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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

La Révolution Espagnole - 1931-1939 P. Broue

La Révolution Espagnole - 1931-1939             P. Broue

Les organisations ouvrières dans les debuts de la république

Document 1 : La loi de défense de la république votée par les députés socialistes (octobre 1931).

Article Premier.

Sont considérés comme des actes d'agression contre la République, et, comme tels, soumis à la présente loi :

1° L'excitation à la désobéissance aux lois et aux dispositions légitimes des autorités.

2° L'incitation à l'indiscipline, la provocation à l'antagonisme entre les différentes parties de l'armée, ou entre celles-ci et les organisations civiles.

3° La propagation de nouvelles pouvant ébranler le crédit ou troubler la paix ou l'ordre public.

4° La provocation indirecte ou l'incitation à commettre des actes de violences contre les personnes, les choses ou les propriétés, pour des motifs religieux, politiques ou sociaux.

5° Toute parole ou geste de mépris à l'égard des institutions ou organismes de l'État.

6° L'apologie du régime monarchique ou des personnes qui le symbolisent, l'usage d'emblèmes, insignes ou signes distinctifs faisant allusion à ce régime ou à ces personnes.

7° Le port illégal des armes à feu et la possession de substances explosives prohibées.

8° La suspension ou la cessation d'industries ou de travaux de n'importe quel ordre, sans justifications suffisantes.

9° Les grèves non annoncées huit jours à l'avance, à moins qu'il n existe d'autres délais annoncés dans une loi spéciale ; les grèves déclenchées pour des motifs autres que des questions de travail, et celles n'ayant pas été précédées d'un arbitrage ou d'une conciliation.

10° Les variations injustifiées du prix des denrées.

11° Le manque de zèle ou la négligence de la part des fonctionnaires publics dans l'exécution de leur service.

Art. II

Pourront être déportés ou bannis pour une période qui ne sera pas supérieure à celle de la validité de cette loi, ou frappés d'amende jusqu'à un maximum de 10 000 pesetas, les auteurs directs des actes énumérés dans les § 1 à 10 de l'article précédent, ainsi que ceux qui auront incité à les commettre. En outre, sera, selon le cas, confisqué ou suspendu ce qui aura servi à leur exécution. Ceux qui se sont rendus coupables des faits indiqués dans le § 11 seront suspendus, ou privés de leur charge, ou rétrogradés.

Art. III

Le ministre de l'Intérieur a la faculté de :

>1° Interdire les réunions ou manifestations publiques de caractère politique, religieux ou social, quand, en raison des circonstances. on peut présumer que leur déroulement pourrait troubler la paix publique.

2° Dissoudre les centres des associations considérées comme incitant à la réalisation des actes énumérés dans l'article I de cette loi.

3° Examiner la comptabilité et enquêter sur l'origine et la distribution des fonds de n'importe quelle organisation énumérée par la loi sur les associations.

4° Décréter la confiscation des armes de tout ordre et des substances explosives, même de celles qui sont légalement détenues.

Art. IV.

L'application de la présente loi est confiée au ministre de l'Intérieur.

Le gouvernement pourra, pour l'appliquer nommer des délégués spéciaux dont la juridiction s’étendra à deux ou plusieurs provinces.

Si, lors de la dissolution des Cortes constituantes, celles-ci ne prorogent point cette loi, il sera entendu par là qu'elle sera abolie.

Document 2 : commentaires des communistes sur le vote de la loi de défense de la République.

« Une analyse sommaire de cette loi prouve son caractère éminemment anti-prolétarien, malgré les efforts que font les sociaux-démocrates pour la présenter comme dirigée contre la droite monarchiste et contre la gauche anarchiste...

... L'emploi fait par les autorités sociales-démocrates d'Allemagne des lois pour la protection de la république soi-disant votées contre la droite montre que ces lois sont dirigés en réalité contre le prolétariat révolutionnaire.

Déjà la presse du Parti communiste est interdite, tandis que les journaux monarchistes continuent leur parution. La république des banquiers avait besoin d'une arme pour massacrer « légalement » les travailleurs d'Espagne, et ce sont les ministres social-fascistes qui se sont empressés de la mettre à sa disposition.

Le prolétariat d'Espagne ne manquera pas de répondre à cette nouvelle provocation par le renforcement de la lutte révolutionnaire sous la direction du Parti communiste. »

(« Les Cortes votent une loi scélérate ‘pour la défense de la République' », La Correspondance Internationale, n° 98, 31 octobre 1931, p.1111)

Document 3 : Le point de vue « faïste » dans la C.N.T.

« Contre la force autoritaire, ce qui compte, c'est la tactique personnelle, individualiste, de petits groupes. Aux ressorts du Pouvoir s'opposent l'ingéniosité et l'audace des révolutionnaires. S'il est impossible de combattre au corps à corps, la poitrine découverte, contre des organisations qui l'emportent inévitablement, il est en revanche possible de les combattre par d'autres moyens. Le principal atout des organisations qui sont au service de la bourgeoisie, c'est l'abondance des éléments dont elles disposent pour se battre. Le principal atout de la révolution doit être l'audace, le combat dans l'ombre, la capacité de semer la terreur qui démoralise, l'efficacité du dommage infligé sans risque on avec un risque minime. »

(Tierra y Libertad, 14 avril 1933.)

Document 4 : Les conclusions du manifeste des « trente »

... « Nous sommes révolutionnaires, oui, mais nous ne cultivons pas le mythe de la révolution. Nous voulons la disparition du capitalisme et de l'État, qu'il soit rouge, blanc ou noir ; mais non pour le remplacer par un autre, mais pour que, une fois la révolution faite par la classe ouvrière, celle-ci puisse empêcher la réinstallation de tout pouvoir, quelle que soit sa couleur. Nous voulons une révolution qui naisse d'un sentiment profond du peuple, comme celle qui est en train de se forger aujourd'hui et non une révolution qu'on nous offre, que prétendent réaliser ces individus qui, s'ils y arrivaient, qu'ils l'appellent comme ils le veulent, se convertiraient fatalement en dictateurs dès le lendemain de leur triomphe. Cette révolution, nous la voulons et nous la désirons.

La majorité des militants de l'organisation la veut-elle aussi ? Voilà ce qu'il faut élucider, ce qu'il faut poser clairement bien avant. La Confédération est une organisation révolutionnaire, non une organisation qui cultive la bagarre et l'émeute, qui ait le culte de la violence pour la violence, de la révolution pour la révolution. De ce point de vue, nous nous adressons aux militants, à tous, et nous leur rappelons que l'heure est grave, nous attirons leur attention sur la responsabilité que va prendre chacun par son action ou son abstention. Si aujourd’hui, demain, n'importe quand, on les appelle à un mouvement révolutionnaire, qu'ils n'oublient pas qu'ils se doivent à la Confédération nationale du travail, à une organisation qui a le droit de se contrôler elle-même, de veiller sur ses propres mouvements, d'agir par son initiative propre et de se déterminer à partir de sa volonté propre. Que la Confédération soit celle qui, suivant ses voies propres, doit dire comment, quand, dans quelles circonstances il faut agir ; qu'elle ait une personnalité et des moyens propres pour faire ce qu'elle a à faire.

Que tous sentent la responsabilité de ce moment exceptionnel que nous sommes en train de vivre. Qu'ils n'oublient pas que, de même que le fait révolutionnaire peut conduire au triomphe, et que, quand on échoue, on doit tomber avec dignité, de même toute action sporadique de la révolution conduit à la réaction et au triomphe des démagogies. Que chacun adopte aujourd'hui la position qui lui semble la meilleure. La nôtre, vous la connaissez. Fermes dans cette proposition, nous la maintiendrons en tout temps et en tout lieu, même si, pour la maintenir, nous sommes roulés par les courants contraires. »

(J. Peirats, La C.N.T. en la Revolución Española, t. 1, pp. 47-48.)

Document 5 : Le point de vue du secrétaire de l'Internationale communiste sur la chute de Primo de Rivera.

« Il faut se rendre nettement compte qu'en dépit des formes de guerre civile auxquelles donne issue l'essor révolutionnaire d'Espagne, la classe ouvrière ne joue pour le moment qu'un rôle mime dans ce mouvement. De ce fait, les mouvements de cet ordre défilent sur l'écran historique comme un simple épisode qui ne laisse pas de traces profondes dans l'esprit des masses travailleuses et n'enrichit pas leur expérience de la lutte de classes. Une grève partielle peut avoir pour la classe ouvrière internationale une importance plus suggestive qu'une telle révolution « genre espagnol », qui s'effectue sans que le P.C. et le prolétariat y exercent leur rôle dirigeant. »

(Traduction française d'une intervention de D. Manuilski, secrétaire de l'exécutif de l'I.C., au X° Plénum du comité exécutif, La correspondance Internationale, n° 44, 1930, p. 523.)

Document 6 : Maurín et l'I.C. en 1930, selon l'I.C.

« Je suis rentré en Espagne, comme vous le savez, pour y travailler d'accord avec la ligne de l'I.C. et les résolutions du II congrès du P.C.E. C'est dans ce sens que je vous ai écrit lors de mon séjour à Moscou, et telle est en fait mon intention.

Le Comité exécutif me présente comme un trotskyste. Vous savez que cela est absolument faux. J'ai pris position sur le trotskisme en 1925 lorsque la majorité du comité exécutif actuel du P.C.E. était trotskyste. D'autre part, l'organe trotskyste La Vérité me combat comme l'élément le plus dangereux pour ses projets dans le P.C.E..

J'ai accepté très sincèrement la ligne de l'I.C. et travaillé toujours d'accord avec elle. Vous connaissez, je pense, toute ma fidélité envers la cause communiste. »

(Lettre au secrétariat de 1'I.C., de Barcelone, le 8 juillet 1930, citée dans La Correspondance Internationale, n° 65, 22 juillet 1931, p. 812.)

Document 7 : L'Exécutif de l'I.C. et l’exclusion de Joaquín Maurín

« Le C.E. de l'I.C. appelé à se prononcer sur la décision du P.C.E. excluant Joaquín Maurín des rangs du parti et sur l'appel de Maurín à l'Internationale contre cette décision, constate :

1) Dans toute son activité politique, dans ses discours, ses articles, Joaquín Maurín défend une ligne politique, tactique et d'organisation contraire à la ligne de l'Internationale et du P.C. espagnol, une ligne libérale menchévistse qui, dans la situation révolutionnaire actuelle de l'Espagne, constitue une véritable trahison du prolétariat révolutionnaire. Maurín, bien que partant de l'affirmation juste que la révolution espagnole est une révolution démocratique-bourgeoise, ne comprend pas que le prolétariat et ses alliés les paysans doivent jouer dans le développement même de cette révolution un rôle dirigeant...

Au lieu de chercher à éclairer le prolétariat sur son rôle dirigeant dans la révolution démocratique en cours, Maurín veut transformer le mouvement ouvrier en appendice des groupes et partis petits-bourgeois qui font l'œuvre politique de la bourgeoisie. Cette politique n'est pas autre chose au fond que celle des anarcho-syndicalistes et des social-démocrates pour ne pas gêner le gouvernement bourgeois... Cette politique libérale menchéviste a conduit Maurín à pratiquer une politique trotskyste en collaboration avec Nín... Jamais il n'a combattu le trotskisme ni ne s'est clairement différencié de lui. Enfin... Maurín et son groupe ont soutenu les chefs anarcho-syndicalistes de la C.N.T. dans leur campagne contre l'action révolutionnaire du Parti communiste...

2) Maurín, pour tromper les ouvriers révolutionnaires et masquer son travail de désagrégation du mouvement communiste espagnol, a systématiquement mené un double jeu de politicien ; .. En collaboration avec Nín et d’autres trotskistes exclus, il mène la campagne de dénigrement contre le P.C.E., s'efforce de désagréger ses rangs et a organisé la scission de la Fédération communiste de Catalogne, s'efforçant de dresser contre l'Internationale les ouvriers révolutionnaires de Catalogne... Le C.E. de l'I.C. considère comme absolument juste et justifiée la décision du C.E. du P.C.E. excluant Maurín de ses rangs... »

Moscou, 3 juillet 1931,

Le Comité exécutif de l'I.C.

(La Correspondance Internationale, n°65, 22 juillet 1931, pp. 811-812.)

Document 8 : Andrés Nín sur Joaquín Maurín

« 2 novembre 1930 : Fédération communiste catalano-baléare. Jusqu'à très récemment, elle a adhéré au parti officiel. Son leader le plus en vue est Maurín. A son arrivée en Espace, le C.E. qui n'a jamais vu d'un bon œil ce camarade (car, malgré ses hésitations, c'est un camarade très intelligent et surtout très honnête) lui a demandé de faire une déclaration contre le « trotskysme » et de renoncer à ses « anciennes erreurs ». Il s'est refusé à donner cette déclaration et alors on l'a exclu... Je ne sais pas si vous savez que je suis lié avec lui d'une très vieille amitié. Maurín est très proche de nous et je suis sûr qu'il finira par se prononcer pour l'Opposition... Nous pourrions tout gâter si nous l'attaquions de façon trop injuste.

5 février 1931 : Les thèses politiques de la Fédération communiste catalane... ont été rédigées par moi et Maurín.

7 mars 1931 : La Fédération catalane estime que mon adhésion directe... pourrait aggraver ses rapports avec I'I.C. C'est juste.

12 avril 1931 : Si aujourd'hui mon entrée n'a pas été possible, elle le sera bientôt, peut-être avant un mois...

15 avril 1931 : La Fédération catalane est venue solliciter mon concours. Je ne pouvais pas le refuser, et me voilà travaillant d'une façon immédiate (en réalité dirigeante dans une large mesure) dans le comité central de cette organisation.

29 juin 1931 : Son orientation est toujours chancelante, indéfinie. Mes rapports avec ses dirigeants ont passé par diverses étapes, collaboration, rupture, de nouveau collaboration, de nouveau rupture. Nous nous trouvons actuellement dans ce dernier cas... jusqu'au congrès d'unification.

13 juillet 1931 : Pour le n° 3 de la revue [il s’agit de Comunismo] j'ai écrit un article contre les erreurs de Maurín. On ne peut pas garder le silence sur elles sans grand danger pour le mouvement. La campagne électorale que le Bloc a faite ces jours-ci avait très peu de chose de communiste. »

(Extraits de lettres d'Andrés Nín à Trotsky, « La Révolution espagnole (1936-1939) », Études marxistes, n°7-8, pp. 8042.)

Document 9 : Le P.C. espagnol et la coalition républicano-socialiste.

« La contre-révolution a chargé Azaña de prendre le fouet de la répression et de la terreur contre les ouvriers et les paysans révolutionnaires » (Mundo Obrero, 13 juin 1933.)

« Largo Caballero, « presque » bolchevik, et complètement social-fasciste » (Mundo Obrero, 17 août 1933.)

« Le social-fasciste Prieto, laquais sanglant du capitalisme ». (Mundo Obrero, 15 février 1933.)

« Nous dénonçons ouvertement devant tous les ouvriers la concordance entre le Comité exécutif du Parti socialiste espagnol et les préparatifs de Lerroux » (Mundo Obrero, 19 septembre 1933.)

« Les chefs socialistes, eux aussi, complotent et protègent le fascisme. » (Mundo Obrero, 24 mai 1933.)

« Les chefs socialistes pactisent avec la contre-révolution et le fascisme. » (Mundo Obrero, 30 mars 1932.)

« Le gouvernement Azana-Prieto, dans une note officielle, se met aux ordres de ses patrons les capitalistes. » (Mundo Obrero, 22 avril 1933.)

« Il n'y a, il ne peut y avoir de fonctions intermédiaires. Il faut démasquer les traîtres et les démagogues démocratiques. » (Mundo Obrero, 15 février 1933.)

Unité ouvrière et voie révolutionnaire

Document 10 : Le tournant à gauche des socialistes à travers les discours de Largo Caballero (1934)

« Nous autres, nous avons cru qu'il était de notre devoir de souffrir tout ce qu'il fallait souffrir et endurer pour soutenir la République. Je ne vais pas faire l'histoire de ce que nous avons souffert et enduré. Je vais seulement rappeler que nous, socialistes, avons poussé la loyauté, après avoir mis toute notre force organisée au service de la révolution, jusqu'à contribuer, un peu à contrecœur, mais avec la loyauté à laquelle nous étions obligés, à ce que le Parlement approuve l'ensemble de la législation répressive et restrictive qui existe aujourd'hui en Espagne. Législation qui sera, certainement, utilisée contre les travailleurs ; mais qui était nécessaire pour le soutien du régime. Nous autres, quand nous étions au pouvoir, nous avons eu plus de morts par la force publique qu'à d'autres époque, pendant le même laps de temps. Nous avons travaillé à empêcher des grèves qui auraient pu bouleverser l'économie du pays. Il est clair que nous ne pouvions les éviter toutes ; mais, en définitive, nous nous sommes comportés loyalement....

... Le Parti socialiste a été chassé du pouvoir de façon ignominieuse. Le Parti socialiste et la classe ouvrière consciente d'Espagne ne pourront jamais oublier, qu'après ce qu'ils avaient fait, on les ait chassés de la manière dont cela a été effectué...

... Je crois que sous la République, il se comprend parfaitement qu'on dise à la classe ouvrière de façon claire et nette qu'elle n'a pas atteint le but de ses aspirations, et qu'il lui faut aller beaucoup plus loin. Que « beaucoup plus loin » ne signifie pas abattre la république pour que vienne une monarchies mais remplacer cette République par une République sociale...

... D'abord, lutter de tout notre possible pour amener au parlement tout ce que nous pourrons ; plus il y en aura et mieux ce sera. De même dans les conseils municipaux. C'est-à-dire la lutte légale, la lutte dans le cadre de la constitution. Nous luttons dans ce cadre. Mais si le gouvernement en sort, s'il porte des coups à la classe ouvrière, alors nous ferons ce que j'ai dit devant le conseil de guerre quand a comparu devant lui le Comité révolutionnaire : que nous étions allés à la révolution parce que le gouvernement de la monarchie n'autorisait pas la liberté comme il aurait dû le faire, et parce que la classe ouvrière ne trouvait pas de solutions immédiates pour l'amélioration de ses conditions...

... Pour assurer la victoire, nous devons en finir avec les luttes internes à la classe ouvrière. Et je saisis cette occasion pour me tourner vers ces groupes de travailleurs qui, bien à tort, nous combattent. Où veulent-ils aller ? Quel est leur objectif ? Leur objectif, comme le nôtre, c'est l'égalité sociale. Et si nous allons vers les mêmes objectifs et si nous voulons en finir avec la classe capitaliste, qui étouffe ses haines et ses rancœurs pour s'unir contre la classe ouvrière, pourquoi nous autres n'aurions-nous pas aussi à écouter nos haines et nos rancœurs pour constituer un faisceau bien uni et combattre efficacement l'ennemi commun ? Si nous avions plus de temps, nous ferions un exposé complet sur la conception socialiste de l'État. On nous accuse d'entretenir l'idée que l'État est au-dessus de la classe ouvrière. Ceux qui parlent ainsi montrent qu’ils n'ont pas bien compris nos idées. Nous voulons que l'État disparaisse en temps qu'élément d'oppression. Nous voulons en faire un organisme purement administratif, et c'est tout. »

(F. Largo Caballero, Discursos a los Trabajadores, pp. 16, 18, 84, 122.)

Document 11 : Le tournant à gauche du Parti socialiste vu par un communiste trotskyste

« Il semble que le Parti socialiste se soit rendu compte que la bourgeoisie se prépare à éliminer complètement tout ce que le monde ouvrier a réussi à bâtir au cours de l'évolution historique. Et comme, en définitive, le Parti socialiste est partie intégrante de ce monde ouvrier et s'en nourrit, il court également le danger d'être détruit. Il ne s'agit plus pour le Parti suiviste de servir la bourgeoisie en usant de son influence pour endormir le prolétariat, car la bourgeoisie lui a fait savoir que non seulement elle ne lui paierait rien pour ce service, mais encore qu'une nécessité supérieure la conduisait à exécuter son vieux serviteur.

Placé dans cette macabre situation, le Parti socialiste, atterré, s'écrie : « Il faut faire la révolution ! », comme le condamné à mort qui, au pied de l'échafaud, hurle qu'il ne veut pas mourir. C'est parce qu'il a peur que le Parti socialiste entreprend un tournant radical et se tourne vers des positions révolutionnaires. Et le seul fait qu'il parle de révolution concentre alors autour du Parti socialiste tout le prolétariat et les masses populaires. Tous les regards se tournent vers lui, tous les bras se tendent, toutes les bouches 1'acclament, tous les cœurs brûlent d'enthousiasme... Mais ce dont la classe ouvrière a besoin en ce moment, c'est d'un parti qui veuille et qui puisse faire la révolution, non d'un parti qui puisse seulement en brandir la menace. Car la contre-révolution n'est pas aujourd'hui le libre choix de la bourgeoisie, mais une nécessité irréfragable pour le capitalisme. »

(Esteban Bilbao, « Algunas consideraciones ante la situation », Comunismo, n° 34, pp. 167-168.)

Document 12 : Le problème du front unique ouvrier posé à travers les élections de novembre 1933.

« Le groupe de la Gauche communiste de Madrid conformément aux dispositions de son comité national exécutif, s'adresse, avant le deuxième tour des élections générales à Madrid, au prolétariat pour fixer sa position politique sur les points suivants :

1) La décision prise par le Parti communiste officiel d'inviter les travailleurs à l'abstention... de remettre un bulletin portant l'inscription « je vote pour le Parti communiste » constitue un nouvel abandon de la tactique politique révolutionnaire et une chute dans le confusionnisme anarchiste le plus décadent. Le bulletin de vote est une arme éventuelle de lutte qui doit être utilisée en tenant compte des conditions de la situation objective : l'amour-propre politique est étranger à toute compréhension positive de la politique révolutionnaire.

2) Les actuels progrès de la réaction bourgeoise la plus noire ont été rendus possibles par la politique boiteuse de collaboration du Parti socialiste avec le capitalisme. La Gauche communiste n'a jamais dissimulé et ne dissimulera jamais son énergique et catégorique condamnation de la politique de la section espagnole de la Seconde Internationale. Indépendamment de cette attitude politique, la Gauche communiste conseillera à la classe ouvrière madrilène de voter et de travailler de tout son enthousiasme, dimanche prochain, au triomphe de la candidature socialiste. Le caractère de bataille entre le marxisme et l'antimarxisme que la bourgeoisie imprime à la lutte oblige la classe ouvrière à se grouper autour de l'unique candidature ouvrière en présence.

3) L'appui que la classe ouvrière madrilène ne manquera pas de donner dimanche prochain à la candidature socialiste doit être interprété comme le désir fervent du front unique de lutter contre l’offensive de la réaction. Le mot d'ordre qu'il faut imposer aux différentes organisations ouvrières dans les circonstances actuelles est : « Marcher séparément, frapper ensemble », c'est-à-dire conserver l'indépendance politique et d'organisation, mais rassembler leurs efforts pour attaquer la réaction, défendre les conquêtes ouvrières, et entreprendre l'action révolutionnaire. Dans ce sens, toute manœuvre, toute attitude de passivité doivent être également condamnés par le prolétariat.

De Madrid, 30 novembre 1933 ; Le comité du groupe de Madrid de la Gauche communiste espagnole.

(Comunismo n° 31, janvier 1934, pp. 22-23.)

Document 13 : L'appel de l’Alliance ouvrière de Catalogne (décembre 1933).

« Camarades

Le procès de la réaction capitaliste est un fait de caractère mondial que personne ne peut nier, bien qu'il revête dans chaque pays des traits particuliers.

En italien et en Allemagne, elle s'est concentrée sous la forme d'un fascisme criminel et destructeur qui veut ramener les peuples aux formes politiques du Moyen Age.

Dans d'autres pays d'Europe et d'Amérique, elle prend des formes qui, sans atténuer son caractère odieux, atteint son but en respectant en apparence les conditions économiques et politiques prédominantes.

Chez nous, en Espagne, nous voyons clairement qu'elle est sur le point de triompher.

D'abord elle corrompt le système électoral, recourant aux procédés les plus infâmes pour obtenir au parlement sinon une majorité absolue, au moins une minorité telle qu'on ne puisse gouverner sans compter avec elle. Ensuite, elle pousse le gouvernement à proclamer l'état de prévention prévu dans la loi d'ordre public, qui désarme la classe ouvrière et la prive de moyens de défense face aux coups que lui porte le gouvernement et qui favorisent la droite réactionnaire.

Enfin, comme troisième étape de son action infâme et crapuleuse, elle utilise l'inconscience des masses laborieuses groupées autour de la F.A.I. et de la C.N.T. afin de les précipiter dons la rue et de les conduire à un choc brutal contre la force publique, et cherche machiavéliquement deux objectifs également favorables pour elle : émouvoir l'opinion publique pour fustiger les pires monstruosités du Pouvoir public, semer la terreur, la désolation et la mort, qui justifieraient un coup d'État réactionnaire et fasciste. Calculs logiquement déduits des faits. Mais ils ne réussiront pas.

Pour empêcher cela, nous sommes là. Les organisations soussignées, de tendances et d’aspirations doctrinales diverses, mais unies dans un désir commun de préserver les conquêtes obtenues jusqu'à présent par la classe ouvrière espagnole, ont constitué l’Alliance ouvrière afin de s'opposer à 1'établissement de la réaction dans notre pays, pour éviter toute tentative de coup d'fiat ou d'instauration d'une dictature, si on le tente, et pour maintenir intactes les conquêtes arrachées jusqu'à présent et qui constituent le patrimoine le plus précieux de la classe ouvrière espagnole.

Travailleurs de Catalogne et d'Espagne ! Faites ce que nous avons fait ! Renoncez aux querelles qui vous opposent à vos frères exploités, tout et conservant et en défendant vos points de vue doctrinaux, afin de constituer vos comités locaux et régionaux antifascistes, de façon qu'ils synthétisent vos aspirations dans un organisme représentatif à l'échelle nationale. Opposez au fascisme et à la réaction le mur infranchissable de votre volonté et de vos décisions.

Nous demandons aux organisations ouvrières de Catalogne qui désirent s'unir et coopérer avec nous d'envoyer leur adhésion à l'adresse suivante : Rauric, 14 principal ; Comité de Alianza obrera.

Comme nous l'avons annoncé, nous convoquerons dès que les circonstances le permettront une conférence régionale de toutes les organisations d'accord avec l'œuvre que nous vous proposons de réaliser.

Travailleurs organisés de Catalogne ! Envoyez vos adhésions ! Que personne ne manque au Front ouvrier antifasciste ! Vive l'union de la classe ouvrière pour la défense de toutes ses conquêtes ! »

Pour I'U.G.T. : Vila Cuenca. Pour l'Union socialiste : Martinez Cuenca. Pour la Gauche communiste : Andrés Nín. Pour le Bloc ouvrier et paysan : Maurín. Pour le P.S.O.E. : Vidiella. Pour les syndicats de l'opposition : A. Pestaña. Pour l'Union des rabaissaires : J. Calvet.

N.B. - étant donné qu'il s’agit d'un front exclusivement ouvrier, les organisations et partis qui ne reposent pas sur une base de classe pourraient adhérer moralement, mais ne pourraient être effectivement membres.

(Comunismo, n° 31, janvier 1934, pp. 30-31.)

Document 14 : Décisions d’action du comité exécutif du Parti socialiste (janvier 1934).

« 1) Organisation d'un mouvement franchement révolutionnaire aussi intense que possible en utilisant tous les moyens dont on pourra disposer.

2) Décision de déclencher ce mouvement au moment que l'on jugera favorable, y compris avant que l'ennemi, dont les préparatifs sont évidents, prenne des précautions, soit définitives, soit qui lui assurent un avantage.

3) Tout en évitant le confusionnisme, le Parti et l'Union générale se mettront en rapports avec les éléments qui acceptent de participer au mouvement.

4) Le Parti socialiste et l'Union générale prennent le pouvoir politique, si la révolution triomphe, avec la participation éventuelle de représentants des éléments ayant participé directement à la révolution.

5) Développer, à partir du pouvoir et sans délai, le programme minimum exposé dans le projet de base. »

(D'après le procès-verbal de la séance, copie dans les archives du P.C.E., Guerra y Revolución en España, II, p. 54.)

Document 15 : Les anarchistes et le front unique (1934).

« Le front unique au sommet a les résultats inverses de ceux recherchés, mais un front unique à la base entre simples ouvriers de tous les camps sociaux, décidés à se soulever pour la révolution est utile et signifierait la victoire.

Mais c’est quand on recourt à la deuxième formule que nous objectons : ce front unique souhaité est-il réalisable ? Actuellement la possibilité n'en existe pas. Absolument pas.

Si, pour réaliser l'unification, il est nécessaire d'avoir un dénominateur commun basé sur un accord minimal qui doit être la destruction du capitalisme et de l'État, les socialistes qui défendent au Parlement une constitution capitaliste et sont prêts à la défendre y compris dans la rue, et les communistes étatistes qui veulent construire un nouvel État, comment vont-ils venir à un front qui cherche à détruire ce qu'ils défendent et désirent ?

Et qui, sinon les directions de ces partis, s'oppose à ce qu'opère agisse, négocie ce front ?

Je crois que 1’impossibilité est assez évidente. Il n’existe qu'une formule qui rendrait possible la formation de ce front, que les ouvriers socialistes, communistes, ugétistes ou autres débordent leurs dirigeants et s'unissent aux autres ouvriers, dans une révolte ouverte, acceptant explicitement l'objectif minimum possible après être passés par-dessus la tête de leurs chefs. »

(« Ce qui se discute : le front unique », Solidaridad Obrera, 16 février 1934.)

Document 16 : Extraits des dix commandements du jeune socialiste espagnol (1934).

1) Les jeunes socialistes doivent s'habituer aux mobilisations rapides, en formation militaire, par rangs de trois.

2) Chaque troupe de neuf (trois rangs de trois) formera la dizaine, en y ajoutant un chef qui marchera sur le coté gauche...

4) Il faut manifester partout, profitant de tous les moments, ne négligeant aucune occasion. Manifester militairement pour que toutes nos actions créent autour d'elles une atmosphère de crainte et de respect.

8) L'unique idée que le jeune socialiste doive avoir gravée dans son esprit est que le socialisme ne peut s’imposer que par la violence, et que le camarade qui propose le contraire, qui a encore des rêves démocratiques, quels qu’ils soient, est un traître, consciemment ou non.

10) Et surtout ceci : s'armer. Qui que tu sois, et où que ce soit et par quelque procédé que ce soit, consigne : Arme-toi, et après. si tu le peux, arme ton voisin pendant que tu fais tout ton possible pour désarmer l'ennemi. »

(Renovación, 17 février 1934.)

Document 17 : Pacte d’Alliance ouvrière dans les Asturies.

« Les organisations soussignées conviennent entre elles de reconnaitre que face à la situation économique et politique du régime bourgeois, l’action unie de tous les secteurs ouvriers s’impose, avec l’objectif exclusif de promouvoir et de mener à bien la révolution sociale. A cette fin, chaque organisation soussignée s’engage à réaliser les termes de l’engagement ainsi déterminé aux conditions suivantes :

1) Les organisations signataires de ce pacte travailleront d’un commun accord jusqu’au triomphe de la révolution sociale en Espagne, y établissant un régime d’égalité économique, politique et sociale, fondé sur les principes socialistes fédéralistes.

2) Pour parvenir à ce but, on constituera à Oviedo un Comité exécutif représentant toutes les organisations adhérant au dit pacte, lequel agira en accord avec un autre, national, et de caractère identique répondant aux nécessités de l'action générale dans l'ensemble de l'Espagne.

3) Comme conséquence logique des conditions 1) et 2) du dit pacte, il est entendu que la constitution du Comité national est la prémisse indispensable (au cas où les événements se déroulent normalement) pour entreprendre toute action en relation avec les objectifs de ce pacte pour autant qu'il s'efforce de réaliser une entreprise nationale. Le Comité national à constituer sera le seul habilité à ordonner à celui qui s'installera à Oviedo les opérations à entreprendre en relation avec le mouvement qui éclatera dans toute l'Espagne.

4) Dans chaque localité des Asturies sera constitué un Comité qui devra être composé de délégués de chacune des organisations signataires et de celles qui, apportant leur adhésion, seront admises au sein du Comité exécutif.

5) A partir de la date de signature de ce pacte, cesseront toutes les campagnes de propagande qui pourraient gêner ou aigrir les relations entre les différentes parties ainsi alliées, sans que cela puisse pour autant signifier l'abandon du travail doctrinal serein et raisonné entrepris par les différents secteurs du mouvement ouvrier qui intègrent l'Alliance ouvrière révolutionnaire tout en conservant, à telle fin, leur indépendance politique.

6) Le Comité exécutif élaborera un plan d'action qui, grâce à l'effort révolutionnaire du prolétariat, assurera le triomphe révolutionnaire du prolétariat sous ses différents aspects et le consolidera selon les normes d'un accord à établir.

7) Deviendront clauses additionnelles au présent pacte toutes les décisions du Comité exécutif dont l'exécution sera obligatoire pour toutes les organisations représentées, ces décisions étant à observer strictement, tant pendant la période de préparation révolutionnaire qu'après la victoire. I1 est bien entendu que les décisions du dit Comité exécutif s'inspireront du contenu de ce pacte.

8) L'engagement contracté par les organisations soussignées prendra fin au moment où aura été implanté le régime mentionné à l'article 1) avec ses organismes propres, librement élus par la classe ouvrière et par le procédé qui aura été indiqué par la réalisation de l'œuvre de ce pacte.

9) Considérant que ce pacte constitue un accord entre organisations de la classe ouvrière afin de coordonner leur action contre le régime bourgeois et de l'abolir, les organisations qui auraient un lien organique avec ces partis bourgeois le rompraient automatiquement afin de se consacrer exclusivement à la poursuite des objectifs déterminés par le présent pacte.

10) De cette alliance révolutionnaire, font partie... »

Signé le 28 mars 1934 par les représentants de la C.N.T. et de l’U.G.T. aux Asturies, puis par ceux de la Fédération socialiste asturienne, de la Jeunesse socialiste des Asturies, du Bloc ouvrier et paysan, du Syndicat mineur asturien (U.G.T.), de la Gauche communiste, des Jeunesses libertaires.

Document 18 : Le Parti communiste et l’Alliance ouvrière.

... « Les camarades alliancistes agissent à l'égal d'Hitler à l'égard des communistes, devant des ouvriers qu'ils arrivent à tromper...

... Cette Alliance est formée des chefs de la C.N.T. qui défendaient la politique du « se suffire à soi-même », des chefs comme Pestaña, dont la politique est définie dans l'opuscule anti-communiste « Soixante jours en Russie », des individus comme Maurín qui est passé de l'Internationale communiste à celle du Parallèle. De cette alliance font partie les chefs socialistes qui ont saboté tous les mouvements ouvriers, ceux qui ont répandu à haute dose l'opium réformiste, les collaborateurs d’Anido et de Primo de Rivera, les pompiers de la révolution, ces gens qui ont soutenu la politique des Gardes d'assaut, les augmentations des soldes de la Garde civile, les massacres d'Arnedo, d'Epila, de Casas Viejas, etc.

... Cette Alliance n'a été formée que pour duper les travailleurs, leur faire croire que le front unique est un fait, pour empêcher que le véritable front unique se réalise sur les lieux de travail, dans les usines et les quartiers ouvriers. Cette Alliance n'est rien d'autre qu'un commérage de chefs dont les bases idéologiques reposent sur un tas de fumier politique... Cette Alliance n'est rien d'autre qu'une cabale anti-communiste. »

(Ramón Rodríguez, « Frente unico y Alianza Obrera », El Noroeste, 15 mai 1934.)

Document 19 : Opinion de l’I.C. sur l’évolution de la J.S.

« La Jeunesse socialiste d'Espagne se prononce aujourd'hui encore pour la dictature du prolétariat, pour la lutte immédiate pour le pouvoir. C'est sous ce signe que se déroula la dernière session des Jeunesses socialistes. Celles-ci se sont prononcées contre la collaboration du P.S. avec les partis bourgeois. Mais, à côté des thèses qui prouvent la radicalisation de la Jeunesse socialiste, le congrès a pris une décision sur l'inutilité d'une plus longue participation aux Cortes, étant donné que « pour les intérêts de la révolution socialiste, abandonner le parlement sera plus utile, afin de se consacrer entièrement à l'action révolutionnaire. » Ce point de vue pseudo-révolutionnaire et en réalité anarcho-syndicaliste a trouvé son expression dans l'attitude négative de la Jeunesse socialiste vis-à-vis de la lutte pour les revendications quotidiennes des jeunes.

Il est caractéristique que les Partis socialistes efforcent de mener aujourd'hui la lutte contre les Partis communistes par des phrases « de gauche », intervenant contre le déploiement de la lutte économique des ouvriers comme une des méthodes d'entraînement des grandes masses prolétariennes dans la lutte pour le pouvoir.

Le Comité central des J.S. a même rompu les pourparlers avec les Jeunesses communistes d'Espagne sous prétexte que leurs propositions de lutter pour les revendications quotidiennes de la jeunesse ouvrière et travailleuse démasquent... le réformisme des J.C.

... Dans la Juventud roja, organe des Jeunesses communistes espagnoles, on pouvait lire, il y a quelques mois, l'information suivante provenant d'une organisation locale : « Les Jeunesses socialistes nous ont proposé une alliance pour la lutte contre la bourgeoisie. Ce ne sont pas les Jeunesses socialistes qui la proposent, mais les manœuvres de toute la bourgeoisie. Nous avons accepté, mais sur la base d’une lutte concrète, de nos mots d'ordre. Nous avons naturellement mis au premier plan la lutte contre leurs chefs qui servent le bloc contre-révolutionnaire. Cependant ils n'accepteront pas de telles formes de front unique pour ne pas combattre contre leurs chefs. C'est alors que nous démasquerons leur rôle contre- révolutionnaire. »

(N. Frumkin, « La crise dans les Jeunesses socialistes », L'Internationale communiste, n° 18, pp. 1204 et 1212, 20 septembre 1934.)

Document 20 : L’insurrection dans les Asturies expliquée par un socialiste de gauche.

« Cet esprit de combat avait mordu surtout dans les jeunesses ouvrières, tout imprégnées de propagande communiste et particulièrement trotskyste, y compris dans les rangs socialistes. On peut dire que la révolution a été l'œuvre des jeunesses prolétaires... Quand on connaîtra tous les détails de cette large et profonde insurrection, on verra que les jeunesses ouvrières, à elles seules, l'auraient déchaînée même contre la volonté des dirigeants syndicalistes. Elle a été un mouvement irrésistible, parti d'en bas, d'une masse qui n 'était pas disposée à laisser échapper sa bataille contre le fascisme. La tension révolutionnaire avait atteint un degré tel que, si elle n'avait pas explosé, le prolétariat de tendance socialiste aurait brisé ses cadres syndicaux et rejoint ceux qui étaient de caractère communiste ou anarcho-syndicaliste. Ce prolétariat, jusque-là pacifique, exigeait le baptême du feu comme le début d'une nouvelle attitude historique. »

(Luis Araquistáin, « La revolución de Octubre en España », Leviatan, n° 21, février 1936, p. 33.)

Document 21 : Appel de la Jeunesse communiste espagnole à l’unité internationale (Extraits).

« Camarades,

Pendant la révolution d Octobre, nous avons lutté ensemble contre le fascisme, dans un même bloc et pour le même but.

Pourquoi n'en est-il plus ainsi ? Pourquoi continuer séparément si notre ligne est la même ? La Jeunesse socialiste a rompu définitivement avec le réformisme social-démocrate, et elle entend, d'accord avec la Jeunesse socialiste de France, de Belgique, de Suisse, de Tchécoslovaquie, d'Angleterre et d'Autriche, entreprendre la reconstruction du mouvement de la jeunesse sur la base la plus pure du marxisme révolutionnaire. La direction internationale nécessaire pour obtenir la victoire n'existe pas. La Seconde et la Troisième Internationale ont perdu leur rôle dirigeant. A la suite de la victoire d'Hitler, un nouveau mouvement a pris naissance. Nous croyons qu'il est nécessaire et urgent de le faire aboutir.

Retournons à Marx et à Lénine. Unissons la jeunesse prolétarienne dans une Internationale qui ait rompu avec les erreurs du passé.

C'est pourquoi nous invitons la Jeunesse communiste, les jeunes communistes de gauche, la jeunesse du Parti communiste ibérique à entrer en masse, en tant que telles, dans la Jeunesse socialiste d'Espagne. Nous invitons la jeunesse prolétarienne révolutionnaire à se rallier à notre drapeau pour la reconstruction du mouvement prolétarien international.

Pour l'unité organique de la Jeunesse révolutionnaire! Pour une Internationale marxiste! Pour le drapeau de Marx et de Lénine ! Nous avons eu au sujet de cette proposition une discussion avec la Jeunesse communiste : celle-ci a repoussé de façon sectaire nos propositions. Pourtant nous n'avons pas perdu confiance.

Jeunes communistes, faites pression sur votre direction pour que soit réalisée l'unité organique ! Jeunes ouvriers, la Jeunesse socialiste d'Espagne vous appelle à l'unité ! Vive la révolution d'Octobre ! Vive l'unité organique ! »

(Traduction française dans La Vérité, no 231, 10 février 1935.)

Document 22 : Appel de Santiago Carrillo à l’unité révolutionnaire.

« Les dissidents dirigés par Trotsky, l'infatigable révolutionnaire, représentent une tendance du prolétariat.

Le Bloc ouvrier et paysan est circonscrit à la seule Catalogne.

Lorsque l'épuration du Parti socialiste sera réalisée, ces groupes pourront-ils refuser d'entrer dans notre Parti ? »

(Déclaration faite le 9 août 1935,

Le Front Populaire

Document 23 : déclaration du PCE pour son entrée dans l’Alliance ouvrière.

« Les Alliances ouvrières - leur nom l’indique - sont apparues en tant qu’organe d’une seule des forces motrices fondamentales de la révolution, celle du prolétariat - la force dirigeante - mais laissent en dehors la seconde, qui est la paysannerie, sans l’alliance de laquelle la révolution ne peut triompher.

C’est pour cela que l’Alliance ouvrière doit s’appeler Alliance ouvrière et paysanne et changer non seulement de nom, mais de contenu, en incorporant dans ses rangs les organisations de la paysannerie.

Dans les Alliances ouvrières ne sont pas représentées les masses de la C.N.T., de la C.G.T.U., des syndicats autonomes, et en est absente la grande masse des ouvriers inorganisés... et les travailleurs en uniforme. Afin que les Alliances expriment démocratiquement la volonté révolutionnaire des masses, il faut qu’elles soient régies par les règles de la démocratie prolétarienne et que les délégués qui y siègent soient démocratiquement désignés par les assemblées de travailleurs des organismes qui les composent. Il est également nécessaire que les Alliances soient des organes de front unique de lutte pour toutes les actions des ouvriers et des masses paysannes, qu’elles soient ou non partielles, économiques, politiques, les orientant vers les objectifs ultimes.

... Le Comité central du Parti communiste d’Espagne (section de l’I.C.) se prononce pour l’entrée de toutes ses organisations dans les Alliances ouvrières là où elles existent, et invite à les créer là où elles n’existent pas. En même temps, il appelle les fractions communistes de toutes les organisations de masse à proposer l’entrée immédiate de ces dernières dans les Alliances ouvrières. En entrant dans les Alliances, le Comité central déclare que les communistes propageront et défendront cordialement et démocratiquement leurs points de vue et méthodes d’organisation à l’intérieur des Alliances ouvrières, avec l’objectif de convaincre les autres forces qui en font partie de la justesse des méthodes d’organisation, de la tactique et de la ligne politique du Parti communiste. »

(Guerra y Revolución en España, I, pp. 58-59.)

Document 24 : Le tournant de la Jeunesse socialiste vers Moscou

Valence, le 22 novembre 1935.

« Au camarade G. Dimitrov, Moscou.

Cher Camarade,

Les Jeunesses socialistes et avec elles tout le prolétariat espagnol ont suivi avec un intérêt exceptionnel les délibérations du VIIeème congrès de l’Internationale communiste et lu avec une grande satisfaction votre rapport sur l’unité ouvrière contre la bourgeoisie et le fascisme.

L’Octobre rouge espagnol a été une démonstration de l’esprit révolutionnaire qui animait le prolétariat espagnol et de sa décision de lutter en rangs unis pour la cause commune de tous les travailleurs. Cet esprit, camarade Dimitrov, est plus ferme encore aujourd’hui, et nous avons l’espoir que l’union des camarades communistes et socialistes se fera rapidement et permettra de réaliser prochainement les désirs exprimés dans votre rapport, qui nous semblent être d’une très grande justesse et le résultat d’une vision claire des problèmes touchant la classe ouvrière du monde entier.

Pendant que se tenait le VIIème congrès de l’Internationale communiste qui vous a si heureusement élu secrétaire général, avait lieu à Valence le IVe congrès de la Fédération provinciale des Jeunesses socialistes de Valence, auquel assistait une délégation fraternelle de jeunes communistes. A ce congrès fut adoptée à l’unanimité, saluée par des ovations, une résolution qui traduisait le désir des jeunes marxistes de la province de Valence et de l’Espagne entière d’éditer en commun un numéro spécial des journaux Adelante et Verdad, le premier organe des Jeunesses socialistes de Valence, le second, des camarades communistes.

Ce numéro spécial doit paraître le 22 courant et sera consacré à la commémoration de l’anniversaire de la glorieuse révolution russe. C’est pourquoi notas vous prions de nous faire parvenir quelques lignes de votre main qui seront un autographe de vous, ainsi qu’un article. Notre numéro contiendra des articles des camarades les plus en vue des Partis et des Jeunesses socialistes et communistes.

Nous voulons espérer, cher camarade, que vous voudrez bien contribuer à la tâche que nous voulons accomplir en publiant le numéro spécial d’Adelante-Verdad.

Présentez au camarade Staline, digne chef du prolétariat de l’Union soviétique, l’expression sincère de notre admiration, de la grande affection que nous, révolutionnaires espagnols, avons pour lui, et faites part aussi de notre admiration à tout le prolétariat de l’U.R.S.S. pour l’œuvre magnifique d’édification socialiste qu’il réalise avec tant abnégation.

Nous vous renouvelons, camarade Dimitrov, l’expression de notre immense affection et de notre profond attachement, et nous demeurons dévoués à vous et à la cause de la classe ouvrière.

Signé : Justo M. Amutio

rédacteur en chef de la rédaction d’Adelante-Verdad

(L’Internationale communiste, n°20, novembre 1935, p. 1594-1595.)

Document 25 : programme de l’alliance électorale de 1936.

« Les partis républicains, Gauche républicaine, Union républicaine et le Parti socialiste, en son nom propre et au nom de l’Union générale des travailleurs, la Fédération nationale des Jeunesses socialistes, le Parti communiste, le Parti syndicaliste et le Parti ouvrier d’unification marxiste, sans pour autant renoncer aux principes de base de leurs doctrines respectives, sont arrivés à élaborer un plan politique commun servant de base et de charte à la coalition de leurs forces respectives dans la compétition électorale prochaine, et de normes de gouvernement que devraient appliquer les partis républicains de gauche avec l’appui des forces ouvrières en cas de victoire. Ils déclarent devant l’opinion publique les bases et les limites de leur accord politique. En outre, ils les présentent à l’examen des autres organisations républicaines ou ouvrières pour que, dans le cas où elles l’estimeraient conforme aux intérêts nationaux de la République, elles rejoignent, dans de telles conditions, le bloc des gauches qui doit lutter contre la réaction au cours des élections générales des députés aux Cortes.

I

Comme présupposé indispensable de la paix publique, 1es partis coalisés s’engagent :

1) A accorder par la loi une large amnistie des délits politiques et sociaux commis antérieurement à novembre 1935, même quand ils n’ont pas été considérés comme tels par les tribunaux. Elle s’étendra également à ceux d’un caractère identique qui ne sont pas compris dans la loi du 24 avril 1934. Seront révisées, conformément à la loi, les sentences prononcées en application illicite de la loi sur le vagabondage, pour des motifs de caractère politique. Jusqu’à ce que soient habilitées les institutions prévues par cette loi, son application sera restreinte et on évitera que, par la suite, elle soit utilisée afin de punir des idées ou des actions politiques.

2) Les fonctionnaires ou employés qui ont été l’objet de suspension, déplacement ou licenciement, décidés sans garantie suffisantes ou pour des raisons politiques, seront rétablis dans leur poste.

Le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour que soient réadmis dans leurs emplois respectifs les ouvriers qui auraient été renvoyés pour leurs idées ou pour le motif de grèves politiques dans toutes les corporations publiques, dans les entreprises gérant des services publics et toutes celles dans lesquelles l’État a une intervention directe.

En ce qui concerne les entreprises privées, le ministère du Travail adoptera les dispositions nécessaires pour l’étude de tous les cas de licenciement qui auraient reposé sur un motif politico-social et qui seront soumis aux jurys mixtes afin que ces derniers protègent dans leur droit, conformément à la législation antérieure à novembre 1933, ceux qui auraient été éliminés de façon illicite.

3) Il sera promulgué une loi concédant aux familles des victimes causées par les forces révolutionnaires ou par les actes illégaux de l’autorité et de la force publique au cours de la répression la réparation adéquate du dommage causé aux personnes.

II

Afin de défendre la liberté et la justice, comme mission spéciale de l’État républicain et de son régime constitutionnel, les partis coalisés :

1) Rétabliront le règne de la constitution. Les dispositions adoptées en infraction à la loi fondamentale seront abrogées. La loi organique du Tribunal des garanties devra être réformée afin d’empêcher que la défense de la constitution ne soit confiée à des hommes ayant des convictions ou des intérêts contraires au salut du régime.

2) On édictera les lois organiques, promises par la constitution, et nécessaires à son fonctionnement normal, et particulièrement les lois provinciale et municipale qui devront s’inspirer de façon plus rigoureuse de ses principes. Les Cortes réformeront leur règlement, modifiant la structure et les fonctions des commissions parlementaires qui auront à charge, à l’aide des organismes techniques qui leur seront adjoints, d’élaborer les lois.

3) Le principe de l’autorité est affirmé dans toute sa vigueur, mais les signataires s’engagent à l’exercer sans porter préjudice aux raisons de liberté et de justice. La loi d’ordre public sera révisée afin que, sans perdre de son efficacité défensive, elle garantisse mieux le citoyen contre l’arbitraire du pouvoir, en adoptant également les mesures nécessaires pour éviter la prorogation abusive des états d’exception.

4) Il sera organisé une justice affranchie des anciens critères de hiérarchie sociale, privilège économique et position politique. La justice, une fois réorganisée, sera dotée des conditions d’indépendance promises par la constitution. Les procédures civiles seront simplifiées, le recours devant les tribunaux de contentieux administratif sera accéléré, leur compétence étant élargie, et l’inculpé sera entouré de meilleures garanties dans les affaires de droit commun (...) Le régime des prisons sera humanisé, avec la suppression des mauvais traitements et des interdictions de communiquer non décidées par la justice.

5) Les cas de violences d’agents de la force publique, commis sous les ordres des gouvernements réactionnaires, seront l’objet d’enquêtes sur les responsabilités concrètes jusqu’à découverte d’une responsabilité individuelle et sa sanction. Les fonctions de chaque corps seront définies dans les limites de leurs règlements respectifs. Leurs chefs seront sélectionnés, et sera puni d’exclusion tout agent ayant pris part à de mauvais traitements ou à des actes de partialité politique. Le corps de vigilance sera réorganisé avec des fonctionnaires capables d’une loyauté totale à l’égard du régime.

6) Les normes de discipline des fonctionnaires seront réorganisées avec établissement de sanctions graves pour toute négligence ou abus en faveur d’intérêts politiques ou au détriment du trésor public.

III

Les républicains n’acceptent pas le principe de la nationalisation de la terre et sa remise gratuite aux paysans demandés par les délégués du Parti socialiste. Ils considèrent comme convenables les mesures suivantes qui proposent le rachat des terres par le paysan et le cultivateur moyen et petit, non seulement pour faire œuvre de justice, mais parce qu’elles constituent la base la plus solide de la reconstruction économique nationale.

1) Comme mesures d’aide au cultivateur exploitant : abaissement des impôts et contributions. Répression spéciale contre l’usure. Diminution des rentes abusives. Intensification du crédit agricole. Revalorisation des produits de la terre, spécialement du froment et des autres céréales, adoption de moyens pour l’élimination des intermédiaires et une bonne entente avec les meuniers. Stimulation du commerce d’exportation des produits agricoles.

2) Comme mesures pour améliorer les conditions de la production agricole : les enseignements agricoles seront organisés et l’État procurera des conseillers techniques. Des plans de répartition des cultures et d’implantation de nouvelles seront préparés avec l’aide technique et économique de l’administration publique. Protection des pâtures, de l’élevage et du reboisement. Travaux hydrauliques et construction de postes de secours, transformation de ces derniers pour l’irrigation des cultures. Chemins et constructions rurales.

3) Comme mesures pour la réforme de la propriété de la terre. Dérogation immédiate de la loi sur les fermages. Révision de tous les congés donnés. Consolidation de la propriété, liquidation préalable, pour les fermiers anciens et petits. On élaborera une loi sur les fermages qui assure : La stabilité sur la terre. La modicité de la rente susceptible d’être révisée. L’interdiction de la sous-location et de ses formes camouflées. L’indemnisation pour les améliorations utiles et nécessaires, réalisées par le fermier, de façon qu’elle soit effective avant le départ du domaine du cultivateur. Et l’accès à la propriété de la terre qui aura été cultivée pendant un certain temps.

Les formes de coopération seront stimulées et 1es exploitations collectives protégées. Il sera réalisé une politique d’installation de familles paysannes, en les dotant de secours techniques et financiers précis. Des règles seront définies pour le rachat des biens communaux. Il sera dérogé à la loi sur la dévolution et le paiement des propriétés de la noblesse.

IV

Notre industrie ne peut sortir de l’état de dépression dans lequel elle se trouve si n’est pas totalement réorganisé le système de protections accordées par l’État, selon le critère de la subordination coordonnée à l’intérêt général de l’économie. En conséquence il convient :

1) D’adopter une loi ou un système de lois qui fixe les bases de la protection de l’industrie, comprenant les tarifs, les exemptions fiscales, les méthodes de coordination, la régularisation des marchés et autres mesures de soutien dispensées par l’État dans l’intérêt de la production nationale, pour œuvrer à 1’assainissement financier des industries afin d’alléger les charges de la spéculation qui grèvent sa rentabilité et entravent son développement.

2) De créer des institutions d’enquête économique et technique par lesquelles non seulement l’État puisse obtenir des éléments pour sa direction politique, mais aussi les entrepreneurs pour perfectionner leurs initiatives.

3) D’adopter les mesures nécessaires à la protection spéciale de la petite industrie et du petit commerce.

4) D’augmenter l’activité des industries fondamentales, par le moyen d’un plan de travaux publics, comprenant travaux d’urbanisation et d’amélioration de l’habitat rural, et dans lequel seraient calculés à l’avance les matériaux nécessaires et leur prix, afin d’assurer la rentabilité de ces travaux.

V

Les républicains considèrent les travaux publics non seulement comme un moyen de réaliser les services habituels de l’État ou comme une simple méthode circonstancielle et imparfaite de remédier au chômage, mais comme un moyen puissant de diriger l’épargne vers les sources les plus décisives de richesse et de progrès, délaissées par l’initiative des entrepreneurs. Premièrement seront établis de vastes plans de construction d’habitations, urbaines et rurales, des services coopératifs et communaux, des ports, des voies de communication, des travaux d’irrigation et d’implantation de cultures irriguées et d’amendement des terres.

Deuxièmement, pour y parvenir, on adoptera une réglementation législative et administrative garantissant l’utilité des travaux, leur bonne administration et la contribution à leur réalisation des intérêts privés directement favorisés.

Les républicains n’acceptent pas l’allocation de chômage demandée par les représentants ouvriers. Ils entendent que les mesures de politique agraire, celles qui ont à être menées à bien dans le domaine de l’industrie, les travaux publics et, en résumé, l’ensemble du plan de reconstruction nationale, doivent atteindre, non seulement leurs objectifs propres, mais le résultat essentiel de résorber le chômage.

VI

La propriété foncière et la banque doivent être au service de l’entreprise de reconstruction nationale, sans pour autant méconnaître que des forces aussi subtiles que celle du crédit ne peuvent être contraintes par des méthodes de coercition ni stimulées hors du domaine sûr des applications utiles et d’un emploi rémunérateur.

Les partis républicains n’acceptent pas les mesures de nationalisation des banques proposées par les partis ouvriers. Ils admettent certes que notre système bancaire nécessite certains perfectionnements s’il doit remplir la mission qui lui incombe dons la reconstruction économique de l’Espagne. Nous énumérons à titre d’exemple les mesures suivantes :

1) Direction de la Banque d’Espagne de façon à ce qu’elle remplisse sa fonction de régulation du crédit, comme l’exige l’intérêt de notre économie, en perdant son caractère de concurrente des banques et en liquidant ses immobilisations.

2) Soumission de la banque privée à des règles de fonctionnement [...] selon les principes classiques qu’a mis à nouveau en relief l’expérience des dernières crises, afin d’offrir une garantie sûre aux déposants et assurer les charges financières de la politique de reconstruction économique promise ici.

3) Amélioration du fonctionnement des caisses d’épargne afin qu’elles remplissent leur fonction de création de capitaux, en adoptant également les mesures nécessaires pour protéger l’épargne privée et celle qui relève de la responsabilité des promoteurs et gérants de tout type de compagnies.

En ce qui concerne la propriété foncière, on s’engage à mener à bien une réforme fiscale visant à une plus grande flexibilité des contributions et à la distribution la plus équitable des charges publiques en évitant que le crédit public soit abusivement employé aux fins de consommation.

Premièrement, de fond en comble les contributions directes seront révisées, axées normalement et réorganisées sur des bases progressives.

Deuxièmement, les contributions indirectes seront réformées en cherchant la coordination entre la dépense privée et la charge de la consommation.

Troisièmement, l’administration fiscale sera perfectionnée afin de servir d’instrument efficace à la nouvelle politique des contributions.

VII

La République telle que la conçoivent les partis républicains n’est pas une république dirigée par des motifs sociaux ou économiques de classe, mais un régime démocratique animé par des motifs d’intérêt public et de progrès social. C’est précisément pour cette raison que la politique républicaine a le devoir d’améliorer les conditions matérielles et morales des travailleurs jusqu’à la limite maximale que permet l’intérêt général de la production, indépendamment de l’importance des sacrifices à imposer à tous les privilèges économiques et sociaux.

Les partis républicains n’acceptent pas le contrôle ouvrier demandé par la délégation du Parti socialiste. Ils sont d’accord pour :

- Premièrement, rétablir la législation sociale dans la pureté de ses principes en vue de quoi seront édictées les dispositions nécessaires pour annuler 1es conséquences de celles qui dévoient son sens de la justice, en révisant les sanctions prévues, afin d’assurer la réalisation la plus loyale des lois sociales.

- Deuxièmement réorganiser la législation du travail dans des conditions d’indépendance afin non seulement que les parties intéressées acquièrent la conscience du caractère impartial de ses décisions, mais aussi pour qu’en aucun cas les motifs de l’intérêt général de la production ne demeurent sans la valorisation qui leur est due.

- Troisièmement, corriger l’effondrement des salaires de la campagne, véritables salaires de misère, en fixant des salaires minimaux afin d’assurer à tout travailleur une existence digne, et en créant le délit d’avilissement des salaires, automatiquement passible de poursuites devant les tribunaux.

Quoique la politique de reconstruction économique doive conduire à la résorption du chômage, il est nécessaire au moins d’organiser en outre sur le plan administratif et technique la lutte, en créant les services nécessaires de statistique, classification, bureaux de placement, des bourses du travail et de s’occuper particulièrement du chômage de la jeunesse, sans oublier non plus les institutions de prévision et de secours qui, promises par la constitution, doivent être préparées sur des bases de type social.

Les républicains doivent consacrer à l’assistance publique, à la bienfaisance et à la santé, l’attention qu’elles méritent, chez tout peuple civilisé, sans marchander les sacrifices. L’unification, sous la direction de l’État, des diverses institutions de fondation privée, totalisant leurs disponibilités, sans porter atteinte à la volonté du fondateur.

VIII

La République doit considérer l’enseignement comme un attribut indéclinable de l’État, avec la mission supérieure d’assurer à la majorité des citoyens le plus haut niveau de connaissances et, par conséquent, le plus large niveau moral, au-delà des raisons confessionnelles et de classe sociale :

1) Seront impulsées, au rythme des premières années de la République, les créations d’écoles primaires, y établissant des cantines, des vestiaires, des colonies scolaires et autres institutions complémentaires. L’enseignement privé sera soumis à surveillance, dans l’intérêt de la culture, comme celle qui s’exerce dans 1es écoles publiques.

2) Seront créés les enseignements moyens et professionnels nécessaires pour donner une instruction à tous les citoyens en état de les recevoir.

3) Les enseignements universitaires et supérieurs seront concentrés afin d’être convenablement servis.

4) On aura recours aux méthodes nécessaires pour assurer l’accès à l’enseignement moyen et supérieur à la jeunesse ouvrière, et en général aux élèves sélectionnés pour leurs capacités.

Les partis coalisés remettront en vigueur la législation d’autonomie votée par les Cortes constituantes et développeront les principes d’autonomie énoncés dans la constitution.

La politique internationale sera orientée dans le sens de l’adhésion aux principes et aux méthodes de la Société des Nations.

Madrid, le 15 janvier 1936. Pour la Gauche républicaine : Amos Salvador y Carreras. Pour l’Union républicaine : Bernardo Giner de los Rios. Pour le Parti socialiste : Juan Simeón Vidarte et Manuel Cordero. Pour l’Union générale des travailleurs : Francisco Largo Caballero. Pour le Parti communiste : Vicente Uribe. Pour la Fédération nationale des Jeunesses socialistes : José Cazorla. Pour le Parti syndicaliste : Angel Pestaña. Pour le Parti ouvrier d’unification marxiste : Juan Andrade. »

Document 26 : Le Front populaire jugé par le P.O.U.M.

« ... L’expérience des résultats du Front populaire a déjà été vécue dans notre pays. Le Parti socialiste, en 1931-1933, a pratiqué la politique du Front populaire dont le Parti communiste propage aujourd’hui avec enthousiasme la deuxième édition. La collaboration républicano-socialiste a conduit au triomphe de la contre-révolution en novembre-décembre 1933.

Les conséquences seraient plus catastrophiques encore aujourd’hui si devait prévaloir la position des communistes officiels, plus radicaux-socialistes que communistes.

Cette interprétation qui est la nôtre du Front populaire n’est pas en contradiction, comme on pourrait le croire d’après les apparences, avec le fait que le P.O.U.M. a donné sa signature au document qui a servi de base pour les élections générales du 16 février 1936. Il s’agissait alors d’un simple pacte de caractère électoral ayant comme objectif principal l’amnistie. Le P.O.U.M. a donc développé sa propagande en toute indépendance, en signalant que le pacte ainsi conclu ne pouvait être interprété autrement que comme un pur compromis, exclusivement électoral... »

(¿ Qué es y qué quiere el Partido Obrero de Unificación marxista ?, brochure du C.E. du P.O.U.M., pp. 13-14.)

Document 27 : Le double pouvoir vu par le Président de la République

« C’est en réaction à la rébellion militaire, et comme conséquence du fait que le gouvernement se trouvait démuni de moyens de coercition, que se produisit le soulèvement prolétarien qui n’était pas dirigé contre le gouvernement... Une révolution doit s’emparer du commandement, s’installer au gouvernement, diriger le pays selon ses vues. Or ils ne l’ont pas fait. Pourquoi ? Faute de forces, de plan politique, d’hommes jouissant d’autorité ? Pressentiment qu’un coup de main contre le pouvoir, même victorieux, ferait s’écrouler la résistance, nous opposerait au monde entier, et que nous perdrions la guerre ? Ou bien le calcul de créer clandestinement, en abusant de sa force, sans responsabilité et sous la couverture de gouvernements désarmés des situations de fait afin de les maintenir ensuite et de s’imposer à l’État quand il sortirait de sa léthargie...

L’œuvre révolutionnaire a commencé sous un gouvernement qui ne voulait ni ne pouvait la cautionner. Comment s’appelle une situation créée par un soulèvement qui commence et ne se termine pas, qui enfreint toutes les lois et ne renverse pas le gouvernement pour prendre sa place, couronné par un gouvernement qui abhorre et condamne les événements mais ne peut ni les réprimer ni les empêcher. Elle s’appelle indiscipline, anarchie, désordre. L’ordre ancien aurait pu être remplacé par un autre, révolutionnaire ; il ne le fut pas. Il n’y avait plus ainsi qu’impuissance et désordre. »

(Manuel Azaña, La Velada de Benicarlo, p. 96.)

Document 28 : Les anarchistes et la question du pouvoir

a) Contre l’entrée dans le gouvernement.

« L’existence d’un gouvernement de Front populaire, loin de constituer un élément indispensable à la lutte anti-fasciste, correspond en réalité à une grossière imitation de cette même lutte.

Il est inutile de rappeler que, face à la préparation du « putsch » fasciste, les gouvernements de la Généralité et de Madrid n’ont absolument rien fait. Ils n’ont utilisé leur autorité que pour camoufler les manœuvres des éléments réactionnaires et de ceux dont le gouvernement était l’instrument conscient ou inconscient.

La guerre qui se déroule en Espagne est une guerre sociale.

L’importance du Pouvoir modérateur basé sur l’équilibre et la conservation des classes, ne saurait imposer une attitude définie dans cette lutte qui a ébranlé les fondements de ce même État qui ne dispose plus de la moindre sécurité. Il est, de plus, exact de dire que le gouvernement de Front populaire en Espagne n’est rien d’autre que le reflet d’un compromis entre la petite bourgeoisie et le capitalisme international.

Par la même force des faits, ce compromis n’a d’autre valeur que transitoire et devra laisser la place aux revendications et la ligne de conduite établies en vue d’une profonde transformation sociale.

On verra alors disparaître la plaie des négociants et des conservateurs qui agissent aujourd’hui à l’ombre des républicains et libéraux de Barcelone, Valence et Madrid. L’idée de remplacer ces gouvernements, gardiens débiles du « statu quo » de la propriété et de la finance étrangères, par un gouvernement fort, basé sur une idéologie et une organisation politique « révolutionnaire » ne saurait aboutir qu’à un ajournement de l’explosion révolutionnaire.

Il ne s’agit donc ni que le marxisme prenne le pouvoir, ni d’une autolimitation de l’action populaire par opportunisme politique. L’« État ouvrier » constitue le point final d’une action révolutionnaire et le début d’une nouvelle servitude. La coordination des forces du Front populaire, l’organisation de l’approvisionnement en vivres au moyen d’une large collectivisation des entreprises est d’un intérêt vital pour parvenir à notre but. C’est là, bien évidemment, l’intérêt de l’heure.

Cela s’est réalisé jusqu’à maintenant de façon non gouvernementale, décentralisée, démilitarisée. On peut appliquer bien des perfectionnements à ces tâches nécessaires. Les syndicats de la C.N.T. ou de I’U.G.T. utilisent et peuvent utiliser toutes leurs forces pour un tel perfectionnement. Au contraire, la constitution d’un gouvernement de coalition avec ses luttes de basse politique entre majorités et minorités, sa bureaucratisation sur la base d’élites sélectionnées et la guerre fratricide que se livrent les tendances opposées rendraient impossible la réalisation de notre travail de libération en Espagne. Cela signifierait l’effondrement rapide de notre capacité d’action, de notre volonté unificatrice et le début d’une « débâcle » imminente face à un ennemi encore passablement fort.

Nous espérons que les travailleurs espagnols et étrangers comprendront la justesse des décisions prises en ce sens par la C.N.T. et la F.A.I. Le discrédit de l’État est la finalité du socialisme. Les faits démontrent que la liquidation de l’État bourgeois, réduit par asphyxie, résulte de l’expropriation économique et non précisément d’une orientation spontanée de la bourgeoisie « socialiste ». La Russie et l’Espagne en sont des exemples vivants. »

(« L’inutilité du Gouvernement », Boletín de Informaciones C.N.T, n°41, 3 septembre 1936.)

b) Pour.

« L’entrée de la C.N.T. dans le gouvernement central est l’un des événements politiques les plus importants de l’histoire politique de notre pays. Tant sur le plan des principe que par conviction, la C.N.T. a toujours été anti-étatiste et ennemie de toute forme de gouvernement. Mais les circonstances... ont changé la nature du gouvernement espagnol et de l’État espagnol.

Aujourd’hui, le gouvernement, en tant qu’instrument de contrôle des organes de l’État, a cessé d’être une force d’oppression contre la classe ouvrière, de même que l’État ne représente plus un organisme qui divise la société en classes. L’un et l’autre opprimeront même moins le peuple maintenant que des membres de la C.N.T. y sont intervenus. »

(Solidaridad Obrera, 4 novembre 1936.)

c) Après.

« Comme fille de vétérans anarchistes, descendante, pourrais-je dire, d’une véritable dynastie d’anti-autoritaires avec un bilan, des réalisations, une vie de lutte consacrée à défendre les idées héritées de mes parents, mon acceptation du poste que m’assignait la C.N.T. avait plus de signification que la simple nomination d’un ministre. D’autres partis, d’autres organisations, d’autres secteurs ne peuvent pas apprécier la lutte interne au mouvement et la conscience même de ses membres, aussi bien alors que maintenant, comme conséquence de la participation de la C.N.T. au gouvernement. Ils ne le peuvent pas, mais le peuple peut, et, s’il ne peut pas, il faut l’informer. Il faut lui dire, que, pour nous , - qui avons sans cesse combattu contre l’État, qui avons toujours affirmé que rien, absolument rien ne pouvait être réalisé à travers l’État, que les mots de « gouvernement » et d’« autorité » signifiaient la négation de toute possibilité de liberté pour les hommes ou les nations - notre intervention dans le gouvernement en tant qu’organisation et qu’individus signifiait ou bien un acte d’audace historique d’une importance fondamentale, ou une rectification de tout un travail, de tout un passé, dans le domaine de la théorie et de la tactique.

Nous ne savions pas ce que cela signifiait. Nous savions seulement que nous étions pris dans un dilemme... Quand je fus nommée par la C.N.T. pour la représenter dans le gouvernement, j’étais membre du Comité régional de Catalogne... Quelles inhibitions, quels doutes, quelle angoisse ai-je eu à surmonter pour accepter ce poste ! Pour d’autres, il aurait pu signifier leur but, la satisfaction de leurs ambitions. Pour moi, il impliquait une rupture avec le travail de toute ma vie, avec tout un passé lié à l’idéal de mes parents. Cela signifiait un effort terrible, un effort que j’ai accompli au prix de bien des larmes. Mais j’ai accepté ce poste, je l’ai accepté, remportant une victoire sur moi-même. Je l’ai accepté, disposée à me dégager à mes propres yeux de la responsabilité de ce que je considérais comme une rupture avec tout ce que j’avais été, toujours fidèle à l’idéal de mes parents et de ma vie entière. Et c’est ainsi que je suis entrée au gouvernement. »

(Federica Montseny, Fragua social, 8 juin 1938.)

Document 29 : Le P.O.U.M. et la question du gouvernement

a) lors de son entrée au conseil de la Généralité

« L’impérieuse nécessité de mener la guerre jusqu’au bout, jusqu’à l’extermination totale de la canaille fasciste, de conduire l’économie du pays jusqu’au socialisme, unique moyen de reconstituer cette économe détruite par la guerre civile et de transformer radicalement la structure politique et sociale de la République, impose la formation d’un gouvernement ouvrier. Celui-ci devant rompre absolument avec la légalité républicaine bourgeoise d’avant en procédant à la convocation immédiate de Cortes constituantes élues par les Comités d’ouvriers, de paysans et de soldats, et qui élaborent la constitution du régime nouveau issu de la révolution.

En catalogue, grâce à l’existence, d’une part de notre Parti qui a toujours maintenu son orientation aille aux principes du marxisme révolutionnaire, et d’autre part de la C.N.T. et de la F.A.I. qui, malgré leur confusionnisme idéologique et leurs erreurs de tactique, incarnent la puissante montée révolutionnaire des masses ouvrières, la politique du Front populaire n’a pas produit les mêmes dégâts que dans le reste de l’Espagne où le Parti socialiste qui dirige le mouvement et le Parti communiste se sont transformés en appendices des partis républicano-bourgeois et s’efforcent de contenir l’avance de la révolution prolétarienne. Du fait de ces circonstances, en Catalogne, la petite bourgeoisie républicaine a été entraînée par l’impétueux courant révolutionnaire jusqu’au point que, d’accord avec l’orientation et les objectifs du mouvement, elle a adopté des positions plus avancées que les socialistes et les staliniens.

Dès les premiers moments, la révolution a revêtu en Catalogne un caractère prolétarien, et la classe ouvrière s’est rendue maîtresse absolue de la situation. Les organes normaux de gouvernement continuent à exister normalement, mais l’apparition d’organismes parallèles comme le Comité central des milices et le Conseil de l’économie les a réduits à de simples fictions. Cet état de choses, compréhensible au début du mouvement, ne correspond déjà plus à la situation. La constitution d’un pouvoir fort s’impose, un pouvoir qui soit capable d’assumer la volonté d’émancipation du prolétariat et de créer la légalité révolutionnaire nouvelle basée sur l’expropriation de la bourgeoisie et l’établissement des fondements d’une économie socialiste. Cette mission, seul un gouvernement ouvrier peut l’accomplir. Dans ce sens, le comité central estime, aujourd’hui comme hier, que ce gouvernement devra être composé exclusivement de représentants des partis ouvriers et des organisations syndicales. Cependant, si ce point de vue n’est pas partagé par les autres organisations ouvrières, nous ne l’imposerons pas, d’autant plus que le mouvement républicain de gauche en Catalogne a un caractère profondément populaire - qui le distingue radicalement du républicanisme de gauche espagnol essentiellement bourgeois - et que les masses paysannes, les secteurs ouvriers qui constituent sa base s’orientent décidément vers la révolution et sont fortement influencés par les partis et organisations prolétariens. L’important est le programme et l’hégémonie du prolétariat, qui doit être garantie. Sur un point, il ne saurait y avoir de doute : le nouveau gouvernement doit faire une déclaration de principes sans équivoque, affirmant sa volonté de traduire dans une légalité révolutionnaire la poussée des masses, et de la diriger dans le sens de la révolution prolétarienne. Quant à l’hégémonie du prolétariat, la majorité absolue des représentants ouvriers l’assurera pleinement.

Un gouvernement de ce caractère imprimera à la révolution une grande accélération dans l’ensemble de la péninsule. L’exemple de la Catalogne enhardira la classe laborieuse de tout le pays et cet exemple sera suivi avec enthousiasme, malgré les tentatives des partis traditionnels de la classe ouvrière espagnole, pour contenir la révolution. En conclusion, le comité central estime que le Parti doit donner tout son appui à la formation de ce gouvernement et accepter d’en faire partie.

Cette collaboration ne pourrait échouer que si toutes tes organisations de la classe ouvrière n’entraient pas dans le nouveau gouvernement, et particulièrement la C.N.T. et la F.A.I. Si, pour obtenir leur collaboration, il apparaît nécessaire de renoncer au nom de « gouvernement », notre parti n’y voit aucun inconvénient. Qu’on l’appelle Gouvernement, Junte ou Conseil, l’essentiel est que soit immédiatement constitué cet organisme que les circonstances exigent de façon impérieuse. »

(Résolution du comité central du P.O.U.M., La Batalla, 18 septembre 1936.)

b) Programme du P.O.U.M. après son exclusion du gouvernement de la Généralité.

« Il faut un gouvernement qui pourrait réaliser les aspirations des masses en donnant une solution radicale et concrète à tous les problèmes en créant un ordre nouveau qui constituerait la garantie de la révolution et de la victoire sur le front. Ce gouvernement ne peut être qu’un gouvernement formé des représentants de toutes les organisations politiques et syndicales de la classe ouvrière, qui se proposerait comme but immédiat la réalisation du programme suivant :

1) Socialisation de la grande industrie et des transports.

2) Nationalisation des banques.

3) Municipalisation des logements.

4) Formation d’une armée contrôlée par la classe ouvrière.

5) Constitution d’un Corps de sûreté intérieur basé sur les Patrouilles de contrôle et le Corps d’investigation créés par la Révolution.

6) Offensive immédiate en Aragon.

7) Réduction des gros appointements.

8) Monopole du commerce extérieur.

9) Création d’une industrie de guerre puissante, socialisée et rigoureusement centralisée.

10) Nationalisation de la terre, la remettant à ceux qui la travaillent, en leur accordant les crédits nécessaires. Exploitation collective des grandes entreprises et aide économique aux entreprises de type collectif créées au cours de la révolution et qui ont démontré leur vitalité.

11) Lutte implacable contre les accapareurs et les agioteurs par un contrôle rigoureux et direct de la répartition et des prix des vivres.

12) Organisation rapide et efficace de la défense aérienne et maritime de tout le territoire. .

13) Convocation d’un Congrès des délégués des syndicats ouvriers et paysans et des combattants, qui établirait les fondements du nouveau régime et élirait un gouvernement ouvrier et paysan qui serait le plus démocratique qu’on ait connu jusqu’à présent, car il exprimerait sans équivoque la volonté de l’immense majorité du pays, et aurait toute autorité pour consolider le nouvel ordre révolutionnaire. »

La Batalla (30 mars 1937).

Document 30 : La politique du P.C. espagnol

a) Caractère de la révolution.

« La révolution qui se déroule dans notre pays est la révolution démocratique bourgeoise qui a été réalisée il n’y a plus d’un siècle dans d’autres pays comme la France et nous, communistes, sommes des combattants de première ligne dans la lutte contre les forces obscurantistes du passé.

Cessez de conjurer le spectre du communisme, vous, les généraux, tant de fois traîtres, avec l’idée d’isoler le peuple espagnol dans cette lutte magnifique contre ceux qui veulent transformer l’Espagne en un pays tragique, arriéré, dans lequel les militaires, le clergé et les caciques seraient les maîtres absolus de la vie et de la propriété ! Nous, communistes, nous défendons un régime de liberté et de démocratie, et, côte à côte avec les républicains, les socialistes, les anarchistes, nous empêcherons l’Espagne de revenir en arrière, à tout prix...

C’est un mensonge de parler de chaos, un mensonge de dire qu’il existe une situation de chaos ici, comme le font les comptes rendus des traîtres à la république ! En cette heure historique, le Parti communiste, fidèle à ses principes révolutionnaires et respectueux de la volonté du peuple se place aux côtés du gouvernement qui exprime cette volonté, aux côtés de la République, aux côtés de la démocratie...

Le gouvernement espagnol est un gouvernement issu du triomphe électoral du 16 février et nous le soutenons et le défendons, parce qu’il est le représentant légal du peuple en lutte pour la démocratie et la liberté...

Vive la lutte du peuple contre la réaction et le fascisme! Vive la république démocratique ! »

(Dolorès Ibarruri, Mundo Obrero, 30 juillet 1936.)

b) Contre les « trotskystes ».

« Notre ennemi principal, ce sont les fascistes. Cependant ces derniers ne comprennent pas seulement les fascistes proprement dits, mais aussi leurs agents, ceux qui travaillent pour eux. Bien entendu, si ces agents disaient : « Nous sommes fascistes et nous travaillons dans vos rangs pour vous créer des difficultés », nous les arrêterions immédiatement. C’est gour cela qu’ils doivent s’intituler autrement... Quelques-uns s’intitulent trotskystes, ce qui est le nom qu’utilisent de nombreux fascistes déguisés qui emploient un langage révolutionnaire pour semer la confusion...

Tout travailleur doit connaître le procès des trotskistes qui s’est déroulé en U.R.S.S. C’est Trotsky lui-même qui dirigeait la bande de criminels qui faisait dérailler les trains en Union soviétique, réalisait des sabotages dans les grandes usines, et faisait tout pour découvrir des secrets militaires afin de les livrer à Hitler et aux impérialistes japonais. Et, au vu du fait que tout cela a été révélé au cours du procès, et que 1es trotskystes ont déclaré qu’ils avaient commis tout cela sous la direction de Trotsky et en complicité avec Hitler et les impérialistes japonais, je demande donc : n’est-il pas parfaitement clair que les trotskystes ne constituent pas une organisation politique ou sociale d’une tendance définie comme les anarchistes, les socialistes ou les républicains, mais une bande d’espions et de provocateurs au service du fascisme international ? Il faut détruire les provocateurs trotskystes ! C’est pourquoi j’ai déclaré dans mon discours à la dernière session plénière du comité central que non seulement il fallait les liquider en Espagne, suspendre leur presse, dissoudre leur organisation, mais qu’il fallait les extirper de tous les pays civilisés, si nous voulions réellement nous débarrasser de cette vermine... En Espagne même, qui, sinon les trotskystes, a inspiré le putsch criminel en Catalogne ?. ... Si, après dix mois de guerre,... le gouvernement n’établit pas l’ordre, alors je serai forcé de conclure, et je suis sûr que tout antifasciste en fera autant, qu’un autre gouvernement de Front populaire devra le faire. »

(José Diaz, discours du 9 mai 1937, Tres Años de Lucha, pp. 350- 366.)

c) avec les « démocraties »

« Nous voulons l’aide (des états démocratiques) et nous croyons que de cette façon ils défendront leurs propres intérêts.

Nous essayons de le leur faire comprendre et d’obtenir leur aide... Nous savons parfaitement que les agresseurs fascistes trouvent dans tous les pays des groupes bourgeois pour les soutenir, comme les conservateurs en Angleterre et la droite en France, mais l’agression fasciste progresse à un tel rythme que les intérêts nationaux, dans un pays comme la France, par exemple, doivent convaincre tous les hommes qui désirent la liberté et l’indépendance de leur pays de la nécessité de se dresser contre cette agression. Et aujourd’hui, il n’est pas de voie plus efficace que d’aider concrètement le peuple espagnol. »

(José Diaz, Frente rojo, 30 mars 1938, reproduit dans Tres Años de Lucha, pp. 461-463.)

d) Pour la république parlementaire.

« Nous nous battons pour la république démocratique et nous n’avons pas honte de le dire. Confrontés au fascisme et à l’intervention étrangère nous ne combattons pas actuellement pour la révolution socialiste. Certains disent qu’à cette étape nous devrions combattre pour la révolution socialiste, et d’autres qui disent même que nous commettons une tromperie, que nous sommes en train de manœuvrer pour dissimuler notre politique réelle quand nous déclarons que nous défendons la république démocratique. Et pourtant, camarades, nous nous battons pour une république démocratique, et plus encore, pour une république démocratique et parlementaire. Il ne s’agit pas de tromper l’opinion démocratique espagnole ni de tromper l’opinion démocratique mondiale. Nous combattons sincèrement pour la république démocratique, parce que nous savons que si nous commettions l’erreur de combattre en ce moment pour la révolution socialiste dans notre pays - et même pour une période relativement éloignée après la victoire - nous donnerions la victoire au fascisme ; nous verrions dans notre pays non seulement les envahisseurs fascistes, mais, à leurs côtés, les gouvernements bourgeois démocratiques du monde, qui ont déjà dit explicitement que dans la situation européenne actuelle ils ne toléreraient pas une dictature du prolétariat dans notre pays. »

(Santiago Carrillo, discours à la conférence nationale de janvier 1937 des J.S.U., En marcha hacia la victoria, p. 10.)

Document 31 : Les communistes et la défense de Madrid

a) Manifeste du 5° régiment (26 septembre 1936).

« Dans tous les quartiers, partout, des coupes de miliciens, hommes et femmes, avec volonté, avec décision, prêts à réaliser le travail et à fortifier Madrid.

Tous les miliciens armés, au front !

Tous les hommes qui ne sont pas miliciens et peuvent travailler à la construction de fortifications, prêts à creuser des tranchées !

Chaque maison, chaque rue, chaque quartier doit être transformé en forteresse. »

(Cité par Jesús Hernández, Rojo y Negro, pp. 294- 295.)

b) Manifeste du comité central du Parti communiste (2 novembre 1936).

« MADRID EST EN DANGER !

Sans pessimisme, avec la certitude absolue du triomphe de la cause que défend avec un héroïsme surhumain le peuple espagnol, mais conscient de la gravité du moment que nous vivons, le comité central du Parti communiste espagnol s’adresse à tous les travailleurs et essentiellement aux communistes pour les prévenir de l’imminence du danger qui menace la capitale de la République et pour les conjurer de faire l’effort maximum qui permettra d’infliger le plus rapidement possible une défaite à l’ennemi et de passer à la contre-offensive qui rétablira définitivement la situation de notre pays.

Madrid est la proie que l’ennemi convoite le plus, c’est vers Madrid que convergent tous ses efforts, c’est sur Madrid qu’il concentre tous ses effectifs, toute sa puissance de feu. Grâce à l’aide de l’Allemagne, de l’Italie et du Portugal qui ont fourni à la canaille insurgée toutes sortes de matériels lourds modernes contre lesquels notre armée n’a pu agir efficacement, il a été possible aux factieux d’approcher du cœur de l’Espagne républicaine.

Mais, malgré tout, dans l’esprit de tous, vit profondément enracinée la conviction que Madrid sera inexpugnable grâce à l’héroïque effort des masses populaires, décidées à verser jusqu’à la dernière goutte de leur sang. Et cette conviction est basée non seulement sur leur héroïsme, mais aussi sur la puissance des armes modernes que le peuple lui-même, dans un effort magnifique, a su se forger et qui nous sont nécessaires pour vaincre.

Le devoir des communistes est d’organiser, de discipliner et de mener au combat les milliers d’hommes du peuple qui sont prêts à donner leur vie pour sauver la patrie, la démocratie, et pour écraser le fascisme, car le facteur décisif de toutes les guerres est le facteur humain.

Madrid ne sera pas conquis par les hordes fascistes ! Communistes d’Espagne : en avant pour la défense de Madrid ! Plus que personne, camarades, nous devons être les premiers à faire les efforts et les sacrifices nécessaires, à verser jusqu’à la dernière goutte de notre sang pour défendre la cause de la liberté qui est la cause du peuple.

Notre parti frère de l’Union soviétique nous a montré le chemin dans ses combats héroïques de 1917 et tout particulièrement dans sa défense de Pétrograd. Notre exemple, notre décision, notre héroïsme, doivent mobiliser et grouper en un étroit coude à coude tous ceux qui sont résolus à se sacrifier et à travailler à l’organisation de la défense de Madrid. Il faut un miracle d’organisation pour faire de Madrid une forteresse inexpugnable ; mais Madrid ne doit pas être défendu seulement de l’intérieur de la capitale. Madrid doit être défendu de dehors.

A l’héroïsme de son peuple doit répondre l’héroïsme des Espagnols de toute l’Espagne. Communistes ! Mobilisez sang trêve, sans hésitation, toutes nos forces : mettez-vous sans perdre un instant en contact avec toutes les organisations ouvrières et les partis politiques ; Aujourd’hui, plus que jamais tous les embats doivent tendre vers un seul but : sauver Madrid. Des hommes, des armes, des vivres, tout ce qu’il faudra sur Madrid et pour Madrid, qui est l’Espagne, qui est la République, qui est la Révolution.

Nous sauverons Madrid et nous sauverons l’Espagne, nous sauverons la République, nous sauverons la démocratie, nous sauverons notre liberté.

En ces heures historiques où se joue non seulement l’avenir de l’Espagne, mais l’avenir de la démocratie du monde entier, la solidarité internationale, la solidarité de tous les peuples démocratiques, qui, comme nous, comprennent la nécessité de lutter contre le fascisme ne doit pas nous faire défaut.

Travailleurs, vous qui croyez à la liberté, à la démocratie ! A Madrid, se joue le sort de la République démocratique et des libertés populaires. La défense de Madrid est le problème brûlant de l’heure, doit être la question primordiale pour toutes les populations d’Espagne.

La défense de Madrid doit être l’œuvre de toute l’Espagne populaire et antifasciste !

Peuples libres d’Euzkadi, de Catalogne ! La République a signifié pour vous le triomphe de vos idées ; vous avez trouvé en elle une large audience et une pleine compréhension de vos aspirations. Le triomphe du fascisme serait 1’écrasement de vos libertés. Intensifiez votre offensive, et vous contribuerez par là à défendre Madrid, ce qui veut dire défendre la République, défendre votre liberté.

Paysans d’Andalousie, d’Estrémadure, de Galice, de Castille ! Organisez des guérillas contre les traîtres qui veulent vous réduire en esclavage ! Attaquez sur leurs arrières vos ennemis qui sont les nôtres ! Le triomphe de la République sera pour vous la libération définitive : vous serez les maîtres de la terre, vous cesserez d’être des parias. Aidez les ouvriers des villes à écraser le fascisme.

Communistes, travailleurs d’Espagne, un dernier effort, l’effort qui s’impose toujours dans les moments critiques, et nous aurons sauvé notre cause, nous aurons sauvé l’avenir du peuple.

Tous debout pour la défense de Madrid ! Que demain l’ennemi se trouve devant un peuple qui défend, pied à pied, la terre qui est la sienne, qui défend, en faisant le sacrifice de sa vie, toutes les conquêtes démocratiques des masses populaires ! Communistes : au combat ! Intellectuels, bourgeois, défendez tous Madrid, défendez vos femmes, vos mères, vos elles, votre dignité et votre liberté menacées.

Nous voulons et nous voulons de toute notre âme que Madrid ne soit pas souillée par la botte immonde du fascisme.

Mais il faut se hâter : chaque minute que nous perdons, c’est une heure de gagnée pour l’ennemi.

Madrid sera invincible parce que ses hommes et ses femmes le veulent ! Communistes ! En avant vers la victoire ! Donnez tout, sacrifiez tout pour la défense de Madrid ! »

(Mundo Obrero, 2 novembre 1936.)

c) Deuxième manifeste du 5° régiment (7 novembre).

« Le salut de Madrid est une question d’heures. Des milliers de miliciens luttent contre les Maures et les légionnaires étrangers qui prétendent écraser le peuple de Madrid. C’est l’heure historique de la bataille décisive.

On a répété pendant des mois que Madrid serait la tombe du fascisme, et voici venu le moment d’en faire une réalité. Madrid, le Madrid des grandes concentrations antifascistes, des puissants syndicats ouvriers, Madrid qui a tant de fois vaincu la réaction, est sérieusement menacé.

Hommes et femmes de Madrid,

le monde entier dépend de nous, Madrilènes. Il faut que cette page de notre histoire que nous sommes en train de vivre se termine par notre triomphe. Madrid honorera le destin que l’Histoire lui a réservé.

Déjà les canons tonnent à nos portes. Tous les Madrilènes debout. Prêts à gagner, coûte que coûte. Chaque homme, chaque femme, un combattant. Nous lutterons et nous vaincrons. Mais pour cela il faut se préparer à la lutte, immédiatement, sans perdre des heures qui peuvent être précieuses pour le triomphe de notre cause.

Antifascistes,

Tous au combat. Nous répétons le mot d’ordre des premiers moments héroïques. Ces canailles fascistes, qui veulent nom écraser dans Madrid, ELLES NE PASSERONT PAS !

Elles ne passeront pas si chaque Madrilène grave dans son cœur ce désir fervent et fait tout ce qu’il peut pour le triomphe définitif.

Un dernier effort, et Madrid sera sauvé ! Tous unis, nous livrerons la bataille finale pour notre triomphe ! Vive Madrid, héroïque et antifasciste ! Tout pour la victoire ! Tout pour la guerre ! Au combat, Madrilènes ! A la victoire !

(Guerra y Revolución en España, 11, p. 161.)

d) Instructions du 5° régiment a la population (7 novembre).

« 1) Dans les quartier où l’ennemi cherche à entrer, les miliciens doivent construire des barricades, faire des barrages, placer les obstacles qui empêchent les tanks ennemis de circuler à leur guise.

2) Occuper les maisons les plus importantes de la rue qu’il faut défendre, organiser la défense à partir des fenêtres. Un tank ne peut rien contre les hommes qui sont au premier et au second étage d’une maison. Et ces hommes, eux, peuvent lancer des grenades sur les tanks, détruire la cavalerie ennemie, faire reculer l’infanterie.

Ne jamais oublier que la lutte dans la rue et en ville est différente de la lutte en rase campagne.

Des fenêtres on peut tirer facilement sur tous les types d’attaquants.

3) Dans les rues, il faut organiser un service de vigilance, mais les miliciens qui en sont chargés doivent savoir dans quelle maison se réfugier en cas de danger pour résister ou attaquer.

De même les miliciens qui défendent les tranchées, parquets et postes, doivent savoir, en cas de retraite, où aller.

(Guerra y Revolución en España, 11, p. 162.)

e) Communiqué de la Junte de défense (12 novembre).

« La Junte de défense de Madrid a reçu de nombreuses demandes de la part des membres des Comités de voisins de la capitale demandant qu’un représentant de ces Comités fasse partie de la Junte. Comme la nomination de la Junte de défense a été faite par les organismes syndicaux et politiques en accord avec le gouvernement légitime, il est en conséquence impossible qu’une représentation autre prenne place dans la Junte. »

(A.B.C., 12 novembre 1936.)

f ) Appel lancé à la radio au nom du 5° régiment.

« Il s’agit de conquérir la Liberté et l’Avenir ; il s’agit de suivre le merveilleux exemple des peuples de l’U.R.S.S. dont la solidarité renforce si puissamment notre foi dans le triomphe, de faire de l’Espagne un pays progressiste, un pays qui, tout en assurant le bien-être de son peuple, soit un bastion de la paix et du progrès dans le monde.

Combattants de l’Armée populaire et des Milices ! Jeunesse en armes ! L’avenir est entre vos mains ! Soyez dignes de ceux qui sont tombés ! Aux opprimés du monde entier, donnons le stimulant de notre victoire ! »

(Allocution prononcée à la radio du 5° régiment par le commandant Trifón Medrano, membre de la direction des J.S.U. et du P.C..)

Document 32 : Le gouvernement de Staline et l’Espagne.

a) Lettre de Staline, Vorochilov, Molotov.

« Au Camarade Caballero :

Notre représentant plénipotentiaire, le camarade Rosenberg, nous a transmis l’expression de vos sentiments fraternels. Il nous a également informés que vous êtes inébranlablement animés par la certitude de la victoire. Permettez-nous de vous adresser nos remerciements fraternels et de vous assurer que nous partageons votre confiance dans la victoire du peuple espagnol.

Nous avons jugé et nous jugeons encore de notre devoir, dans la mesure de nos possibilités, d’aider le gouvernement espagnol qui dirige la lutte de tous les travailleurs, de tous les démocrates espagnols, contre la camarilla militaro-fasciste, auxiliaire des forces fascistes internationales.

La révolution espagnole s’ouvre des voies qui, par bien des aspects, diffèrent du chemin parcouru par la Russie. Ils déterminent de cette façon la différence des prémisses dans l’ordre social, historique et géographique, les exigences de la situation internationale, différentes de celles que rencontrait la révolution russe. Il est très possible que la voie parlementaire se révèle comme un procédé de développement révolutionnaire plus efficace en Espagne qu’elle ne le fut en Russie.

Nous croyons que notre expérience, surtout celle de notre guerre civile, dûment appliquée aux conditions particulières de la lutte révolutionnaire espagnole, peut avoir une valeur précise pour l’Espagne. Partant de là, et considérant vos demandes répétées, transmises en temps voulu par le camarade Rosenberg, nous consentons à mettre à votre disposition une série de spécialistes militaires à qui nous donnons comme instructions de conseiller sur le terrain militaire ceux des officiers espagnols auxquels vous destinerez leur aide.

Ils ont été fermement avertis de ne pas perdre de vue que, tenant compte de toute la conscience de la solidarité dont sont aujourd’hui pénétrés le peuple espagnol et les peuples de l’Union soviétique, le spécialiste soviétique, parce qu’il est étranger en Espagne, ne peut être réellement utile que s’il s’en tient rigoureusement à la fonction de conseiller et seulement à celle de conseiller.

Nous croyons que c’est précisément de cette façon que vous devez utiliser nos camarades militaires.

Nous vous demandons de nous informer amicalement de la façon dont nos camarades militaires parviennent à remplir les fonctions que vous leur confiez puisque c’est seulement dans le cas où vous considérez leur travail comme positif qu’il est opportun qu’ils demeurent en Espagne.

Nous vous demandons également de nous faire connaître directement et sans détours votre opinion sur le camarade Rosenberg ; s’il satisfait le gouvernement espagnol ou s’il convient de le remplacer par un autre représentant.

Quatre conseils amicaux que nous soumettons à votre discrétion :

1) Il conviendrait d’accorder de l’attention aux paysans, qui ont un grand poids dans un pays agraire comme l’Espagne. Il serait souhaitable de promulguer des décrets de caractère agraire et fiscal qui satisfassent leurs intérêts. Il conviendrait également de les attirer à l’armée et de former à l’arrière des armées fascistes des groupes de guérilleros composés de paysans. Des décrets en leur faveur pourraient faciliter le règlement de cette question.

2) Il conviendrait d’attirer aux côtés du gouvernement la bourgeoisie urbaine petite et moyenne ou, en tout cas, de lui donner la possibilité d’adopter une attitude de neutralité favorable au gouvernement, en la protégeant contre toute confiscation et en lui assurant dans la mesure du possible la liberté du commerce. Dans le cas contraire, ces secteurs suivraient les fascistes.

3) Il ne faut pas repousser les dirigeants des partis républicains, mais, au contraire, les attirer, se rapprocher d’eux et les associer à l’effort commun du gouvernement. Il est en particulier nécessaire d’assurer au gouvernement l’appui d’Azaña et de son groupe, en faisant tout ce qu’il est possible de faire pour les aider à surmonter leurs hésitations. Cela est également nécessaire pour empêcher que les ennemis de la République ne voient en elle une république communiste, et pour empêcher ainsi leur intervention déclarée, ce qui constitue le plus grand péril pour l’Espagne républicaine.

4) On pourrait saisir l’occasion pour déclarer dans la presse que le gouvernement de l’Espagne ne tolérera pas que qui que ce soit porte atteinte à la propriété et aux intérêts légitimes des étrangers en Espagne, des citoyens des pays qui n’appuient pas les fascistes.

Salut fraternel,

Staline, Molotov et Vorochilov

21 décembre 1936. »

(Guerra y Revolución en España, t. II, pp. 101-102. Texte russe hors-texte, p. 100, et traduction espagnole.)

b) Lettre de Largo Caballero aux dirigeants soviétiques.

« Camarades Staline, Molotov y Vorochilov :

Mes chers Camarades, 1a lettre que vous avez eu la bonté de m’envoyer par l’intermédiaire du camarade Rosenberg m’a procuré une très grande joie. Votre salutation fraternelle et votre foi fervente en la victoire du peuple espagnol m’ont produit une profonde satisfaction. A votre cordiale salutation et à votre ardente foi en notre triomphe, je réponds, de mon côté, par mes meilleurs sentiments.

L’aide que vous apportez au peuple espagnol et que vous vous êtes imposée à vous-mêmes en la considérant comme un devoir, nous a été et continue à nous être d’un grand bénéfice.

Soyez sûrs que nous l’estimons dans sa juste valeur.

Du fond du cour, et au nom de l’Espagne, et très spécialement au nom des travailleurs, nous vous en sommes reconnaissants ; nous espérons que par la suite, comme jusqu’à présent, votre aide et votre conseil ne nous manqueront pas.

Vous avez raison de signaler qu’il existe de sensibles différences entre le développement qui suivit la révolution russe et celui qui suit la nôtre. En effet, comme vous le signalez vous-mêmes, les circonstances sont différentes : les conditions historiques de chaque peuple, le milieu géographique, l’état économique, l’évolution sociale, le développement culturel et surtout la maturité politique et syndicale dans laquelle se sont produites les deux révolutions, est différente. Mais, répondant à votre allusion, il convient de signaler que quelle que soit la chance que l’avenir réserve à l’institution parlementaire, elle ne jouit pas entre nous ni même entre les républicains, de défenseurs enthousiastes.

Les camarades qui, appelés par nous, sont venus nous aider, nous rendent de grands services. Leur grande expérience nous est très utile et contribue d’une manière efficace à la défense de l’Espagne dans sa lutte contre le fascisme. Je puis vous assurer qu’en accomplissent leur charge avec un véritable enthousiasme et un courage extraordinaire. Quant au camarade Rosenberg, je puis franchement vous dire que nous sommes satisfaits de sa conduite et de son activité parmi nous. Ici, tous l’aident. I1 travaille beaucoup, avec excès, et préjudice pour sa santé affaiblie.

Je vous suis très reconnaissant de vos conseils d’ami que renferme la fin de votre lettre. Je les estime comme étant une preuve de votre bonne amitié et de votre intérêt pour le meilleur succès de notre lutte.

En effet, le problème agraire en Espagne est d’une importance exceptionnelle. Dès le premier moment notre gouvernement se préoccupa de protéger les apiculteurs en améliorant énormément les conditions de leur existence. Nous avons dans ce sens publié d’importants décrets. Mais malheureusement, on n’a pu éviter, au commencement surtout, qu’il se produisit à la campagne certains excès, mais ayons grand espoir qu’ils ne se reproduiront pas.

Je puis vous en dire autant de la petite bourgeoisie. Nous l’avons respectée, et proclamons constamment son droit de vivre et de se développer. Nous tâchons de nous l’attirer en la défendant contre les agressions possibles qu’elle a pu souffrir au commencement.

D’accord absolument sur ce que vous dites en rapport avec 1es forces politiques républicaines. Nous avons proposé à tout instant de les associer à l’œuvre du gouvernement et de la lutte.

Elles participent largement dans tous les organismes politiques et administratifs, autant locaux que provinciaux et nationaux. Ce qui arrive, c’est qu’elles-mêmes ne font à peu près rien pour accuser leur propre personnalité politique.

Et quant aux intérêts et propriétés des étrangers, citoyens de pays qui n’aident pas les rebelles, installés en Espagne, ils ont été respectés et mis sous la sauvegarde du gouvernement.

C’est ainsi que nous l’avons fait savoir en maintes occasions. C’est ainsi que nous le faisons. Et il est certain que je profiterai de la première occasion pour le répéter une fois de plus à tout le monde.

Salutations fraternelles :

Francisco Largo Caballero

Valence, le 12 janvier 1937. »

(Guerra y Revolución en España, t. 11, pp. 102-103, texte original en français.)

Procès de Moscou en Espagne

Document 33 : Note à la presse du Consulat général d’URSS à Barcelone

« Une des manœuvres de la presse vendue au fascisme inter- national consiste à répandre la calomnie selon laquelle ce sont les représentants accrédités de l’Union soviétique auprès du gouvernement espagnol qui sont 1es dirigeants véritables de la politique extérieure espagnole.

Les objectifs que se fixent 1es laquais du fascisme en répandant de telles insinuations sont évidents. Ils veulent d’abord saper à l’extérieur le prestige du gouvernement républicain Espagnol, ensuite affaiblir le sentiment de solidarité fraternelle qui ne cesse de se renforcer entre les peuples d’Espagne et d’Union soviétique, principale base morale de la lutte antifasciste, troisièmement appuyer et renforcer les tendances à la désorganisation qui cherchent à miner le Front unique républicain et qui émanent de différents groupes incontrôlés et irresponsables.

C’est ainsi qu’il s’est trouvé parmi les organes de la presse catalane une feuille qui a entrepris d’appuyer cette campagne fasciste. Dans son numéro du 24 novembre, La Batalla prétend publier des matériaux sur les insinuations fascistes mentionnées ci-dessus.

Le consulat général de l’U.R.S.S. à Barcelone repousse avec mépris les lamentables inventions de cette feuille. »

Pour le consul général de l’U.R.S.S. à Barcelone :

Le chargé de presse, Korobizine

(Solidaridad Obrera, 27 novembre 1936.)

Document 34 : Andrés Nín : L’Espagne révolutionnaire et les procès de Moscou

... « Nous sommes fidèles au souvenir de la Révolution d’Octobre, de la glorieuse Internationale communiste, de ses quatre premiers congrès. Nous sommes contre l’ex-Internationale ex-communiste d’à présent. C’est parce que nous rappelons la tradition révolutionnaire du léninisme qu’on veut nous éliminer ici comme on élimine à Moscou la vieille garde bolchevique. Entre la campagne de calomnies d’ici et la campagne de calomnies de Moscou existe une relation intime. On détruit physiquement la vieille garde bolchevique. On poursuit notre destruction physique parce que nous sommes fidèles à la Révolution... »

(Andrés Nin, discours du 30 janvier 1937, Los problemas de la Revolución española, pp. 189-190.)

Document 35 : Article de la Pravda (mars 1937).

« L’organe central des anarchistes qui paraît à Barcelone, Solidaridad Obrera, se livre à d’insultantes attaques contre la presse soviétique. Il estime en particulier que les informations des correspondants de guerre soviétiques concernant l’attitude du P.O.U.M. constituent une tactique nuisible destinée à semer la division dans les rangs des « antifascistes d’Espagne ».

Ce sale petit article, qui défend les traîtres trotskystes, émane des éléments louches infiltrés dans les rangs de l’organisation anarcho-syndicaliste. Il s’agit d’anciens collaborateurs de Primo de Rivera, de la « Phalange » fasciste et trotskyste. Ce n’est un secret pour personne que de véritables cavernicoles commandent à Solidaridad Obrera, dont le véritable rédacteur en chef est Cánovas cervantes, ancien rédacteur du périodique fasciste La Tierra.

Ces agents de Franco se sont embusqués dans l’organisation anarchiste afin de briser de l’intérieur le front du peuple espagnol. Mais leurs calculs seront déjoués. Les masses anarchosyndicalistes s’emparent chaque jour plus de l’idée de la nécessité d’une discipline de fer, d’une Armée populaire et forte. C’est pourquoi les ennemis du peuple espagnol infiltrés dans les rangs anarchistes attaquent aujourd’hui le Front populaire avec une ardeur redoublée.

Ce n’est pas par hasard que ces éléments trotskystes malfaisants ont organisé un soulèvement armé dans la région de Valence précisément au moment où commençait à Guadalajara l’attaque italienne. I1 faut également noter que le périodique valencien Nosostros exige quotidiennement dans ses éditoriaux la migration des détenus qui ont pris part à ce soulèvement armé et parmi lesquels se trouvent des fascistes déclarés. Ces revendications s’accompagnent toujours de menaces contre le gouvernement.

La note anti-soviétique de Solidaridad Obrera démontre que les trotskystes et autres agents des polices secrètes allemande et italienne cherchent à s’emparer de l’organe central des anarchistes. Ce fait a provoqué l’inquiétude des dirigeants anarchistes catalans qui veulent réellement lutter contre les forces obscures du fascisme international. »

(N. Oliver, « Les intrigues des agents trotskystes de Franco », Pravda, 22 mars 1937.)

Document 36 : Lettre du Comité national de la C.N.T. contre la persécution du P.O.U.M.

... « L’élimination du P.O.U.M., commencée en Catalogne au mois de décembre, et qui a été systématiquement poursuivie depuis, n’a pas été commencée par le procès contre des hommes camouflés dans ses rangs et agents fascistes, mais ce procès qui pourrait bien être un prétexte habilement ourdi - la suc- cession suspecte des faits nous oblige y compris à le redouter - s’est produit maintenant, au moment où le P.O.U.M. en tant que parti a déjà été exclu de toutes les activités antifascistes, exclu du gouvernement de la Généralité écarté du Conseil de défense - commissariat - santé militaire comprise, en Catalogne. Une élimination qui n’a pas commencé en mai, mais en décembre de l’année précédente...

En Catalogne, comme dans le reste de l’Espagne, la persécution contre le P.O.U.M. n’est pas ressentie comme une nécessité par tous les partis et organisations. Seul la réclame et l’impose un parti, qui y travaille avec la ténacité et la constance qui le caractérisent. Les autres partis assistent en spectateurs à ce combat inégal et quelque peu ignoble entre un parti faible et un parti plus fort qui a sur l’Espagne loyale l’influence morale que lui donne l’appui prêté par la Russie à notre cause...

... Le décret du ministère de la Justice créant les Tribunaux spéciaux siégeant à huis clos et un terrible appareil de nouveaux tribunaux de sang paraît être une concession de plus aux nécessités ou aux projets d’élimination d’un parti appelé d’unification marxiste, élaborés et mis en pratique par le Parti communiste en Espagne et en Russie. Et nous estimons que l’opinion libérale espagnole ne peut y consentir.

Qu’on résolve en U.R.S.S. les problèmes comme on le peut ou comme les circonstances le veulent. Mais il est impossible de transplanter cette lutte en Espagne, de la poursuivre par le sang et le feu, internationalement, à travers la presse, et ici par la loi, utilisée comme une arme par le biais d’un chantage moral peu digne, contre un parti d’opposition ou un secteur dissident d’une idéologie et d’une politique.

S’il y a dans le P.O.U.M. des agents de Franco infiltrés, espions et provocateurs, qu’on les arrête, qu’on les juge, qu’on les fusille... Mais les agents les espions, les provocateurs. Non, les membres d’un parti qu’on veut détruire et qu’on élimine d’abord en le mettant hors la loi, ensuite en supprimant ses dirigeants, des hommes qui, par tout leur passé, ont un prestige acquis dans les masses. On ne peut nous convaincre que Nín, que Andrade, que Gorkin, que David Rey, sont des agents du fascisme, des espions, etc., à moins qu’on ne nous le prouve.

Nous voulons des preuves pour le croire... Et ces preuves, il faut les apporter de manière claire et précise, non dans un jugement à huis clos imitant de façon suspecte des procédés importés d’autres pays. »

(« Lettre aux autorités et aux dirigeants des partis et syndicats », Peirats, op. cit., t. II, pp. 333-334.)

Document 37 : Révélations de l’ancien ministre anarchiste Federica Montseny

« On vient de nous dire qu’on a trouvé à Madrid les cadavres de Nín et de deux autres camarades. Cette nouvelle n’a pas été confirmée, mais, tant que le gouvernement ne la dément pas en nous disant où est Nín, nous pouvons croire qu’elle est exacte. On ne peut impunément, en foulant aux pieds la volonté et la dignité d’un peuple, s’en prendre à une poignée d’hommes, les accuser d’un crime qui n’est pas démontré les détenir dans une maison particulière habilitée à cet effet, les en extraire pendant la nuit et les assassiner. »

(Discours de F. Montseny à un meeting à l’Olympia à Barcelone, le 21 juillet 1937, cité par Peirats, op. cil., t. 11, p. 339.)

Document 38 : Note au ministère de la Justice sur l’affaire Nín (4 août 1937).

« Cet organisme, au vu des divers rapports rédigés par la police sous les ordres de la direction générale de la Sûreté, en relation avec les faits subversifs qui se sont déroulés en Catalogne en mai dernier et avec les dénonciations, enquêtes et documents d’espionnage réunis à Madrid et sur lesquels a été donnée auparavant une information, a observé que, parmi les détenus mis à la disposition des tribunaux, n’apparaissait pas Andrés Nín, ancien conseiller de la Justice de la Généralité, dirigeant du parti P.O.U.M. De l’enquête ouverte, il résulte que Nín, avec d’autres dirigeants du P.O.U.M., a été détenu par la police de la direction générale de la Sûreté, transféré à Madrid et détenu dans un « préventorium » d’où il a disparu, toutes les tentatives de la police et de ses gardiens pour retrouver le détenu s’étant jusqu’à ce jour révélées infructueuses.

Ce fait a été porté à la connaissance du procureur général de la République, avec des instructions pressantes d’avoir à insister auprès du Tribunal d’espionnage qui instruit l’affaire pour que soient prises les mesures adéquates afin que la lumière soit faite sur le sort de Nín et la conduite des éléments entendus sur ces faits, à partir des documents dans lesquels la personne de Nín a été mentionnée, et sur lesquels, contenu et authenticité, le tribunal est déjà informé. Toutes ces mesures sans préjudice de l’action de la police qui continue son enquête afin de retrouver ce détenu pour le mettre à la disposition des tribunaux de la République, dans les prisons de l’État. »

(Note de l’agence Febus, citée dans Peirats, op. cit., t. II, p. 344.)

Document 39 : Le P.O.U.M. clandestin et l’affaire Nín.

... « En ce qui concerne Nín, certainement assassiné par les staliniens, on sait qu’il n’a jamais été détenu dans les prisons officielles, bien que le gouvernement l’ait su et l’ait toléré par crainte du gouvernement de Stalirie qui a décidé d’anéantir le P.O.U.M.

Passé par les « tchékas » du Paseo de la Castellana et de la rue Atocha, il a été ensuite transféré dans une prison privée du Parti communiste à Alcala de Hénarès d’où il a été enlevé par des militaires appartenant à la Guépeou, dans 1’intention de l’assassiner. »

(La Batalla (clandestine), 20 novembre 1937.)

Document 40 : L’affaire Nín vue par la revue de l’IC.

« Sur une carte de Madrid... nous voyons un mur portant une inscription en gros caractères, devant laquelle s’arrête un passant : « Gouvernement Negrin, où est Nín ? ». Au-dessous de ces mots, une autre main peu habituée à l’écriture a tracé, avec un humour tout populaire, la réponse suivante : « A Sala- manque ou à Berlin ». Et cette réponse est très juste...

... Ce même Nín qui, en 1921, avait été arrêté en Allemagne, mais relâché un mois après, alors que tous ceux qui avaient été arrêtés avec lui ont été condamnés à des peines de plusieurs années; ce même Nín, qui, dans la nuit du 28 juin 1938 (sic), fut, en Espagne républicaine, libéré de la prison par des inconnus en uniforme d’officier ; et l’on trouva dans un portefeuille, perdu par un de ces individus, des pièces ne laissant aucun doute que Nín avait été libéré par des agents de l’état-major allemand ; ce même Nín qui avait été l’objet de préoccupations particulières de la part de certains personnages de la IIe Internationale.

Qui est-il, ce Nín ? Est-il le directeur d’une « organisation politique », ainsi que l’affirment ses avocats, membres de la IIe Internationale, ou bien un de ceux que le procureur d’État Vychinski a accusés à Moscou au nom du peuple soviétique, ou bien un des agents du Centre d’espionnage allemand, dont le procès se déroule actuellement aux Etats-unis ? »

(L’Internationale communiste, n°2, février 1939, pp. 271-272.)

Document 41 : Décret interdisant les critiques contre l’U.R.S.S. (14 août 1937).

« De façon réitérée, ce qui permet de deviner un plan délibéré pour offenser une nation exceptionnellement amicale et créer ainsi des difficultés au gouvernement, des journaux se sont occupés de façon incorrecte de l’Union soviétique... Cette licence absolument condamnable ne doit pas être autorisée par le conseil des censeurs... Le journal contrevenant sera suspendu indéfiniment, même s’il a été soumis à la censure : dans ce cas, le censeur qui aura lu les épreuves sera déféré au tribunal spécial chargé des crimes de sabotage. »

(Solidaridad Obrera, 15 août 1937.)

Document 42 : Délits passibles des tribunaux spéciaux (décret du 23 juin 1937).

« Maintenir, sans raison justifiée des relations directes ou indirectes avec un État étranger en guerre avec la République ; transmettre, sans motif légitime, des données de caractère militaire, politique, sanitaire, économique, industriel, à des organismes opposés au régime ou à des particuliers ; accomplir des actes hostiles à la République, en dehors ou à l’intérieur du territoire national ; prêter aide, dans le même but, aux organisations soumises à l’influence des États étrangers, qui, directement ou indirectement, favorisent la guerre contre le gouvernement légitime ; réaliser des actes susceptibles d’affaiblir l’action de défense de la République, tels que sabotage dans les usines ou industries de guerre, destruction de ponts ou autres actes analogues... Toute action ou omission qui, par sa nature propre ou en raison des circonstances, du lieu ou du moment, peut être réputée comme constituant de la haute trahison, parce que tendant à porter gravement préjudice à la République ; défendre ou propager des nouvelles ou émettre des jugements défavorables à la marche des opérations de guerre ou au crédit et à l’autorité de la République à l’intérieur et à l’extérieur ; les actes ou manifestations tendant à affaiblir le moral public, démoraliser l’armée ou affaiblir la discipline collective...

... La tentative ou l’échec de ces crimes, conspirations et propositions, aussi bien que la complicité dans la protection de personnes justiciables de ce décret peuvent être punis au même titre que s’ils avaient été réellement commis. Quiconque, coupable de tels crimes les dénonce aux autorités, sera relevé de toute sanction. ta peine de mort peut être appliquée sans que le gouvernement en soit formellement informé. »

(Solidaridad Obrera, 23 juin 1937.)

Document 43 : Résumé par le Procureur de l’acte d’accusation contre le P.O.U.M.

« Nous pouvons fixer d’une façon claire et définitive l’activité du P.O.U.M. contre le peuple espagnol qui se caractérise par :

1) Les attaques constantes contre le Parlement de la République et de la Catalogne dont il préconise même la suppression par la violence.

2) La campagne la plus effrénée qu’ait jamais connue le journalisme et la politique espagnole contre le Front populaire, soutien de notre démocratie, auquel le P.O.U.M. attribue tous les maux imaginables.

3) La diffamation constante des hommes qui ont formé les divers gouvernements de l’Espagne et de la Catalogne, dont il demande le remplacement par la violence afin d’en former d’autres « ouvriers et paysans », par la « prise du pouvoir ».

4) Une diatribe enflammée contre les partis qui forment le Front populaire, la Gauche républicaine, l’Union républicaine, la Gauche catalane, les Nationalistes et Catholiques basques, le Parti socialiste espagnol, le Parti communiste, le Parti socialiste unité de Catalogne et la Jeunesse socialiste unifiée.

5) Le désir constant de diviser les deux grands syndicats ouvriers la C.N.T. et I’U.G.T. en fomentant parmi eux la discorde pour le moindre motif.

6) La communauté de critère avec le fascisme national et international concernant l’interprétation de l’aide que l’Union des républiques socialistes soviétiques a prêtée pour le bien moral et matériel de la République et une diffamation systématique contre les dirigeants politiques russes ainsi que l’injure et les calomnies propagées contre la Justice, l’Armée et l’Administration soviétiques.

7) L’intense propagande contre notre armée populaire, le commandement unique, ses officiers et son Commissariat, auxquels il attribue tous les contretemps qui, dans une guerre aussi violente que celle que nous connaissons doivent naturellement se produire ; l’incessante revendication de suppression de cette armée et de son remplacement par une autre, révolutionnaire selon l’interprétation « sui generis » du P.O.U.M., et l’excitation en faveur de la non-mobilisation et de la désobéissance au gouvernement.

8) L’appui donné dans la zone loyale à la propagande factieuse par la publication des papillons et des tracts jetés par les rebelles dans le camp républicain.

9) Le défaitisme systématique résultant de la diffusion de fausses nouvelles sur les mesures d’ordre économique, concernant l’approvisionnement, etc. prises par le gouvernement, et d’une appréciation malsaine de la situation militaire.

10). L’intime relation qu’on remarque entre l’intense campagne que le P.O.U.M. a réalisée contre la République et celle que les fascistes ont faite et font, de même qu’avec celle dans laquelle ils protègent les journaux étrangers hostiles à notre cause.

11) La concomitance qu’on observe entra l’activité de certaines organisations fascistes d’espionnage et le P.O.U.M. génériquement considéré.

12) Finalement, la monstrueuse insurrection de mai 1937 en Catalogne et en Aragon. »

(Reproduit, d’après Independant News, par L’Espagne nouvelle, n° 56-57, 12 août 1938.)

Poumistes et trotskystes

Document 44 : Trotsky sur le P.O.U.M.

« Il n’en va guère mieux avec le P.O.U.M. Certes, il a théoriquement tenté de s’appuyer sur la formule de la révolution permanente (et c’est pour cela que les staliniens ont traité les poumistes de trotskystes), mais la révolution ne se contente pas de simples reconnaissances théoriques. Au lieu de mobiliser les masses contre les chefs réformistes, y compris les anarchistes, le P.O.U.M. cherchait à convaincre ces messieurs de l’avantage du socialisme sur le capitalisme. C’est sur ce diapason qu’étaient accordés tous les Articles et discours des leaders du P.O.U.M.

Pour ne pas se détacher des chefs anarchistes, ils n’organisèrent pas leurs propres cellules dans la C.N.T. et, en général, n’y firent aucun travail. Éludant les confits aigus, ils ne menèrent aucun travail dans l’armée républicaine. Au lieu de cela, ils édifièrent leurs « propres syndicats » et leurs « propres milices » qui défendaient leurs propres édifices ou s’occupaient de leurs propres secteurs du front. En isolant l’avant-garde révolutionnaire de la classe, le P.O.U.M. affaiblissait l’avant-garde et laissait les masses sans direction. Politiquement, le P.O.U.M. est resté incomparablement plus près des Front populaire dont il couvrait l’aile gauche, que du bolchevisme. Si le P.O.U.M. est tombé victime d’une répression sanglante et fourbe, c’est que le Front populaire ne pouvait remplir sa mission d’étouffer la révolution socialiste autrement qu’en abattant morceau par morceau son propre flanc gauche.

En dépit de ses intentions, le P.O.U.M. s’est trouvé en fin de compte, le principal obstacle sur la voie de la construction d’un parti révolutionnaire. C’est une très grande responsabilité qu’ont prise sur eux les partisans platoniques ou diplomatiques de la IVe Internationale... qui ont démonstrativement soutenu le P.O.U.M. dans son hybridité, son indécision, sa tendance à écarter les questions brûlantes, en un mot son centrisme. La révolution ne s’accorde pas avec le centrisme.

Il faut conformer la politique aux lois fondamentales de la révolution, c’est-à-dire au mouvement des classes en lutte, et non aux craintes et aux préjugés superficiels des groupes petits-bourgeois qui s’intitulent Front populaire et un tas d’autres choses. La ligne de moindre résistance s’avère dans la révolution la ligne de pire faillite. La peur de s’isoler de la bourgeoisie conduit à s’isoler des masses. L’adaptation aux préjugés conservateurs de l’aristocratie ouvrière signifie la trahison des ouvriers et de la révolution. L’excès de prudence est 1’imprudence la plus funeste. Telle est la principale leçon de l’effondrement de l’organisation politique la plus honnête de l’Espagne, le P.O.U.M., parti centriste. »

(L. Trotsky, « Leçons d’Espagne, dernier avertissement », Écrits, t. III, pp. 543-544 et 551.)

Document 45 : Le P.O.U.M. sur les trotskystes.

« Peut-on parler de divorce entre la masse du Parti et son Comité exécutif ? Peut-on formuler contre nous l’accusation d’antidémocratique et d’usurpation ? Honnêtement non. Cependant, les éléments trotskistes, qui obéissent à un pape et à un dogme, ont eu l’audace de la formuler, ce qui a provoqué une brève résolution... Les trotskistes ont naguère tenté de diviser notre Parti et ont complètement échoué. Ils s’efforcent aujourd’hui de le discréditer, parce que son prestige international rend leurs manœuvres impossibles, mais ils n’échoueront pas moins complètement...

... Le trotskisme n’a joué aucun rôle au cours de la révolution espagnole. Il manquait d’organisation effective en Espagne et, d’autre part, ses critiques et ses conseils, imprégnés du sectarisme et du schématisme le plus étroit, n’ont pu être d’aucune utilité à l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat espagnol.

La manœuvre d’infiltration et de division tentée par le trotskysme au sein de notre Parti échoua complètement grâce à la ligne politique ferme et à l’unité interne du Parti. Le Comité central du P.O.U.M., fort de sa propre expérience, met les partis marxistes indépendants en garde contre les manœuvres du trotskysme et contre son sectarisme politique, lequel, s’il porte, à vrai dire, en lui-même sa propre négation et sa propre impuissance, peut avoir des effets nocifs pour l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat.

... Le P.O.U.M. reconnaît qu’il a commis quelques erreurs.

Loin de les dissimuler, il se propose au contraire de les reconnaître publiquement, lorsqu’il fera le bilan général de la révolution, conformément aux devoirs de la plus sévère autocritique marxiste, condition indispensable pour la formation de ses militants et le renforcement de son prestige devant l’opinion prolétarienne internationale. »

(Présentation et résolution politique adoptée au Comité central élargi du P.O.U.M., 1er avril 1939. Archives personnelles.)

Document 46 : Critiques de l’intérieur du P.O.U.M.

« Pendant tout le cours de la révolution et de la guerre civile, il y a eu dans le Parti une fraction, plus ou moins organisée, qui n’avait pas la moindre foi ni la moindre confiance dans la politique révolutionnaire du P.O.U.M., qui a toujours conspiré contre elle, qui l’a sabotée sur les fronts et à l’arrière, qui a imposé au Parti des tactiques erronées, qui l’a empêché de jouer le rôle que l’Histoire lui réservait. [...] C’est la fraction qui, pendant tout le cours de notre action en Espagne, a trouvé son expression la plus achevée dans la majorité du Comité central, c’est la fraction qui a donné à cet organisme un caractère réactionnaire achevé.

Les circonstances mêmes que nous avons traversées en Espagne ne nous ont pas toujours donné l’occasion propice pour manifester au grand jour nos divergences. L’Histoire nous présentera souvent comme responsables de ces erreurs. La plus grande erreur politique que nous ayons commise a été précisément de faire trop longtemps le silence sur ces divergences, et de ne pas les rendre publiques. »

(« Ante la crisis política del Partido », adresse aux militants du P.O.U.M., datée du 23 juin 1939, signée de Juan Andrade, Wilebaldo Solano, José Calvet, Amadeo Robles. Archives personnelles.)

Problèmes et querelles d'interprétation - I. Anarchistes

L’histoire de la C.N.T.-F.A.I., du mouvement anarchiste et anarcho-syndicaliste, a fait l’objet de très nombreuses études d’inégale valeur. Le travail récent de César M. Lorenzo rassemble d’intéressantes conclusions. Pourtant, bien des questions demeurent posées.

Lorenzo, à la suite de polémiques anciennes à l’intérieur du mouvement anarchiste, fait de Salvador Seguí un « possibiliste », en d’autres termes un syndicaliste ayant évolué vers le réformisme. Cette interprétation des positions défendues par le prestigieux dirigeant de la C.N.T. barcelonaise d’après-guerre est formellement contestée. D’abord par Andrés Nín, qui était lié avec lui et pensait, lorsqu’il fut assassiné, pouvoir le gagner au communisme [1] : Nín s’est proposé pendant longtemps de rédiger une biographie de Seguí dont il vénérait la mémoire, et en a été empêché par sa mort tragique. Récemment, à la suite de la publication du travail de César Lorenzo, le vieux militant Pedro Bonet a fait sur cette question une mise au point dans La Batalla [2]. Il proteste contre l’interprétation de Seguí comme un « possibiliste » et contre la tradition, reflétée par César Lorenzo, qui fait de lui l’homme de la « commission paritaire ». Selon lui, c’était en réalité Angel Pestaña qui avait inspiré cette politique, et ce serait lui également qui serait à l’origine de cette légende tenace, lancée par ses soins après la mort de Seguí. Bonet insiste à juste titre sur deux traits de la pensée de Seguí : son refus résolu des préjugés anarchistes contre la « politique », son souci de l’unité ouvrière dans une perspective de lutte de classes.

César Lorenzo a bien mis en lumière l’existence de trois courants fondamentaux qui concourent dans la C.N.T. à cette époque. Le courant « trentiste » mériterait une analyse plus poussée : Pestaña a certes fondé le « parti syndicaliste », mais Juan Peiró et Juan López, avec les syndicats de l’opposition, sont revenus à la C.N.T. en 1936. Il y a bien sûr, dans ce courant, les signes évidents d’une évolution vers le réformisme analogue à celle qu’avaient suivie dès avant 1914 nombre de syndicalistes révolutionnaires français avec Léon Jouhaux. Mais il serait intéressant de répondre à la question de savoir quelles étaient, dans l’Espagne de cette époque, les bases sociales d’un courant née-réformiste se dégageant de la C.N.T. L’importance du courant « trentiste » et des syndicats de l’opposition dans le Levant, sa domination quasi exclusive sur la classe ouvrière de la ville catalane de Sabadell, s’expliquent-elles uniquement par des considérations de personnes et des situations locales ? Enfin des militants « trentistes », en quittant la C.N.T., ont commencé une révolution politique qui les a conduits au P.S.U.C., comme Pedro Foix et Roldán Cortada dont l’assassinat devait servir de préface aux Journées de Mai. Il serait intéressant de dégager les facteurs d’une telle évolution.

Le courant que César Lorenzo appelle, après d’autres, « anarcho-bolchevik » a été récemment décrit par un de ses animateurs, Ricardo Sanz, qui a retracé 1’histoire des Solidarios et de Nosostros [3]. Mais le témoignage de ce vétéran ne confirme pas - il s’en faut - l’analyse que suppose l’étiquette reprise par Lorenzo. Ces hommes - les Buenaventura Durruti, Garcia Oliver, Francisco Ascaso, Aurelio Fernández, Gregorio Jover - apparaissent bien plutôt comme des militants ouvriers activistes, nous pourrions même dire « gauchistes », que comme des militants « bolchevisants ». Ce sont des partisans résolus de la théorie - et surtout de la pratique - des minorités agissantes, ce qui les situe dans la tradition bakouniste bien plus que dans celle de Marx. Leur goût de l’organisation conspirative, le sérieux de leurs préparatifs militaires et techniques, leur souci de l’armement et de l’efficacité immédiate les rapprochent beaucoup plus des gauchistes allemands du K.A.P.D. par exemple. Quoique leurs préoccupations d’organisateurs les éloignent à certains égards de l’anarchisme traditionnel, leur attachement à l’action insurrectionnelle - que leurs adversaires dénoncent comme des « putschs » -, l’ensemble de ce qu’on appellera la pratique « faïste » en font au contraire des militants très représentatifs de l’anarchisme espagnol. On pourra enfin discuter interminablement la question de savoir si les dernières prises de position de Durruti, à la veille de sa mort devant Madrid, en faisaient un homme en train de rompre avec l’anarchisme pour se diriger vers le bolchevisme... ou s’il tournait le dos à ce dernier en se laissant abuser par le stalinisme.

Enfin, il faut bien avouer que les contours du courant que Lorenzo appelle l’anarchisme traditionnel demeurent aussi flous que l’ensemble des éléments dont nous disposons aujourd’hui pour analyser l’action et les méthodes de la F.A.I. Le « communisme libertaire » tel qu’il a été décrit à Saragosse au congrès de 1926 par Isaac Puente ne nous semble pas incompatible avec les théories latentes dans la pratique des Garcia Oliver, Durruti, Ascaso, qui se reconnurent pourtant dans ce programme. On ressent également le besoin d’une analyse historique sérieuse du courant représenté par Diego Abad de Santillan, le premier à avoir, à la veille de la révolution, esquissé un programme économique, ardent défenseur, puis sévère critique de la collaboration gouvernementale qui ne semble jamais s’être départi de ses principes « anarchistes traditionnels » à travers des pratiques et finalement des « politiques » fort différentes.

Nous pensons surtout que, dans la période qui va en gros de 1917 à 1937, et que nous considérons comme une période de crise - probablement de crise finale - de l’anarcho-syndicalisme en Espagne, resurgit, à deux reprises, au sein de tous les courants analysés par César M. Lorenzo, une tendance à la fois « syndicaliste et unitaire » d’une part, « politique et révolutionnaire » de l’autre : elle va de Nín, Maurín, Arlandis, Ibañez, responsables génétistes et futurs communistes, mais aussi de Salvador Seguí, à un bout de la chaîne, jusqu’à Jaime Balius et Los Amigos de Durruti, à l’autre extrémité, en passant par les anarcho-syndicalistes partisans de l’unité ouvrière dans les Alliances, et, par conséquent, du pouvoir des conseils ouvriers, que sont en 1934 des hommes aussi éminents et respectés dans le mouvement que Valeriano Orobón Fernández et José Maria Martinez qui meurent tous les deux avant 1936... Le fait que ce courant s’orientant, selon nous, à travers bien des hésitations et des détours, vers le marxisme révolutionnaire, apparaisse précisément aux époques de montée révolutionnaire où les travailleurs recherchent les voies de la lutte et du pouvoir nous paraît significatif. C’est pourquoi nous pensons que l’histoire de la C.N.T., du mouvement anarchiste et anarcho-syndicaliste en général ne peut être sérieusement menée en dehors de l’étude d un contexte - et d’une interaction entre le mouvement et ce contexte -dont le mouvement marxiste organisé, et à partir de 1919 le mouvement communisme constitue un élément capital. Jusqu’au 1922, l’Internationale communiste de Lénine exerce sur les militants de la C.N.T. une incontestable attraction, alors que la politique sectaire imposée par la suite au P.C. d’Espagne par l’Internationale stalinisme joue le rôle de facteur éminemment répulsif, qui explique la faiblesse numérique et l’isolement de ce parti pendant les premières années de la République. En revanche, le « tournant politique » de 1935, ainsi que les circonstances particulières de la guerre civile, redonnent au communisme un visage attractif auquel céderont au moins dans les premiers temps de la guerre bien des libertaires endurcis. Mais nous pensons qu’une histoire faite de ce point de vue, ne saurait être entreprise ni par un historien ayant de l’anarchisme la conception qui en est enseignée dans les différents P.C., ni par un homme qui ait du communisme « autoritaire » la conception que s’en font traditionnellement les libertaires et qui, en particulier, identifie « bolchevisme » et « stalinisme ».

Notes

[1] A. Nín, « Salvador Seguí », La Correspondance Internationale, n°29, II, avril 1923.

Problèmes et querelles d'interprétation - II. Socialistes

C’est pourtant cette identification qui fournit au moins partiellement la clef de la monté communiste des débuts de la guerre civile, et, tout particulièrement, l’évolution du secteur de la Jeunesse socialiste. Le vide des études historiques est particulièrement frappant pour cette période. Même un analyste aussi rompu à la dialectique que l’était Andrés Nín nous semble n’avoir pas saisi la signification et la portée du tournant à gauche du Parti socialiste. Bien sûr, il est clair que Prieto n’a jamais perdu la tête qu’il avait solidement républicaine et parlementaire et qu’il a fait, en 1934, la part du feu. Il le fallait sans doute pour être en mesure, comme il l’a fait, de présenter comme « le programme de l’insurrection des Asturies », à la veille des élections de 1936, dans son journal El Liberal [1], un « programme » dont aucun ouvrier asturien n’avait apparemment entendu parler - ce qui n’empêche pas qu’après Rodolfo Llopis [2], des historiens de tout bord [3] continuent sur ce point à le croire sur parole. L’explication est pourtant trop simpliste, car le phénomène de la radicalisation socialiste ne peut être réduit à une comédie, une simple manœuvre de politiciens faisant la part du feu. Nous pensons pour notre part qu’il y eut « feu » en effet, c’est-à-dire montée révolutionnaire d’une exceptionnelle puissance, provoquée précisément par la menace d’une contre-révolution qui réduisait en poussière non seulement des espoirs chèrement nourris, mais jusqu’aux médiocres, cependant précieuses, réalités. L’unanimité dans la sévérité des jugements portés sur Largo Caballero tant par 1es communistes officiels que 1es poumistes ou les anarchistes -pour ne pas parler de la quasi-totalité de ses camarades de parti -, les accusations portant sur son verbalisme révolutionnaire, sa confusion, ses hésitations, ses rodomontades de vieil homme entouré de disciples empressés et flatteurs, ne peuvent, quel que soit en elles le grain de vérité, dissimuler la forêt, à savoir ce profond mouvement qui met en branle, dans l’Espagne entière, la jeunesse et la classe ouvrière et paysanne et lui fait tendre la main vers le vieux chef réformiste à partir du moment où il emploie les mots magiques de « révolution » et de « dictature du prolétariat ».

Il faudrait aujourd’hui commencer à étudier de très près le rôle des intellectuels socialistes qui ont fait Claridad après avoir mené dans Leviatán un effort de clarification théorique, et les replacer dans le contexte qui 1es a conduits précisément à cette démarche. Il faudrait travailler sérieusement sur le mouvement de la Jeunesse socialiste, sans doute un des mouvements de jeunes politiques le plus fort numériquement dans l’Europe et l’entre-deux-guerres, analyser et expliquer dans ses rangs le goût pour le bolchevisme qui fera que des Carrillo et des Melchor « trotskyseront » de longs mois avant de se « staliniser ». Mais, là encore, il faudra auparavant analyser dans le détail, région par région, ce qu’est à cette époque le Parti socialiste espagnol, ce qu’il est en train de devenir, et pourquoi il change.

Nous pensons qu’on découvrira alors 1es mêmes nécessités qui pèsent sur l’étude de l’anarcho-syndicalisme, son contexte, sa toile de fond, l’évolution au sein du mouvement communiste qui pèsent lourd dans le Parti socialiste, malgré les apparences. Les premiers résultats des recherches de Georges Garnier [4] donnent à cet égard pour les Asturies de précieuses indications. Car le Parti socialiste aux Asturies n’est pas seulement un appareil, celui des Amador Fernández, Ramón González Peña et Belarmino Tomás, qui ne cessent pas d’être des social-démocrates et pour qui les révolutionnaires n’ont pas tous les yeux bienveillants de Manuel Grossi [5]. Il existe au sein du Parti socialiste des Asturies une gauche authentique dont les liens, dans l’histoire comme dans l’activité, le mode de pensée et l’expression, sont évidents avec le communisme. Jesús Ibañez est cet ancien dirigeant de la C.N.T., délégué à Moscou avec Maurín, Nín et Arlandis ; ce mineur a été l’un des tout premiers communistes dans cette région. José Loredo Aparicio, avocat, a été également l’un des premiers dirigeants de la fédération communiste des Asturies. Ces hommes se retrouvent en 1934 dans le Parti socialiste, sa gauche, les J.S. comme Juan Pablo Garcia, autour du journaliste Javier Bueno et du quotidien d’Oviedo, Avance. La « tribune libre » d’Avance, en 1934, est le lieu d’une confrontation permanente sur le problème de l’unité, la perspective et la construction de l’Alliance ouvrière, une tribune suffisamment prestigieuse pour que s’y expriment les dirigeants « alliancistes » de la C.N.T. et que lui répondent anarchistes purs et communistes staliniens.

En fait, cette gauche socialiste asturienne est constituée de militants communistes de la première heure qui ont rompu avec l’Internationale stalinisme et sont revenus au Parti socialiste après avoir animé des groupes oppositionnels communistes : Ibañez vient de la fédération communiste des Asturies, après avoir été collaborateur de La Batalla, et José Loredo Aparicio, fondateur du premier groupe d’opposition de gauche, « les bolcheviks du Nalon », a été un des dirigeants de la Gauche communiste, collaborateur et administrateur de Comunismo. Ces hommes, c’est évident, conservent des liens avec les groupes communistes d’opposition dont ils reflètent à bien des égards l’influence dans les rangs socialistes.

Notes

Problèmes et querelles d'interprétation - III. Communistes

Le lecteur de la tribune libre d’Avance aura d’ailleurs beaucoup de mal à distinguer entre la pensée politique de ces hommes ou celle du mineur Benjamin Escobar, un des premiers communistes aux Asturies, qui ont milité à la Gauche communiste avant de rallier le Bloc ouvrier et paysan, et que l’on retrouvera au P.O.U.M. Et ce fait pose le problème du mouvement communiste à cette époque, si on entend bien par là à la fois les communistes officiels du P.C.E. et les groupes d’opposition dont l’origine a été dans de véritables pans du parti, détachés de sa direction.

La clandestinité rigoureuse à laquelle les communistes ont été réduits sous la dictature de Primo de Rivera a, comme nous l’avons noté, coïncidé avec la « bolchevisation » de l’Internationale et de ses partis, et ces deux facteurs expliquent la faiblesse numérique et l’importance politique du parti officiel comme le morcellement du mouvement communiste proprement dit. Mais il nous paraît évident que les nécessités de l’exposition ont conduit bien des historiens, y compris nous-mêmes, à simplifier à l’excès, pour ne pas dire à schématiser les oppositions et les courants qui divisent ce mouvement depuis la proclamation de la République. Il serait nécessaire d’étudier à fond le mouvement « mauriniste », ses liens avec le catalanisme et notamment l’Esquera de Companys : ce n’est pas un hasard si l’ancien anarchiste Jaime Miravitlles est à cette époque « bloquiste » alors qu’il sera en 36 le bras droit du président de la Généralité. Il faudrait étudier le développement du P.C. espagnol dans l’émigration, sa réorganisation - par Nín - à Paris en 1925, le développement de son organisation parmi les travailleurs émigrés de la Belgique et du Luxembourg, par exemple, d’où est sorti, avec Francisco Garcia Lavid - Henri Lacroix - le noyau de ce qui deviendra la Gauche communiste. Il faudrait disposer de documents d’archives pour retrouver les traces des conflits au sein de l’appareil dans la période de la dictature et comprendre pourquoi l’ancien trotskyste José Bullejos est devenu, en qualité de dirigeant du P.C.E. jusqu’en 1932, le champion de la lutte contre le « trotskisme », avant de servir de bouc émissaire pour la politique ultra-gauchiste des années trente. Il faudra étudier avec soin les archives à paraître de Jules Humbert-Droz [1] pour y relever notamment ses tentatives de délégué de l’I.C. en Espagne pour réconcilier Maurín et son groupe avec Moscou et les arracher à l’influence de Nín et des trotskistes.

La période qui précède la guerre civile est caractérisée par un reclassement très rapide des organisations et des militants à l’intérieur d’un champ qui recouvre l’ensemble des partis ouvriers et touche même les organisations républicaines. La revue trotskyste La Lutte de Classes publie, sans formuler de réserve majeure, le programme du Bloc ouvrier et paysan que Trotsky va soumettre à une critique acerbe. Nín envisage, contre Trotsky d’adhérer à la Fédération catalane, mais en est tenu à l’écart dans des conditions qui le surprennent [2]. L’histoire du B.O.C. reste à faire. Non seulement parce que l’étiquette de « boukharinien » que nous lui avons nous-mêmes accolée est sommaire, mais parce qu’entre 1932 et 1935 il a évolué sur un certain nombre de points et publié dans sa presse nombre d’articles de Trotsky en venant à souscrire à certaines des analyses qu’il refusait en 1930. Arlandis, un des dirigeants de la C.N.T. gagnés au communisme pendant le « triennat bolchevique » rompt avec Maurín en 1932, peu avant que ce dernier reçoive le renfort de Portela, autre vétéran du communisme en Espagne. L’ancien anarchiste Ramón Casanellas, un des auteurs du célèbre attentat contre Dato, tenu pour responsable du terrorisme anti-ouvrier à Barcelone, s’est réfugié en U.R.S.S. : il en revient stalinien fervent et, à la même époque, c’est le député socialiste Balbontin qui rejoint le P.C. officiel. Le confit entre Trotsky et les trotskistes espagnols est bien antérieur à la question de l’entrée dans le Parti socialiste. Dès 1932, la majorité de l’organisation espagnole désire une rupture avec la politique qui consiste à lutter pour le « redressement » des P.C., la politique dite « d’opposition », et souhaite un travail militant « indépendant ». L’explosion, retardée par la victoire hitlérienne en 1933 et le tournant de l’opposition de gauche internationale, aura lieu cependant, et tous les éléments de la polémique entre Trotsky et le P.O.U.M. étaient déjà en germe dans le confit de 1932-1933. I1 semble en outre que Nín ait conservé des contacts avec Kurt Landau, communiste autrichien qui a dirigé l’opposition allemande et fait partie du Secrétariat international de l’opposition de gauche, avant de rompre et de manifester une hostilité tenace à Trotsky et aux trotskistes. Sous le nom de Wolf Bertram, on le retrouve dans les années 1934-1935 avec le groupe Que faire ? d’opposition interne pour le redressement du P.C.F. Or il rejoint Barcelone et le P.O.U.M. en 1936. La majorité de la Gauche communiste refuse en 1934 l’entrée dans le Parti socialiste, proposée par Trotsky, et que soutiennent deux des dirigeants du groupe, L. Fersen - Enrique Fernández - et Esteban Bilbao, ainsi que Munis - Manuel Fernández Grandizo - mexicain d’origine, qui milite à Madrid. Mais ce dernier - et c’est plausible - laissee entendre que Trotsky, dans son analyse, s’inspirait de celle qui avait été faite auparavant par Esteban Bilbao [3]. Or, à cette date, Fersen, Bilbao et Munis ne sont soutenus que par une poignée de jeunes militants de Madrid : l’un d’entre eux, Jesús Blanco, rejoindra pourtant le P.O.U.M., sera membre du Comité central de la J.C.I. et son principal dirigeant à Madrid, avant d’être tué à Pozoblanco où il commandait un bataillon. Au moment où se produit à l’intérieur du groupe trotskyste la rupture sur la question de l’adhésion au Parti socialiste, au moins deux des dirigeants trotskiste espagnols, Henri Lacroix et Loredo Aparicio ont déjà adhéré - individuellement, semble-t-il - au Parti socialiste. Dans la préface qu’il a rédigée pour le livre d’Andrés Nín, Juan Andrade, témoin précieux de cette période, souligne au pesage l’existence à cette époque d’une crise grave au sein du Bloc ouvrier et paysan [4]. Cette crise est générale, vérifiée également au sein de la Gauche communiste comme des Partis socialiste et communiste. Elle résulte du choc entre les organisations telles qu’elles sont et l’aspiration de la classe ouvrière à l’unité de front comme une nécessité vitale pour combattre et survivre face à une contre-révolution bien décidée à extirper par la terreur toute conquête ouvrière et détruire tout mouvement ouvrier organisé. Seule une étude poussée des mouvements grévistes, des tentatives de riposte ouvrière face aux manifestations spectaculaires de la droite, rassemblement des jeunes d’Action populaire, à Covadonga en 1934, à Tolède, puis à l’Escorial en 1935, permettrait à notre sens d’analyser la réalité de ce mouvement en quelque sorte naturel de la classe ouvrière et de l’obstacle que constitue pour lui la division du mouvement politique et syndical organisé.

Il faut, certes : manifester la plus bande méfiance pour tout ce qui est histoire « policière » de l’Internationale communiste. Néanmoins il apparaît nécessaire d’éclairer dans cette période, le rôle du groupe dirigeant au sein du P.C.E., et en particulier de Codovilla, véritable dirigeant de ce parti comme Fried-Clément l’était à la même époque, du P.C.F. Avant de souscrire à l’opinion d Araquistáin qui voit en lui le « deus ex machina » du ralliement au stalinisme de l’équipe dirigeante des J.S. autour de Santiago Carrillo, il faudrait étudier à la fois la façon dont, en 1935-36, la révolution d’octobre 1917 était connue, ressentie et comprise en Espagne, l’influence de la propagande communiste soviétique au sujet des plans quinquennaux, de l’industrialisation de la construction du socialisme etc., et la possible corruption exercée sur de tout jeunes hommes à l’expérience politique limitée : il serait utile notamment d’étudier de façon détaillée les variations des thèmes politiques d’un Carrillo et d’un Melchor avant et après leur séjour en Union soviétique.

Les polémiques entre partisans de Nín-Andrade et partisans de Trotsky au sujet du P.O.U.M. gagneraient à être éclairées en profondeur par des études du type de celles que nous venons de suggérer. Le problème décisif historiquement, celui de 1934-35, « entrisme » dans le Parti socialiste ou fusion avec le Bloc dans le P.O.U.M., peut être réduit à une divergence dans la méthode de construction du Parti révolutionnaire. Les partisans de 1’« union des révolutionnaires » dans le P.O.U.M. ont beau jeu de souligner la rapide décomposition de l’aile gauche socialiste, le rôle joué par la direction de la J.S. dans la stalinisation du Parti socialiste espagnol. Les mêmes tirent un argument évident de la rapide liquidation politique des trotskistes « entrés » dans le Parti socialiste espagnol sur les conseils de Trotsky, qu’il s’agisse de Fersen ou d’Estebán Bilbao, ou encore de la médiocrité des « groupes » trotskistes mis sur pied à partir de 1936. Mais il est Incontestable que la décision de la Gauche communiste de ne pas entrer dans le P.S. a pesé sur le destin de l’aile gauche de ce parti livrée à elle-même, car il est impossible de comparer ce que n’ont pas réalisé ensemble Fersen, Bilbao, Munis et six jeunes militants madrilènes, avec ce qu’auraient pu réaliser la pléiade de brillants militants trotskistes qui ont préféré prendre part à la fondation du P.O.U.M.

Le parti ainsi constitué par la fusion du Bloc et de la Gauche communiste était-il un parti de caractère national comme l’écrit aujourd’hui encore Juan Andrade [5] ? On peut légitimement en douter. Les arguments en faveur d’une fusion avec le Bloc sont très forts en ce qui concerne la Catalogne où ce dernier regroupe incontestablement une avant-garde ouvrière qui a une réelle influent parmi les travailleurs : l’entrée des trotskistes dans le petit Parti socialiste catalan de Vidiella - qui constituera le noyau du P.S.U.C. - risquait en effet de placer les trotskistes en position d’infériorité par rapport aux maurinistes. En fait, aucun des protagonistes ne semble avoir envisagé à cette date la possibilité d’une montée foudroyante de l’influence stalinienne, facteur qui allait se révéler décisif pour l’existence même du P.O.U.M.

Mais la situation n’est pas identique, il s’en faut, dans les autres régions d’Espagne. Là encore, les Asturies suggèrent une tout autre interprétation des virtualités ouvertes à l’époque. Car là, Bloc ouvrier et paysan et Gauche communiste constituent des minorités dont la présence au sein du P.S.O.E. aurait pu, comme le pensait Trotsky, féconder l’aile gauche groupée autour d’Avance et, du coup, peut-être empêcher le retour en force des anti-alliancistes de la C.N.T. au lendemain de la mort de José Maria Martinez puis d’Orobón Fernández avant la guerre civile. L’étude du Parti socialiste dans les Asturies au cours de la guerre civile démontrerait la remarquable résistance offerte par l’aile gauche socialiste à l’influence stalinienne, ce que la presse du P.O.U.M. souligne en mettant en relief, au printemps de 1937, les prises de position d’un Javier Bueno [6] et l’organisation par Rafael Fernández - comme lui dirigeant de l’insurrection asturienne et de l’Alliance ouvrière de 1934 - de l’opposition révolutionnaire à la politique de Carrillo à la tête de la J.S.U. [7]. A cette date, le porte-drapeau du trotskysme aux Asturies après la défection de Loredo Aparicio, Emiliano Garcia, ouvrier du bâtiment, ancien secrétaire de l’Ateneo ouvrier de Gijon, est tombé dans les rangs des milices. L’implantation du P.O.U.M. semble avoir été plus importante au Levant, à Valence et à Castellon, où il est représenté dans les comités formés en juillet 1936, mais elle est mineure dans tout le reste de l’Espagne [8], particulièrement à Madrid où les progrès réalisés dans les premières semaines de la guerre civile ne permettront jamais au P.O.U.M. d’être « reconnu » par les autres organisations et n’empêcheront pas que les poumistes de la capitale soient les premiers frappés. Si, comme nous le pensons sur la base d’une étude de la presse du P.O.U.M. à partir de sa fondation, une étude plus poussée confirmait que l’essentiel des forces du nouveau parti se trouvait bien en Catalogne, il serait effectivement possible de conclure que, lors de sa constitution les préoccupations « catalanistes » qui avaient toujours été celles de Maurín - et lui avaient valu d’acerbes critiques de Nín - avaient prévalu dans le choix de la méthode de construction du parti qui avait abouti à « l’unification des révolutionnaires » à travers le P.O.U.M.

Il en est de même pour la question de l’adhésion du P.O.U.M. à l’alliance électorale qui préfigurait le Front populaire. Juan Andrade écrit en 1970 qu’elle ne rencontra « aucune opposition » dans ses rangs [9], ce qui peut surprendre même si l’on se contente de constater les précautions prises sur ce point par le manifeste du P.O.U.M. publié après les élections [10]. Le même dirigeant parle longuement, dans le même texte, d’une « gauche » du P.O.U.M. à laquelle il s’identifie, sans jamais parler pour autant des points sur lesquels elle s’opposait à une direction qu’il devait qualifier en 1939 de « fraction réactionnaire ». Une intervention de l’actuel secrétaire général du P.O.U.M., secrétaire en 1936 de son organisation de jeunesse, la J.C.I., Wilebaldo Solano, au cours d’un débat public sur la révolution espagnole [11] a en revanche admis la « résistance » opposée à l’intérieur du P.O.U.M. par certains militants à l’entrée d’un représentant dans le gouvernement de la Généralité. Le même Solano, dans une introduction au livre d’Andrés Nin sur les mouvements d’émancipation nationale, a mentionné un texte de Landau théorisant la position de Nín sur cette question [12]. I1 faut espérer la publication intégrale de la brochure de Landau et que Solano, dans la biographie de Nín qu’il prépare, fournisse tous les documents susceptibles d’éclairer les débats internes de ce parti dont Andrade défend en bloc la politique alors qu’il informe son lecteur qu’il a vécu « depuis le commencement de la révolution dans une crise interne permanente et occulte. » [13] Les militants du P.O.U.M. ne doivent pas refuser aux historiens du mouvement ouvrier espagnol et, du même coup, aux jeunes générations qui cherchent à comprendre, les éléments qui permettraient d’éclairer en même temps que l’histoire du P.O.U.M. celle de la révolution espagnole.

Il sera peut-être plus difficile, au moins avant l’ouverture aux chercheurs des archives de Trotsky à Harvard, d’établir avec précision ce qui fut la réalité de l’intervention des trotskistes dans la Révolution espagnole. Paolo Spriano a récemment découvert dans les archives de la police italienne le texte, intercepté en 1936, d’une lettre de Trotsky à Jean Rous et ses camarades espagnols concernant l’attitude à observer à l’égard du P.O.U.M. dans les premiers jours de la guerre civile, dans une évidente tentative de « réconciliation » et de collaboration politique [14]. Mais les indications fournies sur cette « mission » par Jean Rous lui-même [15] demeurent légères, surtout si l’on tient compte de la violence des critiques dirigées contre lui, à propos de cette mission, de différents horizons du mouvement révolutionnaire et de l’intérieur même des rangs trotskistes : il semble au moins que cet échec d’un rapprochement pour un travail commun entre « bolcheviks-léninistes » et « poumistes » ait été vivement ressenti par des militants comme Andrade, malheureusement muet sur ce point [16]. La presse trotskyste de l’époque s’est fait également l’écho des rivalités entre les deux groupes de Barcelone, celui d’El Soviet, soutenu par le P.C.I. en France, et Voz Leninista que soutenaient le secrétariat international et le P.O.I. et qu’animaient Munis et l’Italien Carlini. Le procès pour « l’assassinat » de l’officier russe Léon Narvitch intenté à ces deux derniers en 1938 mériterait également d’être éclairci, ce qui permettrait peut-être de mettre en relief le rôle d’agents provocateurs que dénonce si fréquemment la presse trotskyste de toutes tendances. Enfin, l’étude attentive des archives - encore closes - de Trotsky, permettra peut-être, quand le moment sera venu, d’étayer ou d’abandonner l’hypothèse émise par W. Solano selon laquelle l’agent personnel de Staline au sein de l’organisation trotskyste, Marc Zborowski, le célèbre « Etienne », se serait employé avec succès à envenimer les divergences entre Trotsky et les principaux dirigeants de la Gauche communiste, puis du P.O.U.M., notamment Nín et Andrade [17].

L’un des principaux griefs de Trotsky contre le P.O.U.M. a été sa politique internationale. Le P.O.U.M. jugeait en effet prématurée l’orientation vers la construction de la IVe Internationale et fut allié aux partis et groupes que Trotsky qualifiait de « centristes » qui constituaient le « bureau de Londres ». Des communistes étrangers antistaliniens, mais non trotskistes, ont joué un rôle important non seulement dans les colonnes du P.O.U.M. ou dans ses bureaux, mais à sa direction. Ainsi le jeune militant de I’I.L.P. Bob Smilie, qui devait mourir en prison en 37 dans des conditions suspectes. Nous avons mentionné le rôle joué par l’Autrichien Kurt Landau. Il faut rapprocher de lui l’Argentin Etchebehere - Hippo - qui avait été, comme lui, en France, avec Georges Kagan et André Ferrat, l’un des dirigeants de la fraction du P.C.F. groupée autour de la revue Que faire ?. Landau fut assassiné par les hommes de la N.K.V.D. en 1937, et Etchebehere trouva la mort au front.

Les groupes alliés au P.O.U.M. dans le bureau de Londres ont eu des destinées politiques diverses. Trotsky s’acharnait particulièrement contre le S.A.P. allemand - dont le représentant des Jeunesses fut en Espagne le futur Willi Brandt - dont le principal dirigeant, l’ex-dirigeant du K.P.D. Jakob Walcher - qui militait sous le pseudonyme de Schwab - s’orientait à cette époque vers l’adhésion au Front populaire. I1 voyait évidemment un lien entre cette alliance et la politique du P.O.U.M. lui-même dans son refus de rompre de façon décisive avec le Front populaire. La présence au sein du bureau de Londres d’organisations comme le S.A.P. ou le R.S.A.P. hollandais de Sneevliet, qui avaient été auparavant, en 1934, parmi les signataires du premier appel à la IVe e Internationale, renforçait sa méfiance, nourrissait la vigueur de ses démonstrations. Les articles du responsable du P.O.U.M. aux questions internationales, Julían Gorkin, ne pouvaient guère atténuer, sur ces problèmes, des divergences qui étaient en réalité réelles et profondes. Il reste à étudier cependant dans le détail cette politique internationale du P.O.U.M., ses objectifs et ses moyens - bulletins en langue étrangères, agence de presse -, le rôle qu’il a joué à la conférence de Bruxelles en 1936, et le projet - finalement avorté - de tenir à Barcelone une autre conférence internationale à laquelle les trotskistes avaient d’ailleurs décidé de participer. Les relations avec le courant divertisse, la Gauche révolutionnaire de la S.F.I.O. s’inscrivent dans ce cadre, entre deux pôles : la collaboration technique - sur le plan des informations et des fournitures d’armes - en 1936 entre le comité central des milices et Pivert, chargé de l’information au cabinet de Blum, et, d’autre part, la condamnation en termes extrêmement sévères de la « capitulation » de Marceau Pivert acceptant de s’incliner devant la dissolution de sa tendance au sein du Parti socialiste en avril 1937 [18].

Notes

[1] Particulièrement le tome III de l’édition actuellement en préparation sous la direction de Siegfried Bahne ; quelques lettres de cette période figurent dans le tome III de ses Mémoires, De Lénine à Staline.

[2] Voir des extraits de cette correspondance entre Nín et Trotsky dans « La Révolution espagnole (1936-1939) », Etudes marxistes n° 7-8, 1969, pp. 79-83

[3] Munis, op.cit. p. 179

[4] Préface à Nin, op. cit. p. 6-7

[5] Ibidem, p. 7

[6] Article de Javier Bueno dans Claridad du 6 avril 1937, reproduit dans La Batalla du 10 avril 1937

[7] Ibidem, 1er avril 1937

[8] En février 1946, Julian Gorkin écrivait dans un débat interne : « Malgré sa volonté et ses aspirations le P.O.U.M. n’est jamais arrivé à être véritablement un parti péninsulaire. Le fait de compter quelques douzaines de groupes à travers toute l’Espagne - et un ou deux au plus dans la majorité des régions et provinces - et que ces groupes aient toujours fait leur devoir jusqu’à l’héroïsme, n’a pas suffi pour faire du P.O.U.M. un parti effectivement péninsulaire. » Et il parle de « forces très réduites en dehors de la Catalogne, Castellon et Valence » (El P.O.U.M. ante el reagrupamiento socialiste, p. 16).

[9] Préface à Nín, op. cit. p. 28.

[10] Voir Document n° 26.

[11] « La Révolution espagnole », Etudes Marxistes, n° 7/8, 1969, p. 40.

[12] W. Solano, « Assaig biografico », p. 51, Andrés Nín, Els movimients d’emancipacio national.

[13] Préface à Nín, op. cit. p. 8.

[14] Texte français original dans Le Monde, 5 décembre 1970.

[15] Voir notamment J. Rous, « Notes d’un militant », Esprit, n° 5, mai 1956 pp. 797-798.

[16] Un témoignage, malheureusement incontrôlable, sur ce point d’E. Vigo (« Espagne mai 36-janvier 38 », La Vérité, n° 2, (Nouvelle série, juin 1938 pp. 43-44) affirme qu’Andrade qualifiait de « centriste » la position de Nín à cette époque, et cherchait pour sa part un accord avec les trotskistes.

[17] « La révolution espagnole », op. cit., p. 66.

[18] La Batalla, 16 avril 1937

Problèmes et querelles d'interprétation - IV. Les conquêtes révolutionnaires

Les réalisations des ouvriers et des paysans espagnols dans leur réplique révolutionnaire au pronunciamiento de la contre-révolution n’ont pas toutes également piqué la curiosités et intéressé les chercheurs. Le « deuxième pouvoir », celui des comités, n’a guère retenu l’attention, même dans ses aspects les plus inédits. En revanche, et, sans doute, depuis mai 1968, du fait de ce que l’on peut, sans crainte d’offenser qui que ce soit, appeler la « mode » de l’autogestion, les études se sont multipliées sur les entreprises « collectivisées », « saisies » et « autogérées » [1]. Nous avouons qu’il nous semble que ce type d’études marque actuellement le pas. On peut sans doute multiplier encore les études sur les mille et une manières dont les ouvriers ou les paysans espagnols ont cherché à se rendre maîtres de l’outil de production et de leur propre activité de producteurs : on n’avance pas d’un pas vers le règlement des problèmes fondamentaux posés par la plus partielle de ces études : celui de la centralisation économique essentielle à la plus élémentaire planification, elle-même condition de la maîtrise de l’homme sur la production qui était l’objectif recherché par les révolutionnaires. La suppression de l’argent dans les communautés agricoles d’Aragon n’a pas - il s’en faut - réglé le problème du crédit, et c’est au niveau de ce dernier que resurgissent les problèmes proprement politiques, pratiquement négligés ou méprisés dans l’étude des réalisations de la révolution, ce qui n’est sans doute pas le résultat du hasard.

Notes

Problèmes et querelles d'interprétation - V. Histoire événementielle

Restent les principaux problèmes de l’histoire de la révolution pendant la guerre civile, des étapes de la réaction démocratique et de la contre-révolution stalinienne. Les affirmations récentes de César Lorenzo sur la reconquête de Lérida en juillet 1936 par la colonne Durruti ont provoqué des protestations détaillées des responsables du P.O.U.M. qui avaient accueilli le dirigeant anarchiste dans une ville « libérée » par ses militants ouvriers [1]. Le même auteur a apporté sur les hésitations des anarchistes dans la question du pouvoir l’essentiel des documents accessibles, grâce notamment à Horacio Prieto, secrétaire de la C.N.T. Seule l’interprétation peut encore varier à ce propos et il n’est pas douteux que la discussion à ce sujet se poursuivra dans la presse anarchiste et anarcho-syndicaliste.

La question de l’aide russe en Espagne a été considérablement éclairée au moins en ce qui concerne les personnes par la publication d’un ouvrage à la gloire des volontaires soviétiques [2] et par les précisions données par Ilya Ehrenbourg. On sait désormais que le Miguel Martinez qui joue un rôle important dans nombre d’événements narrés par le journal de Koltsov n’est autre que Koltsov lui-même [3]. On connaît les identités véritables des principaux conseillers militaires russes ; on sait que le général Kléber était Manfred Stern, et Fritz Pablo le futur général Batov. On a confirmation officielle de la présence en Espagne des généraux Stern, Voronov, des futurs généraux Rodimtsev, Malinovski, du futur amiral Kouznetzov. On sait que « Goriev » n’était pas le pseudonyme de Jan Berzin, mais qu’il s’agissait de deux généraux différents, dont le sort sera d’ailleurs identique. On sait que, derrière le pseudonyme de Xanti, le conseiller russe de Durruti, se cachait un officier soviétique, le futur général Mamsurov. On continue cependant à n’avoir aucune information officielle d’U.R.S.S. sur les raisons précises et même les conditions du grand massacre des « Espagnols », les conseillers civils et militaires, les Rosenberg, Antonov-Ovseenko, Koltsov, les généraux Berzin, Goriev, Smoutchkiévitch et d’autres que mentionnent en passant les mémoires d’Ehrenbourg.

Les biographies de Togliatti continuent à être remarquablement discrètes sur les dates exactes de ses séjours en Espagne où il semble bien avoir remplacé Codovilla à la tête de la délégation de l’I.C. : la collaboration de l’apôtre du « polycentrisme » avec la N.K.V.D. ne correspond guère à l’image que veut donner de lui son parti aux lendemains de la « destalinisation ». L’histoire des Brigades internationales, maintes fois remaniée du côté des P.C. au fur et à mesure des épurations et des condamnations, commence cependant à être mieux connue : peut-être Charles Tillon, dans ses mémoires à venir, apportera-t-il sur ce point quelque lumière supplémentaire en indiquant en particulier quel dirigeant communiste joua à Albacete le rôle généralement attribué à André Marty qui n’était, selon toute apparence, qu’un porte-drapeau peut-être un peu voyant.

L’intervention de l’ambassadeur russe Marcel Rosenberg lors de la constitution du gouvernement Largo Caballero continue de faire l’objet de démentis et personne ni aucun document, n’est venu cautionner la version de 1’événement donnée par nous sur la base du récit fait par Clara Campoamor [4]. Le problème de l’origine exacte des Journées de Mai, du rôle éventuellement joué par des provocations d’origine franquiste, soulevé par les documents de la Wilhelmstrasse [5], n’a pas reçu le moindre éclairage nouveau, malgré la parution de plusieurs ouvrages étudiant l’événement. Fernando Claudin, qui vécut ces années à la direction de la J.S.U., n’a rien apporté qui ne fût déjà connu. En cela, il n’a pas innové, car il est remarquable que la crise sans précédent qui a secoué le P.C. espagnol et sa direction, depuis la fin de la guerre civile, les expulsions successives d’hommes comme Jesús Hernández, Castro Delgado, Juan Comorera. Félix Montiel, avant celle de Claudin, n’aient pas finalement touché aux secrets de l’appareil, et que les dissidents, à la façon de Khrouchtchev, n’aient jamais « révélé » sur le P.C. que ce qu’affirmaient depuis longtemps ses adversaires. Il est pourtant incontestable qu’en Espagne comme ailleurs, bien souvent la politique dictée par Staline a dû être imposée aux militants du P.C., parfois confusément conscients de sa signification réelle et de ses conséquences pour leurs aspirations de militants. Faut-il, à la suite de Guy Hermet, tenir pour avérée « la résistance opposée à plusieurs reprises par les dirigeants communistes espagnols aux directives de la « maison » » [6] ? L’affirmation est discutable. La guerre civile espagnole, en tout cas, se situe entre le VIIe congrès de l’Internationale communiste - au cours duquel, comme l’a fort bien souligné Fernando Claudin, fut nettement affirmée l’institution du « centre soviétique » comme direction unique des P.C. [7] - et la dissolution finale de l’I.C. en 1943. La lutte contre les « incontrôlables », la « chasse à la sorcière » trotskyste, la campagne de meurtre contre le P.O.U.M. coïncident dans le temps avec les deux premiers procès de Moscou et la grande purge stalinienne appelée la Iejovtchina. L’exécution, à la veille de la guerre, des plus éminents, sinon de la quasi-totalité des « Espagnols » semble bien n’être pas sans rapports avec la préparation du renversement des alliances qu’allait constituer le pacte germano-soviétique : elle aurait alors signifié la liquidation préventive d’« antifascistes » trop convaincus par leur expérience espagnole pour demeurer des hommes sûrs aux yeux du maître du Kremlin.

L’histoire de la Révolution espagnole constitue à bien des égards non seulement un chapitre « national » de l’histoire de la révolution et de la contre-révolution européennes, mais encore un épisode qui se situe au cœur même de l’histoire mondiale du stalinisme. Si, ainsi que nous le pensons, ce dernier est entré au cours des dernières années dans sa crise finale, il serait parfaitement possible que la lutte qui vient d’éclater au grand jour dans l’appareil international et qui revêt la forme espagnole de la bataille entre Santiago Carrillo et Enrique Lister marque le début d’un « déballage » sur l’histoire interne des rapports dans le P.C.E. et entre ce dernier et l’Internationale communiste que laissent prévoir les dernières livraisons de >Nuestra Bandera de l’un et l’autre groupe, ainsi que la publication par Lister de ¡Basta!. Dans ce cas, l’historien trouverait, pour l’histoire de la révolution et de la contre-révolution en Espagne, un matériel précieux qui lui a jusqu’à ce jour terriblement manqué.

Notes

[1] La Batalla, n° 174, juillet-août 1970.

[2] Bajo la Bandera de la España Republicana, Moscou, n.d.

[3] I. Ehrenbourg, La nuit tombe, p. 185.

[4] P. Broué et E. Témime, on. cit., p. 180 : Clara Campoamor, La révolution espagnole vue par une républicaine, pp. 143-145.

[5] Les archives secrètes de la Wilhelmstrasse, III. L’Allemagne et la guerre civile espagnole, note Faupel du 11 mai 1937, p. 227.

[6] G. Hermet, Les communistes en Espagne, p. 44.

[7] F. Claudin, op.cit. p.93

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