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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

La nébuleuse de l'Etat islamique

Il y a un autre front dans la guerre menée par EI: la bataille contre al-Qaida, celle pour être rejoint par le plus de groupes djihadistes à travers le monde. Qui a fait allégeance?


Hervé Gourdel est la première victime française de la guerre engagée contre l'organisation Etat islamique. Enlevé en Kabylie dimanche 21 septembre, il a été assassiné trois jours plus tard par un groupe jusqu'ici inconnu du grand public: Jund al-Khalifah, les soldats du califat. Ce groupe dissident d'al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) a exprimé son soutien à EI en juillet, avant de lui prêter formellement allégeance le 14 septembre. Son assassinat a montré que l'organisation Etat islamique agit désormais en dehors de la Syrie et de l'Irak, et qu'elle entend constituer une nébuleuse autour du noyau résident dans le sanctuaire du «Sham».
Pour ce faire, elle doit être formellement rejointe par d'autres groupes djihadistes lui prêtant allégeance. Les allégeances, ou «bay'ah», constituent des actes forts de «soumission à une autorité politique ou militaire», explique Dominique Thomas, chercheur à l'EHESS sur les mouvements djihadistes. «Quand une allégeance est rendue publique, elle indique que la personne qui l'a prononcée se place sous l'autorité de l'organisation et agit en son nom, se bat pour elle», précise-t-il.
Grâce à ses victoires militaires et l'extrême violence qu'elle revendique, l'organisation Etat islamique a suscité une certaine fascination dans les milieux djihadistes, surtout depuis la prise de Mossoul et la proclamation du Califat, en juin dernier. L'organisation rivale, al-Qaida, est quant à elle affaiblie, dirigée par un théoricien âgé, Ayman al-Zawahiri, autrement moins charismatique qu'Oussama ben Laden.
ARCHIVES
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L'infographie ci-dessus synthétise les principaux soutiens et recense les allégeances prononcées en faveur de l'organisation Etat islamique. Certaines données sont extraites des rapports de SITE, une entreprise américaine qui surveille les mouvements djihadistes. D'autres, des recherches de spécialistes, notamment Romain Caillet, auteur de nombreux articles sur l'Etat islamique et twitto assidu, ainsi que J.M. Berger.
A ce jour, aucune grande organisation djihadiste en dehors de la Syrie et d'Irak n'a rejoint l'organisation Etat islamique. Ni les grandes filiales régionales d'al-Qaida (au Maghreb islamique, dans la péninsule arabique, dans le sous-continent indien), ni les Shebabs somaliens ne leur ont prêté allégeance en tant que groupe. Boko Haram, au Nigéria, a adopté des positions ambivalentes, sans jamais déclarer officiellement son allégeance au califat d'al-Baghdadi. De même pour le groupe tunisien Ansar al Charia.
Ils n'ont pas été rejoints par des figures du djihadisme. Ils n'ont pas de stratégie de conquête du “cœur des musulmans”
Dominique Thomas (EHESS)
A l'intérieur des organisations, des membres ont pu faire dissidence, comme le cheikh yéménite Mamoun bin Abd al-Hamid Hatem, mais les organisations n'ont pas suivi. Dominique Thomas note que «les grandes figures d'al-Qaida dans la péninsule arabique sont restées, même si des Saoudiens ont rejoint l'EI». En Indonésie, les djihadistes de Jamaah Ansharut Tauhid se sont déchirés sur cette question. Plusieurs figures ont refusé l'allégeance du chef et sont partis constituer un nouveau groupe.
La guerre des allégeances entre al-Qaida et l'organisation Etat islamique fait aussi l'objet de fausses informations et d'instrumentalisation par les pouvoirs en place confrontés à la montée de groupes djihadistes, comme en Tunisie ou en Egypte. En l'alimentant avec de la désinformation, les autorités espèrent accroître les divisions et affaiblir les groupes.
Dominique Thomas est sceptique sur la capacité de l'EI à élargir ses soutiens. «Ils n'ont pas développé une idéologie propre, n'ont pas été rejoints par des figures du djihadisme. Ils n'ont pas de stratégie de conquête du “cœur des musulmans”», analyse-t-il. Au contraire, al-Qaida a depuis longtemps réfléchi aux moyens d'élargir sa base et d'obtenir le soutien de la population. «Al-Qaida a développé des stratégies de conciliation et d'alliance, pour entrer dans un schéma de conquêtes populaires.» Des documents rédigés par Ben Laden et retrouvés dans sa maison en attestent, ajoute le chercheur. «La politique du pire de l'Etat islamique profitera à al-Qaida», conclut-il.
Une vieille division
La division entre les deux tendances du djihadisme n'est pas nouvelle. Une lettre de Zawahiri, alors numéro deux d'al-Qaida, adressée à Abou Moussab al-Zarqaoui, chef de la branche irakienne d'al-Qaida dont est issu l'organisation Etat islamique, rendait compte dès 2005 de ces désaccords stratégiques.
Zawahiri interrogeait son homologue irakien sur l'opportunité de tuer par «égorgement», lui recommandant d'exécuter les prisonniers «par balles» pour ne pas «ouvrir la porte aux interrogations et devoir répondre aux allégations». Zawahiri précisait:
«Nous livrons une bataille, et plus de la moitié de cette bataille se déroule sur la scène médiatique, nous sommes engagés dans une bataille médiatique pour gagner les cœurs et les esprits de notes communauté.»
L'organisation Etat islamique parie aujourd'hui sur les vidéos de décapitation et d'exécutions sommaires pour la remporter.


Pierre Alonso

Les djihadistes d'EIIL peuvent-ils détrôner les vieux d'al-Qaida?

Al-Qaida n'est plus aujourd'hui l'organisation centralisée et puissante qu'elle était à son apogée en 2001. Mais il est encore trop tôt pour évoquer une passation de pouvoir.


De son repaire dans les confins montagneux qui séparent le Pakistan de l'Afghanistan, Ayman al-Zawahiri, le chef d'al-Qaida, contemple sans doute avec envie les récents succès de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). La montée en puissance de ce groupe qu'il a publiquement désavoué et répudié en février pour sa conduite en Syrie menace directement son pouvoir et l'emprise qu'il a encore sur les branches d'al-Qaida.
S'il est trop tôt pour évoquer une passation de pouvoir, al-Qaida n'est plus aujourd'hui l'organisation centralisée et puissante qu'elle était à son apogée en 2001. La mort de son chef historique, Oussama ben Laden, la clandestinité à laquelle sont contraints ceux de ses dirigeants qui n'ont pas été tués ou arrêtés, ont affaibli son appel et mis à mal ses finances. Les attaques du 11 septembre 2001 sont vieilles de treize ans et pour les jeunes de 18-20 ans qui s'engagent aujourd'hui, c'est de l'histoire ancienne.
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Contrairement à l'EIIL qui fait feu de tout bois sur les terrains syrien et irakien, al-Qaida n'a pas grand-chose à montrer. Zawahiri n'a jamais eu l'aura de Ben Laden et son incapacité à communiquer directement n'arrange pas les choses. Peu formés sur le plan religieux, encore moins tolérants que leurs aînés, les jeunes djihadistes acceptent plus facilement l'extrémisme de l'EIIL.
La percée de l'EIIL dans les rangs des djihadistes internationaux tient à son entrée en Syrie en 2013, ce pays servant d'aimant pour nombre de jeunes attirés par le djihad. Les rapides victoires d'Abou Bakr al Baghdadi, le chef de l'EIIL ont facilité le recrutement de militants et le désaveu de l'organisation par le chef d'al-Qaida, désignant le Front al-Nosra comme le seul représentant d'al-Qaida en Syrie n'y a rien changé.
Devant les succès de l'EIIL en Irak, le Front al-Nasra a préféré se joindre à son concurrent au principal point de passage entre l'Irak et la Syrie.
Al-Qaida reste-t-elle la référence?
Les victoires attirent les financements et de ce côté, l'EIIL se porte très bien. Selon The Guardian, les autorités irakiennes auraient mis la main sur des cartes mémoires stipulant qu'avant la prise de Mossoul, l'EIIL était à la tête de 875 millions de dollars. Outre les dons privés, l'EIIL aurait exploité à son profit les puits de pétrole de l'est syrien et vendu des antiquités de très grande valeur dérobées en Syrie.
Pour les 18-20 ans,
le 11-Septembre, c'est de l'histoire ancienne

Depuis, les millions de dollars siphonnés dans les banques de Mossoul et les équipements militaires américains abandonnés par l'armée irakienne sont venus renforcer les coffres de l'organisation. L'EIIL qui a peut être appris d'al-Qaida, l'importance de la propagande, a mis en valeur ses prises de guerre qui ne peuvent qu'encourager les candidats au djihad à rejoindre le groupe.
Dirigé jusqu'à présent par al-Qaida, le djihad global qui visait pour son fondateur Ben Laden à l'instauration mondial du califat a peut être vécu sous sa forme centralisée. Pour les aspirants au Djihad, répartis par régions d'influence, al-Qaida est semble-t-il davantage devenue une inspiration qu'une force déterminante dans la conduite des opérations. Les franchises qui se réclament encore des pères fondateurs, comme al-Qaida au Magreb islamique, al-Qaida dans la péninsule arabique, al Shabaab en Somalie ont des liens plus ou moins lâches avec l'organisation initiale.
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Pour prétendre à détrôner d'al-Qaida, il faudrait d'abord que l'EIIL consolide ses succès en Irak qui restent dépendants de ses alliances: d'une part avec les tribus sunnites marginalisées par le pouvoir de Nouri al Maliki et d'autre part les anciens officiers du Baas écartés par les Etats-Unis. L'extrémisme islamique pratiqué par l'EIIL dans les territoires sous son contrôle pourrait très vite aliéner une partie de la population. Abou Bakr al Baghdadi n'a pas non plus derrière lui la renommée d'un Ben Laden, un Saoudien qui avait abandonné la vie facile promise par sa fortune au profit du djihad, un argument toujours souligné par ses fidèles.
En éclatant en groupes plus ou moins contrôlés, al-Qaida n'a pas perdu son pouvoir de nuisance et son nom continue pour l'instant à attirer pour nombre de jeunes qui rallient suivant leurs moyens les groupes les plus actifs et les plus aptes à répondre à leurs aspirations


Françoise Chipaux

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