26 Septembre 2014
~Désormais, chaque jour, on leur demande de se désolidariser de types avec lesquels ils n'ont rien à voir, qui ont pris leur livre de prières et le montrent à la face du monde entier. Mais ceux qui objectent à des initiatives comme «Not in my name» en estimant qu'il faut éviter les amalgames sont à côté de la plaque.
Enfin! Enfin, cette majorité silencieuse décide d’exister et refuse d’être confondue avec les gangsters mafieux qui dévoient sa religion. Enfin, des musulmans veulent mettre fin à cette équation terrifiante qui est dans tous les médias, dans toutes les têtes
: Islam = terroriste = burqa = criminel = peur = musulman = pas comme moi = haine
L'islam a perdu la guerre des images
La peur du musulman tueur est dans toutes les têtes. Oui, dans toutes les têtes, y compris chez les indignés professionnels qui, par construction négative, clament que les musulmans ne doivent pas être les seuls à protester. Or, c’est trop tard. Bien trop tard. Le musulman le plus peinard, peut-être même le moins dévot, celui qui fait sa prière toutes les trois semaines, ce musulman est devenu notre peur collective. Comme dans un vieux journal de 20 h, la France a peur.
Pourquoi se le dissimuler? Personne ne se barricade bien sûr mais l’islam a perdu la guerre des images. La France a une trouille, sourde, insidieuse, de cette religion, de cet autre, le musulman, qu’elle ne connaît pas, mais qu’elle voit désormais en tueur sanguinaire, armé de kalachnikovs et de couteaux. Prêt à égorger n’importe qui, y compris et surtout les gens les plus pacifiques, les plus sympathiques. C’est-à-dire moi, nous, tout le monde. Cette image s’est installée dans nos cortex à force de voir des tueurs, d’entendre parler de djihad, d’assister, impuissants et terrifiés, aux exécutions de masse et décapitations
. C’est à toi, le musulman de base, de faire quelque chose
Avant de poursuivre, il importe de préciser ceci: je suis athée, profondément, et je n’ai jamais compris qu’on puisse se mettre à genoux, à plat ventre ou même en lévitation pour prier. La croyance m’est étrangère, c’est ainsi. Même si la religion occupe à mes yeux un espace démesuré dans notre siècle, j’essaye pourtant d’être tolérant. En bon disciple du petit père Combes, je me méfie des curés mais pense que chacun est libre de prier et croire, du moment que ça n’intervient pas dans l’espace public. Ce qui implique aussi qu’on foute la paix à ceux qui respectent cette règle de base du «vivre ensemble», qu’ils soient musulmans, catholiques, juifs, bouddhistes ou lacaniens.
C’est pour ça que je m’adresse à toi, le musulman de base qui ne demande rien d’autre que de croire dans ton coin sans faire chier personne. Ton espace privé est désormais piégé. Il est piégé par un truc qui te dépasse, qui nous dépasse tous. Auquel on tente aujourd’hui de répondre par des bombes. Et sur la place publique, par une sorte de contrition horrifiée à laquelle tu es prié (hum…) de prendre ta part et un peu plus que ta part.
C’est injuste pour toi, musulman ordinaire, profondément injuste mais c’est malheureusement cette injustice qui te tombe dessus aujourd’hui. Et c’est à toi, d’abord, qu’il appartient d’y mettre fin. Ce ne sera pas facile et tu ne vas pas trouver beaucoup de gens pour t’aider.
La campagne «Not in my name» n’est qu’un début La campagne «Not in my name» est un bon début.
Les premières tentatives d’existence médiatique n’ont qu’un succès modeste, relève Le Monde, faisant état d’une page Facebook, «Etat islamique d'Irak: Pas en mon nom», avec seulement 250 J'aime. Un «Appel des musulmans de France» a été publié dans Libération: ça reste une tribune, sans grand impact sur le grand public. J’espère que l’appel du CFCM à se rassembler, ce vendredi 26 septembre, à la Mosquée de ~aura du succès. Il y aura sans doute d’autres initiatives en ce sens et c’est tant mieux.
Chacun sait que ça ne suffira pas.
Qu’est-ce qu’une dépêche AFP ou 3 minutes d’une manif au JT en face de cette image insidieuse du terroriste?
Rien, et chacun le sait.
Désormais, chaque jour, on te demandera de te désolidariser de types avec lesquels tu n’as rien à voir. Pas de bol, ils ont pris ton bouquin de prières et le montrent à la face du monde entier. Certains te demanderont de te désolidariser des terroristes parce qu’ils pensent que tu en es un toi-même. Un terroriste larvé, un ennemi de l’intérieur, vieille rengaine. Ils sont nombreux et pas bien disposés à ton égard. Tu auras du mal à les convaincre. Mais tu devras le faire pour mettre fin à un engrenage d’incompréhension et de haine qui conduira un jour à sécuriser les mosquées avec des CRS.
L’image de l’islam est bousillée
Ta religion est gangrenée et son image bousillée. Pour la rénover, n’importe quel Séguéla te dira cela, il faut la changer et qu’elle soit cohérente. La changer, ça veut dire que tu dois te bouger le cul et être inventif pour montrer dans la durée un Islam ouvert, bienveillant et, pourquoi pas?, drôle.
Ce serait bien de te voir, toi le musulman pépère, de t’entendre. Un peu. Souvent. Que tu aies un visage. Des visages. Des visages sympas, déterminés, comme tes potes de la vidéo. Et les mots qui vont avec! Non, ce n’est pas ça l’islam, ce n’est pas ma religion et je vous chie à la gueule avec votre djihad pourri et vos exécutions macabres. Je rêve d’entendre cela, d’entendre des musulmans le clamer avec fierté et la certitude de défendre une cause juste. La leur! Celle de pouvoir aller à la mosquée parce qu’ils sont croyants et qu’ils n’ont jamais eu l’idée de tuer qui que ce soit.
Deviens le Séguéla de ta religion
Tout le monde s’en fout, rétorqueras-tu, et tu auras raison. Les médias sont ainsi qu’ils préfèreront toujours les trains islamistes qui n’arrivent pas à l’heure. Sauf si tu parviens à faire parler de toi. Innove, sois inventif, trouve des trucs qui vont plaire aux journalistes. Du bling-bling ou du LOL, ils adorent ça. Et si tu ne sais pas comment t’y prendre, ne sois pas plus bête qu’un notaire et fais appel à une agence de pub qui saura trouver les bonnes idées.
La tribune publiée dans Le Figaro par un collectif de musulmans de France est parfaite. Elle frappe par la fermeté de la position et, osons le dire, la clarté du slogan: «Nous revendiquons l'honneur de dire que "Nous sommes aussi de sales Français"». Dans la guerre des images, les mots comptent aussi.
Ta religion est joyeuse et tolérante? Prouve-le, bordel! Fais des journées portes ouvertes dans les mosquées, tracte dans les marchés en distribuant des pâtisseries, porte un tee-shirt avec «Je vais à la mosquée et je ne mords pas» ou bien «50 vierges, non merci, je préfère ma copine délurée.» Si ça se trouve, tu peux faire du blé avec ça, en vendant des tee-shirts, des pulls, des djellabas ou des strings estampillés «Je suis le musulman des bisous».
Et défends ton droit à l’indifférence
Fais le tri aussi. Il y a des abrutis chez toi et tu le sais. Tu n’es pas le seul: dans la Manif pour tous, il y a du réac de première bourre. Si tu fais des manifs, il te faudra les écarter résolument. Pas de drapeau noir, pas de drapeau palestinien prétexte à un antisémitisme de moins en moins discret, pas de niqab qui n’a rien à voir avec la religion mais tout avec l’asservissement de la femme, pas de casseurs de vitrines. Ton service d’ordre doit être irréprochable.
Tu dois promouvoir un islam, comment dire? Laïcisé, intégré, tranquille, à l’aise dans la France de 2014. Tu dois créer des évènements auxquels viendra n’importe qui, sans crainte, un juif, une femme en décolleté, des gays, un catho ou même un athée comme moi. Juste pour défendre ton droit à l’indifférence.
Entre ceux qui te rendent responsable de tout et ceux qui ne te voient qu'en victime de l'oppression, je ne sais pas comment tu t'y retrouves (tu es ailleurs, évidemment, dans le monde réel). Ni comment tu vas t’y prendre pour trouver ta place –et je n’aimerais franchement pas y être, à ta place. Mais je pense que tu n’as plus le choix. Ceux qui t’objectent que tu n’es pas seul concerné, qu’il faut éviter les assimilations, les dérives… sont à côté de la plaque. Les bonnes âmes ne seront jamais à tes côtés lorsque tu subiras les regards de travers, le mépris, les insultes, la haine larvée. Ton symbole les intéresse, ta réalité, ils s’en foutent un peu.
Ça ne doit pas être facile d’être musulman aujourd’hui. Tu sais aussi bien que moi que la place de la religion en France est source de conflits: la loi de 1905 ne fut pas un accouchement sans douleur. Qu’en France, ta religion soit mêlée à un débat sans fin sur les flux migratoires doublé d’une histoire coloniale non digérée n’est pas fait pour arranger les choses. Je n’ai pas la moindre idée de ce que tu peux faire mais si ça ne bouffe pas trop mes convictions laïcardes, je serai à tes côtés.
Jean-Marc Proust
Ça ne doit pas être facile d'être musulman aujourd'hui
Désormais, chaque jour, on leur demande de se désolidariser de types avec lesquels ils n'ont rien à voir, qui ont pris leur livre de prières et le montrent à la face du monde entier. Mais ceux...