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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

La répression de la lutte au Méxique en 1968

Des témoignages reviennent sur le mouvement de révolte en 1968 au Mexique. Ils évoquent également la répression meutrière de l'Etat.

En 1968, le vent de la révolte souffle à Mexico. Une jeunesse, nourrie par le rock et les luttes anticoloniales, exprime sa colère contre toutes les formes d’autorité. Mais l’État mexicain n’hésite pas à réprimer brutalement les mouvements de lutte en tirant sur la foule.
La journaliste Elena Poniatowska propose un recueil de témoignages, publié dès 1971. Son ouvrage La nuit de Tlatelolco est réédité récemment. Il recueille de nombreux témoignages qui font revivre cet épisode méconnu de l’histoire. En 1968, le Mexique prépare l’organisation des Jeux Olympiques. Le gouvernement entend réprimer la contestation qui peut perturber la fête sportive. « Mais derrière le paravent olympique, il y aurait toujours la misère, la hiérarchisation d’une société éternellement hostile aux laissés-pour-compte, la cruauté d’un Gouvernement prêt à tout pour sauver les apparences », résume Elena Poniatowska. En septembre, les étudiants occupent l’Université. Mais l’armée intervient et 500 personnes sont arrêtées. Le 2 octobre, l’armée organise un véritable massacre. Les soldats tirent dans le dos des manifestants qui s’enfuient.

Le mouvement étudiant exprime un désir de liberté. Des enfants d’ouvriers luttent contre la sélection à l’université. Mais c’est la répression qui alimente le plus la révolte au Mexique. Les grandes manifestation permettent de rendre visible le mouvement dans les quartiers populaires. Les rassemblements ne sont pas appelés par les syndicats inféodés à l’État, mais s’organisent de manière spontanée. Un véritable mouvement de masse s’oppose au « principe d’autorité ».

En 1958 éclate une grève des cheminots. Durant les années 1960, plusieurs grèves étudiantes portent des revendications universitaires mais aussi économiques. Le désir de liberté anime la révolte. La jeunesse s’oppose au régime autoritaire et à ses forces de répression. Elle se heurte à la famille, à l’ordre patriarcal et à la morale sexuelle qui empêche les femmes de porter des jupes et de vivre comme elles le désirent. Certaines mères de famille se reconnaissent dans cette nouvelle jeunesse qui s’affranchie des normes patriarcales et du mode de vie conformiste. « Moi, j’adore la jeunesse d’aujourd’hui, sa mode, ses chansons, sa liberté, son absence d’hypocrisie, sa façon d’affronter l’amour et de le vivre », s’enthousiasme une mère de famille. Les femmes peuvent davantage assumer leurs désirs amoureux, sans se cloîtrer dans l’hypocrisie puritaine.

De nouvelles pratiques de luttes se développent. Les étudiants rencontrent les ouvriers. Ils s’appuient également sur le théâtre de rue. Ils jouent une dispute politique entre deux personnes à propos du mouvement étudiant. Les passants s’arrêtent et argumentent souvent contre le régime et en faveur des étudiants. Des distributions de tracts dans les marchés, dans les bus, dans les magasins, et des meetings éclairs permettent de populariser le mouvement. Si la base du mouvement privilégie l’action dans la rue, les assemblées grouillent de théoriciens et de bureaucrates qui préfèrent disserter sur le marxisme-léninisme de manière abstraite.
Les étudiants tentent d’élargir le mouvement. Ils semblent souvent issus des classes moyennes qui soutiennent déjà le mouvement. Mais les ouvriers demeurent encadrés par les syndicats jaunes qui refusent la grève. Surtout, ils semblent enfermés dans la routine du travail et dans la peur. « Plein d’ouvriers sympathisaient avec le mouvement, mais beaucoup n’osaient pas le montrer, par peur des représailles, ou par apathie, par flemme, parce qu’on sort très fatigué du travail, mais surtout par peur de perdre notre boulot », analyse un jeune ouvrier qui participe au mouvement à titre individuel.

Les commerçants et les classes moyennes, y compris les parents des étudiants, demeurent hostiles au mouvement. Ils associent la lutte au communisme qu’ils tiennent en horreur. Les familles des soldats et policiers sont logiquement opposés au mouvement qui accusent l’État d’assassiner des manifestants en toute impunité. La lutte demeure perçue comme un mouvement d’étudiants petits bourgeois, comme un simple caprice de jeunes qui aspirent à se faire leur place dans la classe dirigeante.

Le massacre du 2 octobre marque un coup d’arrêt pour briser un mouvement qui semble alors prendre de l’ampleur. « Après de nombreuses expériences positives, alors que les gens commençaient à sentir qu’ils pouvaient influer sur la politique, qu’ils se rendaient compte que les évènements pouvaient dépendre de leurs actions et non plus simplement leur tomber d’en haut - comme du ciel -, le coup brutal du 2 octobre est tombé et à générer un profond sentiment d’impuissance, d’échec », analyse une étudiante. Mais ce massacre permet aussi de montrer la réalité du pouvoir d’État et la dimension politique d’un mouvement étudiant, souvent jugé frivole et superficiel. Même si le contexte de répression ne permet pas une activité politique ouverte, beaucoup de personnes continuent d’agir.

Les femmes participent activement au mouvement et leurs actions semblent décisives. Leur courage et leur esprit de solidarité demeurent la force du mouvement. Mais beaucoup de femmes demeurent soumises à l’ordre moral et patriarcal. « Aucune femme de classe moyenne n’ose défier l’institution de base : celle de la famille. Alors comment pourraient-elles défier les grandes institutions ? », interroge un sociologue.

Mais le mouvement permet de bouleverser les relations humaines et la vie quotidienne. « Sur le plan personnel, la question politique a eu un impact sur chacun d’entre nous. Il y a eu des filles qui se sont brouillées avec leurs parents, des

des couples qui se sont effondrés mais il y a eu d’autres qui se sont formés ; toute la vie d’avant a été remise en question et chacun a redécouvert de nouvelles perspectives, une nouvelle manière d’affronter la vie », témoigne une étudiante.
Après le massacre du 2 octobre, la répression continue. Des étudiants sont arrêtés, tabassés, torturés. Le gouvernement construit la théorie d’un « complot communiste » qui manipule les étudiants. Le malaise politique et social au Mexique ne doit pas apparaître comme la cause de la révolte. Les étudiants qui luttent pour le respect de la Constitution et de la légalité découvrent le véritable visage de l’État.




Répression et limites du mouvement

Des témoignages décrivent longuement le massacre du 2 octobre, avec ses balles qui sifflent dans tous les sens, ses bains de sang. Face à un tel carnage, avec une brutalité implacable du gouvernement et de l’armée, le pacifisme et l’idéalisme des étudiants révèlent leurs limites. Les manifestants préfèrent s’armer avec des « idées révolutionnaires » plutôt que de riposter avec de véritables armes. L’idéologie pacifiste et légaliste, avec sa défense illusoire de la Constitution et des Droits de l’Homme, semble également une des causes d’un tel massacre. Même si l’armée demeure effectivement toujours la mieux armée, avec ses hélicoptères qui balayent de balles le ciel et le sol.
Mais ce massacre d’État ne débouche vers aucune révolte ou soif de vengeance. La population semble enfermée dans la routine, la peur et la résignation.

Le livre d’Elena Poniatowska permet d’évoquer un épisode méconnu de l’histoire contemporaine. Un véritable massacre d’État ensanglante la révolte étudiante de 1968 au Mexique. Le livre retranscrit bien l’ambiance de la contestation joyeuse, puis de la terreur militaire. En revanche, le récit et les témoignages priment sur l’analyse. Mais quelques limites du mouvement peuvent être déduites. C’est surtout la population étudiante qui embrasse la révolte. Mais les usines semblent pacifiées par des syndicats aux ordres du pouvoir. L’absence de grèves ouvrières et de mouvements de masse permet au gouvernement d’isoler et de marginaliser la contestation étudiante, avant de l’étouffer dans le sang.
Si la jeunesse tente de rallier le reste de la population, cette démarche s’inscrit dans une logique de simple propagande. Il n’émerge aucune tentative d’organisation commune entre étudiants et travailleurs pour préparer une tentative de grève générale. Le fer de lance de la contestation demeure la population étudiante. Mais l’apathie et la peur de l’ensemble du prolétariat peut aussi expliquer l’absence d’un embrasement généralisé. Seuls les étudiants semblent avoir la possibilité et la disponibilité d’esprit de se consacrer à la contestation. Et, contrairement à d’autres pays comme la France, l’agitation étudiante n’a pas entraîné le reste du prolétariat dans une révolte spontanée.





Source : Elena Poniatowska, La nuit de Tlatelolco. Histoire orale d’un massacre d’État, Traduit par Marion Gary et Joani Hocquenghem, Collectif des métiers de l’éditions (CMDE), 2014
Extrait du livre publié sur le site de la revue Contretemps

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