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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Les Nouveaux Mouvements Contestataires

Les Nouveaux Mouvements   Contestataires

Un renouveau de la contestation sociale s’observe dans ce début du 21e siècle. Des pratiques de lutte et des expérimentations sociales se diffusent. Un livre récent en propose la cartographie. « Ce sont des histoires d’expérience et de transmission contre la dépossession, d’enracinement et de voyage contre l’anéantissement des territoires, d’intelligence collective contre l’isolement et l’exploitation », présente le Collectif Mauvaise Troupe. Dans ce monde invivable la question révolutionnaire se réinvente, et ne se réduit plus à la sinistre prise du pouvoir d’État. La lutte n’est plus séparée de la vie.

La période de l’altermondialisme, entre 1999 et 2003, ouvre la contestation de ce nouveau siècle. Mais ce mouvement semble marqué par la confusion et le spectacle médiatique. Le démontage du Mc Do à Millau, qui semble pourtant inoffensif, devient un symbole médiatique. Les actions au cours des contre sommets internationaux semblent également superficielles, avec quelques vitrines brisées par les black blocks.

La lutte contre les OGM semble plus concrète et immédiate. Les « faucheurs volontaires » valorisent l’action directe non violente. Même si les fauchages sont plutôt symboliques et médiatiques, plus qu’ils n’attaquent le profit de l’agro-industrie. Surtout, ce mouvement renouvelle la critique de la société industrielle incarnée par L’Encyclopédie des Nuisances. René Riesel assume la destruction de riz expérimentaux au Cirad. Il s’oppose à la recherche et à la logique productiviste.

De nouvelles luttes se développent. La solidarité avec des migrants est évoquée. Le mouvement No-TAV contre la ligne TGV dans le Val de Suze semble emblématique de luttes qui tentent de se réapproprier un espace contre les projets de l’État. L’occupation de la ZAD contre la construction de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes s’inscrit dans cette même démarche. Un article évoque cette belle fugue de deux adolescentes qui rejoignent la ZAD de Notre-Dame des Landes. Elles rejettent l’étouffoir de la famille et rallient une lutte pour leur épanouissement personnel.

Les mouvements de lutte permettent la diffusion large d’une conscience critique. En 2006, la révolte contre le CPE secoue les universités. David, étudiant à Bordeaux, participe alors à un petit groupe de militants anarchistes enfermés dans leur routine militante. Mais le mouvement contre le CPE permet de briser cette monotonie du quotidien pour intensifier l’existence. Des facs sont bloquées et la révolte s’amplifie. « C’était une espèce d’état mental où tu dors très peu, tu parles à tout le monde, même dans le tram. Une espèce de folie… », se souvient David.

Ce n’est pas uniquement la réforme qui est remise en cause mais aussi le salariat et le travail, comme le révèle l’appel de Raspail. Le mouvement devient une réelle menace pour l’ordre existant. « Les grandes manifs avec trois millions de personnes mobilisées sur toute la France, ça c’est vraiment le moment où on s’est dit que ça allait déborder, qu’on allait vers l’inconnu, vers un inconnu de rupture géniale », s’enthousiasme David. Mais le mouvement s’essouffle progressivement et aucune perspective de rupture ne semble se dessiner.

David se rapproche alors des espaces alternatifs, avec les squats dans les Cévennes. Il se rend aux Tanneries à Dijon, mais observe un repli sur soi sectaire du groupe affinitaire qui dirige le lieu. Il tente de s’installer à la campagne mais semble alors déserter toute forme de lutte. Les espaces alternatifs n’expriment aucune révolte pour mieux s’intégrer dans un petit nid douillet au milieu de l’horreur marchande. « Mais au niveau de la lutte, on est plus du tout… voilà. J’ai l’impression qu’on est passé par quelque chose sans le dépasser : on rejette ça, ça et ça dans les luttes conventionnelles, mais aujourd’hui quelles perspectives ? », s’interroge pertinemment David.

Mais des autonomes préfèrent s’adapter à la logique du capital plutôt que de tenter de la détruire. Paul Klee décrit son expérience très peu convaincante d’un groupe qui met en commun l’argent. La description de cette démarche révèle une logique de débrouille, de survie et surtout de soumission au salariat et au patron. Les alternatifs semblent même contents de se faire exploiter sans droits sociaux et de baisser la tête devant un patron supposé gentil. Quelques bureaucrates gèrent les finances collectives et planifient le travail.

Surtout, la question des relations humaines et des rapports de dominations entre individus ne sont pas évoqués. Les rivalités individuelles et amoureuses ne sont pas résolues et la propriété sexuelle semble même perdurer. Cette expérience semble donc encore beaucoup plus faible que celle des communautés hippies qui ont pourtant révélé leurs limites.

Les expériences de potagers alternatifs sont évoquées. La nourriture est alors à prix libre ou gratuite, ce qui permet de sortir des circuits commerciaux des supermarchés. Ses potagers alimentent un plaisir de cultiver, de cuisiner et de savourer de bons repas. Ils peuvent également devenir des espaces de rencontre. En revanche, les potagers autogérés ne sont pas une alternative au capitalisme et ne menacent pas la logique marchande.

D’ailleurs, il existe toujours des séparations entre producteurs et consommateurs et ses expériences s’apparentent à une autogestion du capital dans le cadre d’une société marchande. Pire, les initiateurs des potagers autogérés développent un discours ultra libéral qui valorise le travail gratuit et l’auto-exploitation. L’apologie du savoir faire artisanal n’a vraiment rien de nouveau puisque les anarchistes proudhoniens faisaient déjà l’apologie de l’entreprise autogérée au XIXe siècle.

Le squat des 400 couverts à Grenoble réunit des artistes et des militants qui refusent la séparation entre esthétique et politique. Cet espace permet aussi de lutter contre lespolitiques urbaines. Les 400 couverts révèlent les contradictions des squats. Des habitants prétendent incarner un mode de vie alternatif et valorisent la routine autogérée. D’autres considèrent le squat contre un point d’appui pour développer des luttes contre l’urbanisme et la politique municipale.

Les lieux qui valorisent le mode de vie, comme le plateau des Millevaches, reproduisent le conformisme bourgeois. Si des réunions sont formalisées, c’est pour généraliser l’ennui militant. En revanche, la vie quotidienne, les relations humaines, affectives et sexuelles restent peu évoquées. « Le couple peut créer une hiérarchie, des interactions différentes au sein du collectif et ça, j’ai pas envie de la vivre », reconnaît d’ailleurs un habitant.

L’apologie des petites alternatives rejoint la mode du postanarchisme et de la contestation qui n’est plus une démarche politique mais un simple loisir. La fête peut permettre une rupture avec le quotidien, ses codes et ses normes. Le Carnaval ou les free parties peuvent ouvrir des espaces de joies. La fête peut également permettre une réappropriation de l’espace public.

Pourtant, si la révolution est une fête, les fêtes présentées par le Collectif Mauvaise Troupe sont très loin d’être révolutionnaires. Les apéros facebook ne permettent pas de prendre la rue, contrairement aux fantasmes de l’Institut de démobilisation. Ses fêtes relèvent au contraire du simple divertissement standardisé et stéréotypé. Ses apéros en plein air reposent autant sur la séparation, et même la routine, que le sinistre loisir de boîte de nuit. Ses évènements permettent surtout aux gauchistes branchés de devenir des organisateurs de soirées, mais semblent très éloignés de la fête insurrectionnelle proposée par les situationnistes et les provos. Ses fêtes ne favorisent pas les rencontres, la libération des corps et des désirs.

La société numérique apparaît comme un outil de contrôle et de destruction des relations humaines. Mais des hackers tentent de se réapproprier cette source d’information. Les ateliers pRINT permettent de comprendre et de diffuser de nouvelles utilisations d’internet. Les logiciels libres, la culture du partage et de la gratuité sont valorisés. La contre-information, avec les sites alternatifs, peut se diffuser largement. Chacun doit pouvoir créer son site et se réapproprier l’outil numérique. Des espaces collectifs permettent de briser la séparation alors que la société numérique incite chacun à rester isolé devant son écran.

Pourtant, avoir une adresse riseup ou utiliser un logiciel libre ne permet pas pour autant de sortir du capitalisme.

Nouvel imaginaire radical

Dans une société standardisée et uniformisée l’imaginaire permet d’ouvrir de nouvelles possibilités d’existence. Alain Damasio, écrivain de science fiction, insiste sur l’importance de l’imaginaire dans un entretien. La zone du dehors évoque un monde dominé par la social-démocratie et la transparence, mais dans lequel la révolte perdure. « Bien sûr, imaginer d’autres mondes est en soit contraire à l’ordre "naturel" des choses, à la dictature du déjà-là, qui sature nos réflexions et nos choix et empêche ce léger décalage, ce pas de côté qui rend toute révolte possible », souligne Alain Damasio. Même si la logique marchande colonise également l’imaginaire, noyé dans le divertissement et l’industrie culturelle. La culture underground et alternative subit également une récupération par le capitalisme pour devenir marginale ou inoffensive. La science fiction imagine le futur pour mieux décrire la présent.

L’imaginaire puise également dans l’histoire des luttes. L’Intervento fait revivrel’Autonomie italienne avec des textes, des chants et des images. Ce mouvement des années 1968 semble particulièrement intense, avec des pratiques et des réflexions originales. Un mouvement de masse émerge en dehors des partis et des syndicats, dans les usines et les quartiers.

Le communisme ne se réduit pas à une marchandise idéologique, mais se vit au quotidien. Le refus du travail, mot d’ordre des autonomes italiens, résonne dans le contexte de la lutte contre le CPE. « L’usine était vu comme un camp de concentration inhumain, et commença à devenir un lieu d’étude, de discussion, de liberté et d’amour. C’était ça le refus du travail », écrit Nanni Balestrini.

Des journaux alternatifs comme Article 11, Rebellyon, Z et CQFD permettent de diffuser une pensée critique au-delà du petit milieu militant. Des articles proposent des enquêtes, des entretiens et de véritables réflexions. Même si ces journaux semblent encore peu diffusés. Surtout, la ligne éditoriale semble un peu floue et navigue entre critique radicale et citoyennisme.

Le petit milieu autonome semble également pétri de conformisme gauchiste. Le texte intitulé « La France d’après… on la brûle » se contente de dénoncer Sarkozy, présenté comme la pire des horreurs. La rhétorique grotesque de l’antifascisme est reprise lorsque le choix proposé se situe entre la résistance et la collaboration face au nouveau pouvoir. Depuis il est possible de constater que, contrairement aux délires du Front de gauche et des anarchistes autonomes, la droite s’est révélée moins brutale que la gauche qui mène les politiques d’austérité actuelles.

En plus, les autonomes s’adressent essentiellement à leur petit milieu lorsqu’ils évoquent les manifs sauvages et leurs insurrections artificielles. Les destructions matérielles semblent certes bien sympathiques, mais trop déconnectées d’un éventuel mouvement de lutte pour avoir un réel impact sur la réalité sociale. Cet activisme permet surtout à une poignée de gauchistes de se vivre en rebelles pour devenir la tendance la plus agitée de la société spectaculaire marchande. Mais il ne s’agit pas de construire un mouvement de masse qui regroupe la majorité des exploités.

Le journal Rebetiko incarne bien l’entre soi autonome, avec ses références pour initiés et sa rhétorique gauchistissime. Ce journal gratuit et anonyme est lancé en janvier 2009. Il reflète la confusion politique du milieu autonome. Le prolétariat et la lutte des classes ont disparu. Il ne reste que la « plèbe » et « l’insurrection », agrémentées de rébellions alternatives aussi improbables que les hooligans ou la galette niçoise.

Toute la vulgate anarcho-gauchiste est reproduite. La surveillance et la police sont pertinemment dénoncées. En revanche, les problèmes sociaux, la précarité, l’exploitation capitaliste et l’esclavage salarié ne sont pas vraiment des sujets récurrents. « On voulait s’adresser à ceux qui se révoltent, mais sans que ce soit forcément accolé à une condition sociale », confirme Béba. La révolte est alors incarnée par les marginaux, mais pas par la majorité des prolétaires et des exploités. Les anecdotes, les faits divers, les « brèves du désordre » et les petits gestes contestataires semblent davantage valorisés que les mouvements de lutte d’ampleur.

En revanche, ce journal gratuit est réalisé par des non spécialistes attachés autant à la pratique qu’à la théorie. Le journal papier permet d’engager des discussions et de faire des rencontres. La manière de créer ce journal semble donc plus positive que son contenu.

De nouvelles pratiques de lutte émergent. Mais l’action directe devient groupusculaire. Les « casseurs de pub » ou les blacks blocs se contentent d’égratigner des symboles mais leurs actions se révèlent trop inoffensives.

La révolte de la jeunesse caractérise ce cycle de lutte. La contestation semble particulièrement forte dans les universités. A Rennes, une tendance « Ni CPE, CDI » se développe pendant le mouvement de 2006. Les années précédentes des étudiants tentent de s’organiser en « comité de lutte », en dehors de l’appareil syndical majoritaire. Le texte « De la grève étudiante à la grève humaine » est diffusé. De nouvelles rencontres se tissent. En hiver 2005, des émeutes éclatent dans les quartiers populaires après un nouveau crime policier.

Le mouvement semble verrouillé par le syndicat Unef et les dispositifs traditionnels comme les assemblées et les commissions, chargés d’organiser l’impuissance. Pourtant, des actions spontanées s’organisent pendant les manifestations. Surtout, face au discours syndical de la « crédibilité », la nécessité de l’action directe collective apparaît comme une évidence. La lutte s’organise avec les travailleurs, comme les postiers, avec une action d’occupation du centre de tri. Le blocage d’une rocade et d’axes du centre ville permettent d’attaquer les profits économiques.

Le monde ouvrier est également évoqué. Mais les ouvriers ne sont plus considérés comme le sujet révolutionnaire. A juste titre, puisque le prolétariat ne se limite pas aux travailleurs des usines. Mais les luttes ouvrières attaquent directement le rapport de production capitaliste. Le combat s’organise contre un patron, une direction, et renvoie à la dimension plus globale de la lutte contre le capitalisme. Pourtant, le Collectif Mauvaise Troupe semble négliger cet enjeux pour réduire les luttes ouvrières à des mouvements défensifs. Mais défendre un squat peut être aussi considéré comme particulièrement défensif et limité. Surtout, dans un contexte d’austérité, les luttes ouvrières permettent de s’attaquer directement à l’offensive du patronat.

La rencontre entre jeunes précaires et ouvriers semble plus difficile en dehors d’un mouvement global. L’intervention de l’extérieur dans une usine en grève peut être mal perçue, ou tout simplement pas comprise.

Le journal Rebetiko évoque le mouvement de 2010 contre la réforme des retraites. Le mot d’ordre de blocage de l’économie permet de fédérer l’ensemble du prolétariat, y compris les chômeurs et les précaires. Mais les actions de blocages semblent beaucoup trop symboliques pour menacer l’ordre marchand. Seul un mouvement d’ampleur qui repose sur l’action directe collective peut ouvrir de nouvelles perspectives.

Le journal Rebetiko propose au passage une vision de l’économie qui, derrière un langage moderniste, renvoie aux vieilleries anarchisantes. L’économie est considérée comme un mode de gouvernement dont il faut sortir, et non pas comme un mode de production et un rapport d’exploitation qu’il faut détruire. Le capitalisme n’existe pas uniquement dans nos têtes.

Les mouvements sociaux peuvent se limiter à des objectifs réduits et immédiats, comme le retrait du CPE ou de la réforme des retraites. Mais ses mouvements permettent aussi de bouleverser, temporairement mais massivement, des existences. Les mouvements sociaux ne sont pas déclenchés par les directions syndicales, mais par un effet d’entraînement. Chacun entre dans la lutte en étant assuré qu’il ne partira pas tout seul. Au-delà des revendications qui s’illusionnent sur le maintien de l’État social, les luttes interprofessionnelles posent la question centrale des conditions de vie.

En Espagne, le mouvement du 15-M éclate en 2011. Des occupations avec des assemblées organisent la lutte à la base. Mais les militants semblent hostiles à ce discours peu précis qui insiste sur la démocratie sans la moindre critique de cette expression. Pourtant, ce discours est davantage compris et diffusé que les savantes analyses militantes. Ce mouvement rejette les idéologies et les programmes politiques. La petite identité des milieux militants est alors bousculée par un mouvement de masse qui ne respecte pas les codes et les normes de l’anarcho-gauchisme.

Malgré un discours confus, ce mouvement diffusent de nouvelles pratiques de luttes. Des espaces de rencontres et de discussions politiques peuvent s’ouvrir. Ce mouvement permet de casser la médiocrité du quotidien. Mais cette révolte demeure surtout portée par la déception des classes moyennes dont la société marchande n’a pas satisfait les aspirations de réussite sociale.

Ses différents mouvements s’appuient sur de nouvelles formes de lutte. Les organisations centralisées, comme les partis et les syndicats, sont rejetées. L‘organisation léniniste qui vise la prise du pouvoir d’État devient un repoussoir. « Des tentatives divergentes sur de nombreux points et dont la transmission est souvent chaotique, mais qui se font écho et peuvent être prises ensemble pour raconter une histoire commune, celle d’un communisme conseilliste ou d’un anarchisme plus pratique que doctrinaire », inspirent le Collectif Mauvaise Troupe.

Des groupes et des collectifs se forment afin de lutter pour des besoins indispensables de la vie quotidienne. La pratique de l’action directe collective prime sur les références idéologiques et les grandes rhétoriques révolutionnaires un peu creuses. A Grenoble,un collectif de femmes s’organise pour obtenir des logements, des papiers, des aides sociales. La nécessité de trouver des solutions immédiates s’articulent avec une réflexion d’ensemble sur la société. La lutte pour les droits sociaux se confronte à l’État, à la loi, à la défense du Service Public.

Le réseau, inspiré par la démarche moléculaire de Félix Guattari, semple plus souple que les vieilles organisations. Le Collectif Sans Titre se penche sur les relations humaines et tente d’abolir toute forme de séparation et de hiérarchie. Mais, comme toute les vieilles organisations bureaucratiques, le réseau se replie sur lui-même. Il devient déconnecté des mouvements populaires pour se recroqueviller sur son petit milieu. L’intervention dans les luttes sociales semble alors limitée. « Attachés à notre force propre et méfiant.e.s vis-à-vis de l’idée de masse, nous n’avons pas toujours sû penser les contagions et les surgissements populaires », reconnaissent des membres du Collectif Sans Titre.

Les assemblées ouvertes apparaissent comme une véritable organisation nouvelle. Ses structures organisées à la base s’apparentent aux conseils ouvriers, inventés par les révoltes prolétariennes. « Pendant longtemps, les "conseils" furent le paradigme d’organisations permettant depuis les usines l’exercice d’un pouvoir à la base, sans délégation à des spécialistes, avec pour vocation de s’étendre dans le reste du champ social », rappelle pertinemment le Collectif Mauvaise Troupe. Mais les assemblées peuvent reprendre les tares de la démocratie parlementaire avec son formalisme bourgeois et son débat d’opinion. Les assemblées, comme les AG étudiantes, expriment alors moins une force politique qu’un théâtre politicien avec une simple agrégation d’opinions atomisées.

En Espagne, les assemblées locales tentent de s’organiser face à l’austérité en dehors du calendrier et des mots d’ordre des grandes centrales syndicales. Des actions d’occupation de banques et de bâtiments publics sont préparées. Les piquets de grève mobiles sont également organisés par les assemblées de quartiers. « Le matin tu bloques ton quartier, ses commerces et usines, les grands accès à la ville et puis le midi les différents piquets de grève convergent vers le centre-ville. Ces grèves sont des héritages du mouvement ouvrier, alors il s’agit historiquement de bloquer les points névralgiques du capitalisme productif », décrit Marco. Mais les chômeurs, les précaires et les intérimaires peuvent difficilement faire grève. En revanche, ils peuvent contacter un comité de quartier pour bloquer leur entreprise. Les voies de circulation sont également immobilisées.

Les assemblées apparaissent comme des espaces de rencontres, de discussion, de réflexion collective, mais surtout d’organisation de la lutte et de coordination des mouvements.

Malgré les critiques qu’il est possible de souligner, il faut se réjouir de ce bouillonnement contestataire. De nouvelles formes de luttes émergent, en dehors des organisations bureaucratiques comme les partis et les syndicats. Le livre du Collectif Mauvaise Troupe permet de dresser un panorama de mouvements libertaires et autonomes peu connus.

Mais les expériences présentées semblent diverses et entretiennent la confusion.L’autogestion et l’alternativisme semblent même valorisées. Il semble important de critiquer cette idéologie autogestionnaire qui propose un communisme frelaté dans le cadre d’une civilisation capitaliste. Ses expériences, parfois sympathiques, relèvent de la débrouille ou du loisir mais s’éloignent d’une démarche politique.

Il faut ensuite souligner que la nouveautés de ces mouvements peut paraître relative. Comme le souligne Charles Reeve, l’histoire du mouvement ouvrier comporte une tradition anti-bureaucratique avec une véritable réflexion. Le Collectif Mauvaise Troupe évoque brièvement le communisme de conseils et présente l’autonomie ouvrière en Italie. Mais les divers collectifs semblent valoriser une pratique immédiate qui occulte les réflexions issues du mouvement ouvrier.

Surtout, les différents collectifs s’éloignent de la lutte de classe. Dans leurs discours le prolétariat semble avoir disparu. Le constat de base semble lucide. Le monde ouvrier n’exprime plus une force politique. Le salarié garanti en CDI n’est pas forcément majoritaire dans une société caractérisée par le chômage et la précarité. Les libertaires présentés dans ce livre apparaissent comme des jeunes chômeurs peu intéressés par le monde du travail. Il semble alors difficile de faire grève et de s’opposer à un patron. Pourtant, la lutte de classe doit demeurer particulièrement présente. Le chômage et la précarité c’est surtout la misère et la nécessité de lutter contre le capitalisme et l’État qui attribue les aides sociales. C’est la nécessité de tisser une solidarité de classe avec tous les exploités et les prolétaires quel que soit leur statut administratif. C’est la nécessité de construire un mouvement d’ampleur pour en finir avec cette horreur marchande.

Les collectifs, quelle que soit leur nouveauté apparente, présentent les mêmes impasses que le syndicalisme de lutte. Lutter pour satisfaire ses besoins immédiats reste évidemment indispensable. Mais les collectifs s’enferment dans l’urgence permanente et la routine militante. Ils deviennent peu ouverts aux mouvements d’ampleurs spontanés. Leur capacité à intervenir dans les mouvements sociaux semble limitée. Même si l’expérience du mouvement du 15-M en Espagne semble positive. Un mouvement révolutionnaire ne viendra pas des collectifs autonomes mais d’une révolte spontanée qui invente ses propres formes d’organisations. C’est dans le contexte d’un mouvement de lutte que peuvent se développer de nouvelles relations humaines et s’inventer d’autres possibilités d’existence.

Source : Collectif Mauvaise Troupe, Constellations. Trajectoires révolutionnaires du jeune 21e siècle, L’éclat, 2014

Pour aller plus loin :

Vidéo : No es una crisis, webdocumentaire sur l'austérité en Espagne

Vidéo : "BOuH !", un film sur le squat des 400 couverts à Grenoble

Vidéo : Un Carnaval des gueux - Montpellier 2012, réalisée par le collectif Art.35

Radio : Vacarme en Réunion, émission du 20 avril 2014

Pascal Nicolas-Le Strat, Fauteurs d’histoire(s). À propos de « Constellations (Trajectoires révolutionnaires du jeune 21e siècle) » du collectif Mauvaise Troupe, publié sur le site Le commun le 14 mai 2014

Frédérique Roussel, « Il n’est pas encore illégal de rêver à la révolution, que je sache », entretien avec Francis Dupuis-Déri publié sur le site du journal Libération le 3 mai 2014

Lecture NO-TAV, extraits du livre CONSTELLATIONS. Trajectoires révolutionnaires du jeunes 21e siècle, mai 2014, Maison de la Gréve

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