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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

ESPAGNE 1937 : BARCELONE - GUERNICA

3 mai 1937 à Barcelone : Les gardes d’assaut staliniens attaquent anarchistes, poumistes et ouvriers républicains. La guerre d’Espagne ne peut plus être gagnée.

Source : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article6128

Le film de Ken Loach, « Land and Freedom », a permis de briser un peu le mur du silence entourant un épisode occulté de la guerre d’Espagne : la liquidation violente, non par les fascistes mais par le camp républicain lui-même, d’une des expériences les plus avancées de pouvoir populaire.

En juillet 1936, la riposte au coup d’État de Franco, général fasciste allié à Hitler et Mussolini, ne fut pas tellement le fait du gouvernement républicain de Front populaire mais, pour l’essentiel, celui des masses ouvrières et paysannes influencées par l’organisation syndicale anarchiste, la Confédération nationale du travail (CNT). Elles se soulevèrent, notamment en Catalogne, et mirent en échec les putschistes sur une partie du territoire. Pour conduire la guerre antifranquiste, des représentants de la CNT entrèrent au gouvernement républicain. En Catalogne, la CNT, mais aussi le Parti ouvrier d’unification marxiste (Poum, communiste antistalinien) entrèrent au gouvernement régional, la Generalidad.

Pour autant, malgré les consignes d’ordre et de modération des pouvoirs publics républicains, les travailleurs mirent spontanément en œuvre de très importantes mesures de collectivisation des terres, des transports et de l’industrie. Ce mouvement fut particulièrement massif en Catalogne, la principale région industrielle, avec la création d’une pyramide de comités d’usine, comités locaux et régionaux, qui assuraient, de fait, la gestion de l’économie et de la société, ainsi que les tâches de défense grâce à l’organisation de milices ouvrières. Grâce à son implantation militante et à son influence, la CNT y détenait de fait le pouvoir.

Pourtant, les vieilles institutions légales continuaient d’exister et de se reconstruire, avec l’aide du Parti communiste espagnol, qui utilisait l’aide soviétique pour asseoir son emprise sur l’État. Son orientation était de « gagner la guerre d’abord, faire la révolution ensuite ». Mais, selon lui, pour « gagner la guerre », il fallait éviter d’effrayer, par des mesures révolutionnaires, les petits propriétaires et de perdre l’appui (très limité) de la France et de l’Angleterre. Il déploya donc tous ses efforts - y compris la répression contre les anarchistes et les poumistes - pour revenir en arrière sur la collectivisation, restaurer la discipline et dissoudre les milices au profit de l’armée et de la police « régulières ».

Défaite

Le 3 mai 1937, les gardes d’assaut - dirigées par les staliniens - tentèrent de s’emparer du central téléphonique de Barcelone, alors contrôlé par les travailleurs et la CNT, qui pouvaient ainsi écouter les conversations téléphoniques gouvernementales. Les forces gouvernementales furent repoussées ; les travailleurs alertés se rendirent alors dans les locaux de la CNT et du Poum pour s’armer, et ils dressèrent de nombreuses barricades. À partir de ce moment-là, alors que les travailleurs armés étaient maîtres de la ville, les dirigeants de la CNT (suivis par ceux du Poum) recherchèrent le compromis : retrait des barricades, libération des prisonniers, mise en place d’un nouveau gouvernement régional. Le gouvernement accepta le « compromis », sans évidemment la moindre intention de le respecter. Puis, il fit venir des renforts d’autres provinces, alors même que la CNT refusait les offres de service des milices anarchistes désireuses de se porter au secours des travailleurs de Barcelone. Résultat : ces derniers finirent par quitter les barricades, se démobilisèrent et devinrent rapidement victimes de la sévère répression gouvernementale.

De nombreux militants anarchistes et poumistes furent emprisonnés. Andrès Nin, principal dirigeant du Poum, fut séquestré, torturé, puis assassiné par les services secrets soviétiques. Le Poum fut mis hors la loi. Le gouvernement central espagnol abrogea les mesures de collectivisation et pris directement en main la police et la défense en Catalogne. De fait, les journées de mai, à Barcelone, scellèrent la défaite de la Révolution espagnole, mais aussi la déroute du camp républicain face à Franco. Contrairement à la stratégie revendiquée par le Parti communiste, le refus de la révolution signait aussi la défaite dans la guerre contre les fascistes.

Conciliation

La lutte contre le franquisme et pour la révolution sociale, menée par les masses espagnoles à partir de juillet 1936, constitue une expérience très riche, notamment parce que les différentes stratégies y ont été soumises à l’épreuve de la pratique. Parmi bien d’autres possibles, on en retiendra essentiellement deux leçons. La première concerne l’attitude des courants réformistes. En principe, ils prétendent parvenir aux mêmes objectifs que les révolutionnaires, mais sans rupture et par d’autres moyens : légaux, parlementaires, pacifiques. En fait, ils craignent par-dessus tout la mobilisation et l’activité autonome des couches populaires. En période de calme social, ils se gardent bien de construire la mobilisation.

Mais lorsque la mobilisation, malgré eux, s’est développée et pose des questions politiques de fond, ils font tout pour un « retour à l’ordre » aussi rapide que possible, gâchant ainsi même la possibilité de réformes ambitieuses. Ainsi, en France : Juin 36, la Libération, Mai 68. L’issue est parfois tragique, comme le coup d’État de Pinochet contre l’Unité populaire chilienne. Mais il arrive aussi que les réformistes eux-mêmes organisent la contre-révolution et écrasent dans le sang le mouvement révolutionnaire. Ainsi, les sociaux-démocrates allemands, au lendemain de la Première Guerre mondiale, réprimèrent les ouvriers et assassinèrent Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht. Ainsi, les staliniens à Barcelone, en 1937.

Deuxième leçon : l’importance de la capacité d’initiative des révolutionnaires et, à l’opposé, le coût extrêmement lourd auquel se paient toute hésitation et toute tergiversation lorsque la situation politique pose effectivement la question de la prise du pouvoir. L’immense majorité des militants du Poum et de la CNT étaient d’authentiques révolutionnaires. En première ligne contre les fascistes, organisant la mobilisation populaire contre les possédants dans les villes et les campagnes, ils se battaient consciemment pour la révolution et pour une autre société ; pour les uns, elle avait le visage du communisme démocratique débarrassé des monstruosités du stalinisme et, pour les autres, celle du communisme libertaire, de la libre association des travailleurs sans patrons et sans État. Il n’empêche : au moment décisif, tant la direction de la CNT que celle du Poum - qui s’étaient liées les mains en participant à des gouvernements de coalition avec des forces dont l’objectif principal était le rétablissement de l’ordre ancien - furent incapables de mener les travailleurs en armes à la victoire. Elles cherchèrent jusqu’au bout la conciliation, refusèrent d’organiser l’affrontement et contribuèrent même au désarmement des combattants. Avec le résultat tragique que l’on sait. Comme les autres révolutions défaites, la Catalogne rouge et noire de 1937 rappelle qu’une révolution qui s’arrête au milieu du gué creuse sa tombe.

DUVAL François

26 avril 1937 : Malgré les franquistes et l’Eglise espagnole, nous n’oublierons pas les crimes de Guernica

Source : http://www.monde-diplomatique.fr/2007/04/RICHARD/14600

Dans l’Espagne en pleine guerre civile, le lundi 26 avril 1937, entre 16 h 15 et 19 h 30, Guernica, ville symbole de l’identité basque, est écrasée sous un orage de bombes. Cette tentative de destruction de toute une agglomération avec ses occupants civils est une première dans l’histoire. Quatre cents bâtiments incendiés sur cinq cents, un millier de morts... Durant des décennies, l’historiographie franquiste a falsifié le récit de ce crime. Aujourd’hui, à Guernica, on se bat contre l’oubli.

Si elle n’avait inspiré au peintre espagnol Pablo Picasso, pour l’Exposition universelle de 1937 à Paris, un chef-d’œuvre en hommage aux victimes, la destruction de Guernica serait-elle restée dans la « mémoire de l’humanité » ? Limité à des livres, fussent-ils d’éminents historiens, son souvenir aurait sans doute été conduit à s’estomper.

Mais pourquoi les franquistes ont-ils voulu détruire Guernica, bourgade située à trente-cinq kilomètres de Bilbao ? En cause, le Pays basque. Celui-ci avait enfin obtenu, à la suite des élections législatives de février 1936 qui donnèrent en Espagne la victoire au Front populaire, un statut d’autonomie politique. Malheureusement, le nouveau gouvernement était à peine formé que, les 17 et 18 juillet, un coup d’Etat militaire conduit par le général Francisco Franco éclatait. Par conséquent, optant pour le respect de la légalité, les Basques ne devaient pas s’attendre, en cas de progression de l’armée franquiste, à échapper à son feu.

En avril 1937, à l’exception de la Catalogne et d’une partie de l’Aragon, seules les autorités basques, sur le territoire de l’Espagne du Nord, maintiennent encore leur fidélité à la République. Elles administrent une région riche en minerai de fer, en usines sidérurgiques et en chantiers navals. Les insurgés en ont besoin. Le général Emilio Mola, un des chefs de la rébellion qui commande l’armée nationaliste du Nord, informe Franco qu’il liquidera l’affaire en trois semaines. A sa disposition, cinquante mille fantassins, une centaine d’avions. Il peut compter de surcroît sur les soldats italiens envoyés par Benito Mussolini. Egalement, sur les Allemands de la légion Condor : six mille cinq cents volontaires, répartis en unités blindées et en escadrilles de chasseurs et bombardiers.

« Calomnie bolchevique »

Un ultimatum est alors envoyé au gouvernement basque par le général Mola. Il a décidé, prévient-il, de « terminer rapidement la guerre dans le Nord », et il ajoute : « Si la soumission n’est pas immédiate, je raserai toute la Biscaye en commençant par les industries de guerre. » Ne recevant pas de réponse, il met sa menace à exécution le 31 mars. Sur les ordres du lieutenant-colonel Wolfram von Richthofen, chef d’état-major, les avions de la légion Condor, des bombardiers lourds Junker et Heinkel, entreprennent de pilonner systématiquement les villages autour de Bilbao. Le lundi 26 avril au matin, mission est confiée aux pilotes d’écraser Guernica et Durango sous des bombes incendiaires. Deux jours plus tard, les deux agglomérations sont investies sans résistance. Durant tout le mois de mai, la même stratégie est poursuivie. Le 19 juin 1937, Bilbao tombe. Les édiles basques n’ont plus qu’à plier bagage vers le nord des Pyrénées et l’exil.

Retour sur Guernica. Le mardi 27 avril, à Salamanque, capitale provisoire des franquistes, le commandement des troupes putschistes publie un communiqué. Aussitôt reproduit dans tous les journaux étrangers qui soutiennent les antirépublicains, ce communiqué rejette comme une « calomnie » la culpabilité imputée aux avions des nationalistes. Les auteurs du massacre, déclarent les franquistes, sont les « rouges ». Contraints à se replier, les républicains auraient incendié la ville.

Dès qu’il a connaissance de ces allégations, le président du gouvernement basque, José Antonio Aguirre, prend le mors aux dents. Les bombardements ont été effectués, assure-t-il, par « des avions allemands au service des rebelles espagnols ». Propos qui déclenchent contre lui l’assaut de Radio Nacional, qui le traite de menteur. Cependant, son incrimination des soldats de Hitler est gommée par les présentateurs. Les auditeurs n’ont droit qu’à des protestations contre l’atteinte à l’honneur des troupes insurgées : « L’armée de Franco n’incendie pas, elle conquiert loyalement par les armes. Ce sont les hordes rouges qui détruisent, sachant que l’Espagne ne leur appartiendra jamais. »

Dans la presse française communiste et, plus généralement, de gauche, la responsabilité des nationalistes dans ce « bombardement ignoble des populations civiles », effectué par les avions de la légion Condor, est donnée aussitôt pour un fait incontestable. Ensuite, les preuves que l’opération a été menée par la légion Condor s’accumulent. Néanmoins, elles sont loin de couper la parole aux mystificateurs. Typique, l’obstination de Charles Maurras, chef de l’extrême droite française. Le 11 mai 1937, dans L’Action française, « la fable des avions allemands » qui « auraient déversé des tonnes de bombes » est toujours dénoncée comme une manipulation « bolchevique » servant à masquer le « crime des “rouges” ».

Ce genre de falsification a persisté plus ou moins en Espagne jusqu’à la mort de Franco, en 1975. Mais les tenants de l’historiographie officielle, à la fin des années 1960, pour disculper les nationalistes et restaurer en Europe une image convenable de leur pays, s’orientèrent sur une autre voie : ils attribuèrent toutes les fautes à Hitler, à Hermann Göring et aux chefs de la légion Condor.

L’échappatoire était facile, vingt ans après le tribunal international de Nuremberg. Et les thuriféraires de la droite espagnole antidémocratique ne se risquèrent pas, tout de même, à désapprouver le soulèvement contre la République, ainsi que l’alliance des Etats fascistes avec les franquistes. Au contraire. Ils ont poursuivi leurs affabulations sous une forme différente. Ils se sont appliqués à minimiser l’ampleur du bombardement de Guernica, réduisant le nombre des victimes à une centaine.

D’après eux, le commandement franquiste n’aurait pas été au courant de l’attaque prévue par les escadrilles de la légion Condor. De plus, les aviateurs allemands n’auraient obéi à aucune préméditation de « terreur ». Ils visaient une manufacture d’armes dans les faubourgs, un pont sur le fleuve, et ils auraient raté leurs cibles. L’incendie et la masse de cadavres seraient consécutifs aux « erreurs de tir ». Tous les commentaires sur la « cité martyre » ne serviraient que d’oripeaux à un « mythe ».

Du côté de l’Allemagne, qu’en a-t-il été ? La population n’apprit qu’après la victoire du général Franco, en avril 1939, les « prouesses » de la légion Condor. Beaucoup de publications se mirent à exalter ses performances. L’un des ouvrages à succès fut celui d’un auteur qui avait auparavant glorifié les soldats de 1914-1918 : Werner Beumelburg. En 1940, son Combat pour l’Espagne décrit en dix chapitres toutes les péripéties de la guerre civile espagnole, en évaluant avec précision l’aide hitlérienne aux forces franquistes.

Toutefois, dans tous ces livres, rien sur l’« exploit » qui fonda mondialement la sinistre renommée de la légion Condor. Même Beumelburg s’en tient à la thèse popularisée par le Völkischer Beobachter, porte-voix officiel de l’Allemagne nazie. Guernica, insiste-t-il, a été « entièrement détruite par les “rouges” ».

Contrairement à ce qui est colporté depuis quelques années, le maréchal Göring, commandant en chef de la Luftwaffe, n’a pas avoué, devant les juges de Nuremberg, la culpabilité des hitlériens dans cette tragédie. Il a simplement reconnu qu’il avait donné son feu vert pour que l’Espagne serve de terrain d’expérience à l’aviation allemande. Quant au Journal de Joseph Goebbels, il est plutôt laconique. Abusé, semble-t-il, par les protestations d’innocence des nationalistes, le ministre de la propagande croit à la non-implication de la légion Condor et se montre embarrassé d’avoir à multiplier les démentis sur sa participation.

Le mystère n’a été brisé que bien après 1945. Avec par exemple les justifications d’anciens combattants, comme, en 1978, le pilote Wilfred von Oven, réfugié en Argentine, voyant dans ses actes, après coup, le « chapitre d’histoire le plus passionnant » qu’il ait vécu. Depuis l’ouverture des archives allemandes, on a trouvé trop de preuves de la coopération entre les autorités nazies et les nationalistes pour apporter crédit à l’hypothèse que l’état-major franquiste aurait ignoré le dispositif d’attaque de la légion Condor. Le 20 juin 1937, au lendemain de la chute de Bilbao, le général Franco a télégraphié à Hitler pour le remercier de lui avoir accordé sa « confiance » et, avec elle, « celle du grand peuple allemand ».

Il arrive souvent que le bombardement de Guernica soit condamné sous prétexte qu’aucun but militaire ne le légitimait. L’argument est contredit par les intentions affichées du général Mola. Ce bombardement révèle la nature de la barbarie qui, à l’époque, menaçait toute l’Europe. Violence extrême, volonté d’anéantissement physique de l’adversaire à tout prix, falsification des faits.

A Guernica, certes, beaucoup s’activent aujourd’hui afin d’empêcher l’oubli. Un Musée de la paix a ouvert ses portes en 2003. Mais il convient surtout de remercier Picasso, encore une fois : grâce à lui, une visibilité fut donnée à ce qu’il faut entendre par le mot « fascisme ».

Lionel Richard

ESPAGNE 1937  : BARCELONE -  GUERNICA
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