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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

SOREL Georges (1906) : Le caractère religieux du Socialisme

SOREL Georges (1906) : Le caractère religieux du Socialisme

M. Édouard Dolléans vient de publier sous ce titre une brochure qui est la reproduction d’un article qui avait paru dans la Revue d’économie politique (juin 1906). Ce sujet a été traité un grand nombre de fois ; mais il n’a jamais porté bonheur à ceux qui l’ont abordé. La brochure de M. Dolléans mérite un examen un peu détaillé, parce que l’auteur est chargé d’une conférence à la Faculté de droit de Paris et parce que la Revue d’économie politique est un organe de professeurs fort attachés au christianisme ; - on peut donc se permettre de regarder les idées de l’auteur comme ayant une valeur particulière et sa brochure comme ayant presque le caractère d’un manifeste lancé par la Faculté de droit de Paris.


Il semble que l’auteur ait été fort gêné pour développer son thème, car dans les 27 pages de sa brochure, il aborde beaucoup de questions étrangères à ce caractère religieux du socialisme ; je ne le suivrai point dans ses digressions et je m’enfermerai exactement dans le sujet.


Il faut, tout d’abord, établir une distinction que l’auteur néglige, entre le socialisme antérieur à 1848 et celui que nous connaissons aujourd’hui. Pendant longtemps on regarda comme un axiome de la philosophie de l’histoire, qu’aucune grande transformation ne peut être effectuée dans le monde sans le concours d’un changement religieux ; c’est ainsi que Feuerbach voulait, à la fois, ruiner le christianisme et fonder une nouvelle religion destinée à donner une valeur supérieure aux rapports sympathiques. « L’important pour lui, dit Engels, n’est pas que ces rapports existent ; c’est qu’ils soient conçus comme la nouvelle, la vraie religion. Ils n’ont une validité parfaite qu’alors qu’on leur imprime le sceau de la religion. » Engels rapporte que les écrivains français d’opinion avancée, « de la nuance Louis Blanc, ne pouvaient se représenter un homme sans religion autrement que comme un monstre et [qu’ils disaient aux réfugiés allemands] : Donc, c’est l’athéisme, votre religion ». (Religion, philosophie, socialisme, p. 192-193.)


Suivant Engels, la Révolution française, faisant appel uniquement à des idées juridiques et politiques, aurait clos l’ère des révolutions, ayant eu une couleur religieuse (loc. cit., p. 195) ; mais il faut tenir compte du grand réveil chrétien qui se produisit en France durant les dernières années du règne de Louis-Philippe ; les socialistes voulurent profiter de ce courant d’idées. En 1846 parut un livre de Cabet intitulé : « Le vrai Christianisme suivant Jésus-Christ », dans lequel on prétend établir que « le communisme, c’est le christianisme » ; en tête de la conclusion se trouvent les singulières affirmations suivantes : « Ainsi le christianisme, c’est la fraternité ; et nous avons pu dire que, si tous les hommes qui sont la lumière de l’Humanité par leur science et sa gloire par leurs vertus, sortaient du tombeau pour se constituer en concile ou congrès sous la présidence de Jésus-Christ, à l’effet de chercher l’organisation la plus favorable au genre humain, le congrès proclamerait unanimement le communisme. Elle arrivera donc cette communauté ; elle est l’infaillible avenir de l’Humanité ! »


M. Dolléans suit les idées qui étaient alors courantes, quand il écrit : « Il existe une étroite parenté et comme une communauté d’essence entre les modernes formes du socialisme et le socialisme d’avant la lettre des premiers chrétiens, des Pères de l’Église et des canonistes du Moyen-Âge » (p. 3). Cette thèse est regardée comme complètement fausse par M. Joseph Rambaud (Histoire des doctrines économiques), et cet auteur a une certaine compétence en ces matières religieuses, étant professeur à la Faculté catholique de Lyon. Je crois bien que M. Menger a encore une telle conception arriérée de la littérature chrétienne, qu’il emprunte d’ailleurs à un livre de Villegardelle paru en 1846 (Le droit au produit intégral du travail, p. 153) ; mais les erreurs de jugement abondent chez M. Menger ; et Engels contestait que les Pères de l’Église eussent fait une véritable critique de l’ancienne société (Mouvement socialiste, 15 janvier 1904, p. 105).


Jusqu’à quel point cette attitude des anciens socialistes était-elle sincère, c’est ce qu’on peut se demander quand on voit l’évolution des idées de Considérant au sujet de la religion. Voici, en effet, ce que disait Proudhon dans un article du Peuple en date du 12 février 4849 : « Après la Révolution de juillet, quand il semblait que la philosophie du Constitutionnel allait effacer pour jamais ce qui existait en France de catholicisme, M. Considérant, dans un discours à l’Hôtel de ville, parlant au nom de sa secte, osa s’écrier : Nous ne sommes pas chrétiens. Le mot fut recueilli : c’était une flatterie au libertinage du moment. Depuis, le vent a tourné aux idées religieuses, on s’est mis à prouver que Fourier était le continuateur de Jésus-Christ. Flatterie au clergé et aux Jésuites. » (Proudhon, Mélanges, t. I, p. 275.)


Les saint-simoniens avaient été des précurseurs à ce point de vue, et ils étaient venus trop tôt, - mais ils avaient été influencés par des idées allemandes, dont nos historiens du socialisme s’obstinent à ne pas vouloir tenir compte. Pierre Leroux a cependant expliqué, il y a longtemps, comment cette transmission s’opéra, et il a écrit même que « la doctrine de M. Enfantin est un emprunt fait à Hegel » ; les trois hommes qui agirent dans cette occasion furent Eugène Rodrigues, d’Eichthal, et Jules Lechevalier qui avait suivi les cours de Hegel (Revue indépendante, mai 1842, pp. 331-333). Cousin apportait, lui aussi, des formules hégéliennes à la Sorbonne, et la popularité de ses cours devait conduire les saint-simoniens à croire qu’en parodiant la philosophie allemande, ils obtiendraient le plus grand succès. Je crois qu’Enfantin ne voyait dans les formules allemandes qu’une manière commode de dissimuler sa médiocrité sous un galimatias considérable. C’est évidemment l’Allemagne qui lui faisait croire à la toute puissance des idées religieuses. Dix ans plus tard, Pierre Leroux présenta sa philosophie du bafouillage et sa religion de l’Humanité ; lorsque les circonstances ne furent plus favorables à ce genre de mauvaise littérature, Pierre Leroux s’arrêta et il vécut, durant toute la durée du second Empire, parfaitement inconnu ; il n’aurait plus trouvé de public pour écouter ses balançoires. M. Dolléans me semble donc commettre une grave erreur quand il attribue de l’importance à Pierre Leroux. « Il n’est personne qui montre mieux le mysticisme humanitaire du socialisme et sa filiation chrétienne. » (p. 12) ; il a été conduit à cette appréciation par la lecture d’un livre de M. Faguet ; mais c’est le cas de répéter le vieux proverbe : que le savetier ne critique point ce qui dépasse la chaussure, et que les gens de théâtre ne se mêlent point de questions étrangères aux cabales des coulisses.


M. Dolléans écrit : « Le socialisme est la forme qu’a prise au XIXe siècle la religiosité latente de la nature humaine, la forme sous laquelle se manifeste aujourd’hui le mysticisme de certains tempéraments. Le socialisme, c’est la foi nouvelle qui groupe autour d’elle les âmes insatisfaites et assoiffées d’idéal... Lorsque l’on veut ramener à l’unité les variantes du socialisme, on peut dire qu’elles présentent avant tout ce caractère religieux » (pp. 2-3). Il ajoute, un peu plus bas, qu’il ne trouve pas de différence essentielle entre « le socialisme sentimental des premières heures et le socialisme le plus moderne, soit qu’il se présente sous la forme de socialisme aimable à la Fournière, de socialisme pompeux à la Jaurès, ou de socialisme renfrogné à la Guesde. » (pp. 4-5)


De pareilles propositions peuvent se défendre, parce que la langue commune emploie tous les termes soulignés dans un sens prodigieusement vague. Le fanatisme et le dévouement, la crédulité stupide et l’élan poétique, la fantasmagorie des merveilles magiques et la foi éclairée d’un Bossuet peuvent être également rattachés à la religion : ce sont cependant choses fort distinctes. L’auteur emprunte à M. G. Le Bon une définition qui montre, mieux que tous les exemples, ce qu’a de vague le mot religieux : « On n’est pas religieux seulement quand on adore une divinité, mais quand on met toutes les ressources de l’esprit, toutes les soumissions de la volonté, toutes les ardeurs du fanatisme, au service d’une cause ou d’un être qui devient le but ou le guide des pensées ou des actions. » (p. 2). À ce compte, presque toutes les sociétés secrètes, et beaucoup d’associations de malfaiteurs seraient religieuses !


Quand on parle de religion dans les temps modernes, on suppose toujours qu’il s’agit d’une foi dans le surnaturel particulier : l’homme religieux croit que le cours normal des choses peut être changé en sa faveur à la suite d’une fervente prière ; le peuple religieux demande à Dieu de lui donner la victoire et il remercie Dieu des succès que remportent ses généraux. Je ne vois pas que le socialisme renferme une telle croyance.


Je ne trouve point que le socialisme soit non plus la manifestation du mysticisme de certains tempéraments ; Fournière, Zévaès, Gérault-Richard ou Jaurès n’ont rien qui les rapproche de saint François d’Assise ou de saint Bruno. Chez les saint-simoniens on peut, je le reconnais, signaler un assez grand nombre de faits bizarres analogues à ceux que l’on signale dans les revivais du méthodisme (Charléty, Histoire du saint-simonisme, pp. 171-175, p. 182) ; mais ce ne furent que des incidents qui ne laissèrent pas de traces durables sur le socialisme ; ils contribuèrent à engager Enfantin dans une voie où il se couvrit de ridicule et on ne les retrouve plus dans les autres écoles.


Ce mot mysticisme semble avoir pour beaucoup de personnes le sens de mystification ou d’illusion facile ; il est, d’ailleurs, à peine français et Littré ne le connaît que dans le sens d’une philosophie qui admet des communications secrètes entre Dieu et l’homme, ou dans le sens d’une doctrine qui explique d’une manière mystérieuse les livres saints ou les choses de ce monde. Quand on parle de personnages mystiques on entend presque toujours parler de gens qui se livrent à des exercices religieux, grâce auxquels se manifestent successivement les états psychologiques de la voie mystique, qui permet d’atteindre l’union avec Dieu. Je ne crois pas que M. Dolléans connaisse des socialistes ayant parcouru cette voie. Je suppose que l’auteur entend seulement parler de l’exaltation des masses socialistes ; mais une telle exaltation n’est pas nécessairement religieuse.


La foi n’est pas un terme moins vague que les précédents ; on parle journellement de la foi du savant, de la foi de l’explorateur, de la foi de l’inventeur, parce que ces hommes sont si complètement dominés par une idée qu’ils en arrivent à négliger leurs intérêts immédiats les plus certains et semblent vivre quelquefois dans un rêve. Il y a quelques années, M. Brunetière citait ce passage d’un discours de Liebknecht : « Nous avons ce qui constitue la force d’une religion... , la foi dans la victoire de la justice et de l’idée, la ferme conviction que le droit doit triompher et l’injustice avoir un terme... Cette religion ne nous fera jamais défaut, car elle ne fait qu’un avec le socialisme. Oui, nous avons encore la foi ; nous savons que nous marchons à la conquête du monde. » (Discours de combat, pp. 46-48). Mais il faudrait bien forcer le sens de ces paroles pour les entendre d’après le système de M. Dolléans ; M. Brunetière se bornait à y signaler la preuve qu’on ne fait de grandes choses qu’à la condition de faire appel aux idées au lieu de s’occuper seulement des intérêts.


Le syndicalisme révolutionnaire, malgré certaines apparences, demeure, d’après M. Dolléans, une conception religieuse : « On compte pour métamorphoser la société, sur la toute puissance créatrice et régénératrice d’une classe supérieure aux autres classes sociales. Cette supériorité lui vient de sa pauvreté - si l’on considère que la richesse n’a pas encore énervé la moralité ni les forces de rénovation de cette classe nouvelle, - et de sa situation de classe productive - la fonction de production des utilités matérielles, donnant à la classe ouvrière l’éminente dignité dans la société nouvelle. L’acte de foi, qui est la base du syndicalisme révolutionnaire, suppose la croyance... en la vertu particulière d’une classe, la croyance en la toute puissance que possède cette classe pour régénérer la société. » (p. 22). Ce serait donc surtout à propos de cette doctrine que l’on pourrait appeler le socialisme « la religion du prolétariat déifié » (p. 4). Ceci est parfaitement inexact ; l’originalité la plus remarquable du syndicalisme révolutionnaire est, en effet, de fonder la supériorité qu’il attribue à la classe ouvrière sur les qualités qu’elle acquiert dans les luttes sociales. Ce n’est pour aucune des raisons données par M. Dolléans que le prolétariat peut régénérer l’humanité ; c’est uniquement parce qu’il est la seule classe qui actuellement soit animée d’un esprit de guerre et, par suite, la seule qui soit virile et capable de progrès.


Adopter un parti dans les luttes sociales, c’est faire acte de foi, je le veux bien ; le républicain qui combattait le second Empire avait foi dans la vertu propre des institutions républicaines ; le légitimiste croit que la prospérité des États dépend du respect des principes d’hérédité ; et ces choses-là ne se démontrent pas ; chacun de nous fait un choix entre des postulats et s’y attache fermement ; mais ce ne sont point là des actes de religion.


Je suis fort surpris que l’auteur ait tiré argument de ce que j’ai écrit sur les mythes (p. 24). J’ai dit que la révolution prolétarienne apparaît aux ouvriers actuels comme toutes les grandes révolutions apparurent à leurs promoteurs, comme un drame dont les péripéties ne sauraient être prévues, mais dont l’ensemble est clairement figuré. Lorsque nous avons à nous déterminer dans la vie commune, nous procédons aussi en nous représentant l’avenir sous une forme dramatique, capable de diriger nos sentiments ; ces constructions sont de la même nature que les mythes sociaux ; mais elles s’évanouissent avec rapidité, tandis que ceux-ci peuvent acquérir une solidité qui leur donne une apparence d’historicité. Il m’avait paru naturel de donner le nom de mythes à ces constructions, par analogie avec les mythes platoniciens qui ne sont point, non plus, des œuvres religieuses, mais où l’on est d’accord pour trouver l’expression la plus profonde de la pensée du philosophe.


La thèse de M. Dolléans me semble lui avoir été inspirée par une des idées les plus cocasses que l’on rencontre dans A. Comte : ce bonhomme a décrété qu’on peut seulement supprimer ce qu’on remplace ; or le socialisme contemporain se présente comme un destructeur de la religion, c’est donc qu’il la remplace.


« Cette doctrine aime à se parer d’anticléricalisme ; ses adeptes voient dans la religiosité la marque d’un état d’âme quelque peu arriéré et dans tout Credo un préjugé indigne de libres esprits. Cependant, malgré cette attitude, l’hostilité qui oppose le socialisme anticlérical au christianisme social vient peut-être moins d’un antagonisme réel que d’une secrète et inconsciente concurrence entre deux conceptions qui aspirent à l’hégémonie, entre deux Credo qui se disputent les fidèles. » (p. 3).


Ainsi l’observation contemporaine nous montrerait les luttes auxquelles donne lieu cette tendance du socialisme voulant prendre la place de l’Église. Malheureusement il ne parait guère que les choses se produisent de cette manière ; ce ne sont pas les socialistes qui cherchent à prendre la place des prédicateurs du christianisme social ; ce sont ceux-ci qui mettent tout en œuvre pour donner le change aux ouvriers sur leurs véritables pensées et qui prennent le langage du socialisme M. Vilfredo Pareto a fort bien montré comment les chrétiens sociaux copient le socialisme (Systèmes socialistes, t. I, pp. 250-262). Ainsi le socialisme ne cherche pas à remplacer l’Église. L’auteur a un autre argument fondé sur l’histoire des idées ; le socialisme serait antérieur au mouvement ouvrier dont il prétend être seulement l’interprétation ; le socialisme provient de la philosophie du XVIIIe siècle et celle-ci serait issue du christianisme d’une manière singulière, découverte par M. Espinas. « L’unique originalité des penseurs matérialistes du XVIIIe siècle a été de laïciser la conception chrétienne et de reporter du passé dans l’avenir l’idée d’un état de nature antérieur au péché, état de perfection, de justice, d’égalité et de bonheur, dont parlait la philosophie chrétienne. Le rêve de bonheur social fondé sur l’égalité est du pur christianisme dont le socialisme n’est que le prolongement, et les socialistes sont, par un amusant paradoxe, des chrétiens sans le savoir. » (pp. 8-9).


Voilà une découverte comme seul peut en faire M. Espinas, qui a déjà tant découvert de choses burlesques et que l’Université fit venir de Bordeaux à Paris, il y a une douzaine d’années, pour écraser le marxisme. Tout le monde sait que cette attente d’un paradis terrestre est antérieure de bien des siècles au XVIIIe, qu’elle a fait tourner beaucoup de têtes au Moyen-Âge et qu’elle a joué un rôle assez important dans l’histoire de l’Angleterre dissidente. Mais abandonnant ces hauteurs, n’est-il point permis de trouver de singulières analogies entre certaines idées fort répandues parmi les socialistes et certaines idées que l’on rencontre à chaque pas chez les catholiques ? Ainsi les intérêts matériels devraient être subordonnés aux intérêts spirituels (p. 8). « L’unité morale est la fin dernière que se proposent les réformateurs sociaux. L’État n’est pas seulement un fabricant de produits, mais aussi un fabricant de caractères. Pour inspirer la production d’une âme collective, ne faut-il pas, comme le dit M. Jaurès, insuffler à l’argile humaine une Âme communiste ? », et l’auteur observe, avec M. Yves Guyot, que l’on arrive ainsi à la conception que se sont faite tous les théoriciens des religions (pp. 6-7). - « La nature humaine est une matière première malléable, aisée à façonner pour le fabriquant de bonheur social » (p. 4) ; tous les anciens missionnaires ont prétendu qu’ils pouvaient, avec leurs leçons de catéchisme transformer facilement les sauvages. »


Voilà certes des ressemblances qu’on ne saurait négliger ; mais il n’est pas du tout évident que leurs origines soient religieuses ; elles se rattachent uniquement à la croyance en la toute puissance de l’État que l’antiquité a eue à un degré extraordinaire et qui est une des formes les plus caractéristique de l’esprit démocratique actuel. Que le catholicisme ait eu une action sur la démocratie, il me semblerait paradoxal de le contester, mais encore faudrait-il distinguer, avec soin, dans le catholicisme ce qui est religion et ce qui est gouvernement. A. Comte n’attachait d’importance qu’à cette deuxième partie, et voulait créer une prétendue religion, qui aurait copié les rites catholiques sans chercher à les comprendre et dont la théologie n’eût pas dépassé le niveau du fétichisme. La démocratie a voulu profiter de l’expérience catholique, comme en avait profité la royauté ; elle a voulu, elle aussi, utiliser ses moyens de domination, et elle a répandu la superstition de l’autorité, mais elle n’a point touché aux questions religieuses.


Le socialisme été longtemps regardé comme étant une dépendance de la démocratie, et par sorte, il se trouve souvent être une imitation catholique indirecte ; mais, depuis quelques années, on fait de très grands efforts pour rompre tout lien de ce genre ; le syndicalisme révolutionnaire se propose d’affranchir le socialisme de tout lien avec la démocratie et, par suite, avec l’Église. Il résulte de-là que la thèse de M. Dolléans est appelée à perdre toute apparence de vraisemblance et que les seules analogies vraiment importantes qui existent entre le socialisme, encore engagé dans la tradition démocratique, et le catholicisme, ne tiennent pas aux idées religieuses. Je crois qu’il ne serait pas inutile de reprendre le travail de M. Dolléans, en s’inspirant des observations précédentes, en vue de bien montrer tout ce que renferme d’ecclésiastique la pensée de nos démocrates contemporains et de rechercher quels moyens efficaces peut employer le socialisme pour se débarrasser de tout cet héritage malheureux.


Georges Sorel


Source :


— Le Mouvement socialiste, n° 180, novembre 1906, pp. 282-290 ;


— Première transcription internet, Espace contre Ciment, 2011 ; Corrections et mise en page HTML : Smolny, 2011 ;


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