anarchiste individualiste
6 Novembre 2014
Pas facile d’être un enfant de soixante-huitard ! Une thèse de sociologie dévoile les tiraillements de cette génération, partagée entre anticonformisme des parents et conventions sociales.
Sans les événements de Mai 68 auxquels sa mère a participé, Julie Pagis aurait dû grandir en ville dans une famille bourgeoise. Mais ses parents, jusqu’alors ingénieurs agronomes, ont choisi dans les années 1970 d’élever des chèvres dans une ferme provençale. Une vie difficile à assumer pour leurs enfants, raillés par leurs camarades de classe : « Ils nous répétaient régulièrement que l’on “puait la chèvre”, que l’on était “sales” », se souvient la chercheuse. En réaction à cette exclusion, elle s’investit à fond dans les études par désir de revanche sociale. C’est tout naturellement qu’elle décide de consacrer sa thèse de sociologie aux « incidences biographiques » de Mai 68 : ses propres interrogations l’amènent à poser la question du devenir des enfants de soixante-huitards, rarement abordée…
Son enquête englobe deux générations familiales : des personnes ayant participé aux événements de 1968 et leurs enfants anciennement scolarisés dans deux établissements alternatifs, Ange-Guépin à Nantes et la célèbre école Vitruve à Paris. Les élèves y bénéficient d’une grande autonomie dans la gestion de leurs activités, travaillent collectivement et sans notes, tutoient leurs instituteurs, sont responsables du fonctionnement participatif de l’établissement… L’école Vitruve s’implique aussi dans des mouvements sociaux : parmi les projets scolaires qui les ont marqués, ses anciens élèves citent, entre autres, l’occupation d’une papeterie de Millau, la traversée du Larzac, la rencontre avec des ouvriers de Lip…
« Honte de mes parents avec leur look baba »
Cette expérience singulière a laissé des empreintes chez ces enfants devenus aujourd’hui adultes : pour 68 % d’entre eux, ces écoles ont influencé leur façon de voir le monde, à travers « l’esprit critique », « la croyance que l’on peut changer le monde car on en est acteur », « la sensibilité aux inégalités sociales »… Mais lors de leur entrée dans un collège classique, le choc a été rude : « On a grandi dans une bulle qui ne nous préparait pas au monde extérieur. » Curieux, désinhibés et critiques, ces enfants dérangent les enseignants. Exemple de ce décalage : « Une fois, on était en sciences, le prof parlait des chevaux et j’ai proposé qu’on aille voir des chevaux à Vincennes, il ne voulait pas et j’ai commencé à expliquer pourquoi cela serait plus intéressant que d’en parler en classe : j’ai été punie pour insolence ! »
Pas facile non plus d’assumer le mode de vie familial : « J’avais honte de mes parents avec leur look baba, et puis certains disaient que j’étais une fille de drogués », « J’invitais pas mes copains à la maison, j’assumais pas du tout le côté libération sexuelle de mes parents »… Une partie de ces enfants nés « au cœur de la bataille » (au tournant des années 1970), qui ont connu la marginalité sociale, rejette les idéaux de Mai 68. En revanche, leurs cadets s’approprient plus aisément l’héritage. À leur naissance, leurs parents, pour la plupart, sont revenus à des vies conjugales et professionnelles plus « classiques »…
Du côté politique, l’ancrage à gauche s’est généralement transmis, mais pas le militantisme : seul un cinquième des enfants interrogés se déclare militant aujourd’hui, contre près de la moitié de leurs parents.
Aujourd’hui encore, beaucoup expriment le sentiment d’être « constamment tiraillés entre deux mondes » et d’être désajustés par rapport au marché du travail. Nombre d’entre eux ont investi des domaines artistiques, secteur peu institutionnalisé. D’autres se sont tournés vers l’enseignement ou la recherche. Comme J. Pagis, ils cherchent à mettre à distance les injonctions contradictoires qu’ils ont reçues, en les convertissant en objets d’étude…
Julie Pagis, « Les incidences biographiques du militantisme en Mai 68 », thèse présentée à l’EHESS, octobre 2009. http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/44/30/77/PDF/These-Julie-Pagis.pdf ;
http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00443077/fr
Pas facile d’être un enfant de soixante-huitard ! Une thèse de sociologie dévoile les tiraillements de cette génération, partagée entre anticonformisme des parents et conventions...
http://www.scienceshumaines.com/mai-68-en-heritage_fr_25365.html