» et de re-
prendre l'offensive sur le terrain, au sol.


En cas de coalition «occidentale» sur le
«front syrien» contre l'EI, le PYD a été très
clair: il n'entend pas en être exclu. Il demande
à en faire partie en tant que force belligérante
de premier plan s'opposant à la fois au régime
d'Assad et aux djihadistes avec une longue ex-
périence du combat au sol [1].


Dans la nuit du 22 au 23 septembre, plu-
sieurs frappes aériennes ont eu lieu sur le ter-
ritoire syrien à l'initiative des Etats-Unis. Les
principales cibles visées étaient des infrastruc-
tures de l'EI et du Front al-Nosra (Al-Qaïda
maintenu).


Selon un communiqué de l'état-major des
forces armées étatsuniennes, la coalition com-
portait l'Arabie saoudite, les Emirats arabes
unis, la Jordanie, le Bahreïn et le Qatar. Magni-
fiques et remarquables retournements de veste,
quand on sait d'où sont venus pour l'essentiel
les soutiens (en armes et financiers) aux djiha-
distes depuis des années...


Pour les Kurdes, la lutte continue...


Les différentes factions de l'opposition sy-
rienne dite modérée se félicitent de ces frappes.
Les mouvements kurdes ont également salué
cette intervention mais ils ne s'en satisfont pas.


Ils veulent des armes, comme les Kurdes
d'Irak: y aurait-il les «bons» Kurdes d'Irak et
les «mauvais» de Syrie ? Ils veulent un soutien
à leur lutte, à tous les niveaux, en particulier
dans la rue. Des manifestations sont appelées
un peu partout en Europe et ailleurs, partout où
il existe une diaspora et des militant-e-s soli-
daires.


Ils veulent être associés à la coalition anti-
EI: «Nous sommes impatients de collaborer avec la
coalition dans la lutte contre le terrorisme qui me-
nace toutes les valeurs humaines au Moyen-Orient»,
a ainsi déclaré le 23 septembre Saleh Muslim,
le coprésident du PYD.


Mais ils ne veulent pas jouer les supplétifs
d'une très opportuniste coalition «arabo-occi-
dentale» ; ils ne veulent pas se faire voler leur
combat et toutes les avancées politiques qu'ils
ont conquises. Bien au contraire: ils veulent ac-
croître les moyens de poursuivre la lutte de li-
bération kurde, avec la mise en place d'un
projet politique et d'un modèle social originaux
et alternatifs (confédéralisme, autonomie dé-
mocratique, écologie, antipatriarcat...) aux mo-
dèles en place, totalement en crise et
responsables de toutes ces tueries et de toutes
ces folies. Ce sont ces objectifs-là qu'ils enten-
dent défendre et placer de manière non négo-
ciable dans le cadre d'un «front» de lutte
antidjihadiste. Ils veulent la reconnaissance de
l'autonomie du Rojava et de son autogouverne-
ment. Ils veulent poursuivre, approfondir, am-
plifier, étendre la mobilisation pour la libération
kurde sur tous les fronts, sur tous les terrains
de lutte.


S'ils se battent militairement en Syrie et en
Irak, ils n'oublient pas le caractère global de
leur combat, et en particulier celui qu'ils mè-
nent depuis si longtemps contre l'Etat turc et
qu'ils ont payé très cher. Ils veulent que soit dé-
noncée la politique de la Turquie, que soit dé-
mantelée la «zone tampon» installée par le
gouvernement turc à la frontière, no man's land
militarisé qui n'a d'autres fonctions que de
compléter le siège de Kobanê et d'empêcher
des renforts de rejoindre l'enclave kurde pour
mettre en déroute les djihadistes.


Ils demandent que soient sanctionnés les
Etats qui aident les djihadistes, et que le PKK
soit retiré de la liste des organisations terro-
ristes.


Ils veulent que l'Etat turc abatte ses cartes
sur le processus de paix censé être en cours de
résolution, après le cessez-le-feu de mars 2013
et le retrait des combattants kurdes du terri-
toire turc. Or, si le PKK a rempli sa part du
contrat, l'État turc, meilleur allié des djiha-
distes, n'a pas bougé ; il a au contraire construit
de nouvelles casernes militaires dans les ré-
gions kurdes, fermé les écoles enseignant en
langue kurde, et il tue les manifestants qui s'y
opposent. Il reste le principal ennemi des
Kurdes. Les derniers communiqués des di-
verses formations kurdes déclarent, au mo-
ment où ces lignes sont écrites, que le
processus est virtuellement terminé, sans ja-
mais avoir existé. C'est aussi là un des princi-
paux enjeux de la bataille en cours.


En outre, sur le «front syrien», les Kurdes
représentent de plus en plus un axe possible de
recomposition d'une partie de l'opposition au
régime (armée ou non), de nouvelles et récentes
alliances sur le terrain en témoignent. En Irak
et dans le Kurdistan irakien, où le pouvoir bar-
zaniste les combattait et les ostracisait, ils ont
mis un peu plus que le pied dans la porte après
avoir acquis une légitimité dans les combats et
dans la relation politique avec les populations,
et ils ne comptent pas en rester là.


La bataille de Kobanê n'est pas seulement
un épisode important pour Kobanê et le Rojava,
ou même pour la seule lutte contre les djiha-
distes. Son enjeu détermine le sort du Kurdis-
tan tout entier, de la Syrie, de l'Irak, de la
Turquie, et finalement de l'ensemble du Moyen-
Orient.


... pour nous, la solidarité aussi


Le 14 août dernier, nous écrivions ceci sur
notre site Internet [2]:


«La montée en puissance des djihadistes de
l'EI ou Califat de Mossoul est une des consé-
quences de l'effondrement simultané des ré-
gimes syrien et irakien et de l'absence ou la
faiblesse des autres oppositions (civiles ou ar-
mées). L'autre conséquence de cette crise est
l'affirmation grandissante des Kurdes comme
peuple, au-delà des différences de nationalité,
de leur dispersion territoriale, des séparations
produites par l'Histoire et des oppositions très
dures et très marquées à l'intérieur de cette
réalité sociale-politique. Comme peuple,
comme nation, mais pas au sens ethnique du
terme: peuple et nation comme réalités poli-
tiques en construction et en devenir, comme
pluralité. La défense et l'appel "à l'autodéfense
et à la coopération des minorités" vivant dans
l'espace territorial kurde, ainsi qu'une relative
laïcité (plus ou moins prononcée selon les cou-
rants politiques), sont une indication de toute
première importance sur la nature du projet po-
litique en train d'émerger dans les confins de
quatre grands Etats-nations de la région. En
outre, la volonté de la gauche révolutionnaire
kurde de transformer la société, les formes de
gouvernement (communalisme), de question-
ner le paradigme étatiste-national de la poli-
tique et de la communauté humaine, de
remettre en cause les relations sociales de pro-
duction, de classes, de genres... est lourde de
menaces pour tous les pouvoirs établis.»


Soutenir la lutte du peuple kurde s'inscrit
pour nous dans cette dynamique de conflit et
de projet. Non pas parce que l'on assisterait en
ce moment à un bouleversement tel qu'il an-
noncerait l'imminence du communisme liber-
taire en Mésopotamie, ou qu'il ferait penser à
un remake moderne et un peu exotique de
l'épisode «guerre et révolution» dans la Cata-
logne de 1936-1937. Mais parce que le mouve-
ment kurde, dans le sens le plus large de
mouvement social et populaire - avec ses ca-
ractéristiques plutôt positives, et d'autres plus
discutables et critiquables - apparaît au-
jourd'hui, dans cette région du monde, comme
la principale force susceptible non seulement
de contrecarrer la double barbarie des isla-
mistes et des régimes en place, mais aussi d'in-
troduire dans les zones kurdes et au-delà
suffisamment d'éléments de transformation et
de rupture à partir desquels il devient au moins
possible et pensable de postuler des formes
d'égalité, d'ouvrir des espaces politiques du
commun (de coopération, d'interlocution, de
subjectivation...) et d'avancer des perspectives
intelligibles et audibles de libération sociale et
politique.


J.F., le 26 septembre 2014




[1] Interview de Saleh Muslim, coprésident du PYD, à
la Frankfurter Allgemeine, 21-09-2014.


[2] La nouvelle guerre en Irak: Kurdes contre djiha-
distes, http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article1565
_______________________________________

 Organisation Communiste Libertarie (OCL) - Courant Alternat
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