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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

Gerard Bad:L' endettement international et l'échappatoire de la planche à billet

Gerard Bad:L' endettement international et l'échappatoire de la planche à billet

La presse économique et journalistique ne cesse de se gargariser d’un langage civilisateur au travers de considérations visant à regrouper des pays selon l’importance de leur développement industriel, en réalité de leur dépendance financière et industrielle. Tout un panel d’appellations les plus diverses sera utilisé afin de laisser entendre que la misère prolétarienne correspond à un manque de développement... Si nous reprenons certaines de ces appellations, comme « tiers monde » « quart monde » « pays en développement », « pays les moins avancés », « nouveaux pays industrialisés » etc., ce n’est que pour montrer toutes les variantes développementistes visant à masquer l’exploitation tant humaine que de la nature d’un si généreux humanisme. En Europe nous avons eu les PIGS (1) (Portugal, Irlande,Grèce, Espagne) pour se moquer des pays en cessation de paiement.

Quand par exemple on parle des pays en développement (PED), il faudrait plutôt dire pays en voie de dépendance financière (PVDF) – de même pour les nouveaux pays industrialisés (NPI) ou les économies émergentes.

Retour sur l’endettement international

La dette du tiers monde (2) ou des pays en voie de développement (PVD) est récurrente. Dès 1820, le système capitaliste pénètre dans les pays fraîchement indépendants d’Amérique latine. Les guerres d’indépendances politiques ouvriront la voie à la dépendance financière ; entreront dans le tourbillon de l’endettement la Colombie, le Chili, le Pérou, l’Argentine, le Mexique et le Guatemala : tous vont emprunter sur le marché de Londres. Ce qui est caractéristique, c’est de voir que régulièrement des pays entiers sont sinistrés et ne peuvent plus rembourser leur dette qu’en paupérisant leur population. A ce moment-là les capitaux refluent vers d’autres « eldorados » et reviennent quand la situation commence à s’assainir. Ni les risques souverains, ni les cessations de paiement n’entravent l’expansion du capital qui semble même ainsi se régénérer de crise en crise. Rosa Luxemburg à son époque avait très bien compris comment fonctionnait le système :

« Entre 1870 et 1875, écrit-elle, les emprunts furent contractés à Londres pour une valeur de 260 millions de livres sterling, ce qui entraîna immédiatement une croissance rapide des exportations de marchandises anglaises dans les pays d’outre-mer. Bien que ces pays fissent périodiquement faillite, le capital continua à y affluer en masse. A la fin des années 1870, certains pays avaient partiellement ou complètement suspendu le paiement des intérêts : la Turquie, l’Egypte, la Grèce, la Bolivie, le Costa-Rica, l’Equateur, le Honduras, le Mexique, le Paraguay, Saint-Domingue, le Pérou, l’Uruguay, le Venezuela. Cependant, dès la fin des années 1880, la fièvre des prêts aux Etats d’outre-mer reprenait... »

(L’Accumulation du capital, éd. Maspero, p. 95 ; voir aussi page 72.)

La dette du tiers monde : 1970-1990

A la fin des années 1960, il était visible qu’un processus de modification de la dette du tiers monde allait s’engager. En effet de plus en plus de prêts bancaires privés inonderont le tiers monde. Selon l’OCDE, entre 1970 et 1977, l’endettement extérieur des PED est passé de 72,2 à 244 milliards de dollars. La Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED) (3) indiquera que 72 % des emprunts bancaires provenaient de crédits privés alors que ceux-ci ne représentétaient que 51 % de ces emprunts en 1967. Il s’agissait alors de relancer la croissance pour contrer la plus grande dépression d’après la seconde guerre mondiale. En effet le système de financement international, gorgé de capitaux en jachère, ne trouvait plus de débouchés rentables dans les pays dits industrialisés. Dès les années 1970 il y aura une saturation progressive des capacités productives mondiales (4).

La dette et le remodelage de la division internationale du travail

Une nouvelle tentative de reproduction élargie par l’explosion de prêts internationaux va s’opérer. La fièvre de l’exportation des capitaux s’empare des places financières de Panama, Bahrein, Abu Dabi, Hong Kong, Singapour... dans le même sillage que celui décrit par Rosa Luxemburg, mais à un niveau supérieur de développement des forces productives. Les intermédiaires financiers exportent leurs capitaux pour que les PED et les PMA s’industrialisent en achetant du matériel produit dans les pays du centre, et deviennent dépendants de cette industrialisation exportée et de son mode de consommation. Leur décollage va se faire avec des machines et matériels dernier cri, ce qui relativise beaucoup l’idée que les délocalisations sont essentiellement motivées par le coût du travail.

L’industrialisation des PED se limite toujours en grande partie à l’industrie manufacturière, le transfert de technologie sera lent, son principal objectif visera le remboursement des dettes :

« La Banque mondiale signale en outre qu’au cours des dernières années, la Malaisie, la Colombie, la Turquie et la Thaïlande ont considérablement augmenté leurs exportations de produits manufacturés. Or si l’on compare le tableau des nations auxquelles revient une part importante de la dette envers des sources de financement privées, au tableau des pays qui produisent et exportent des produits manufacturés, on constate qu’il s’agit, sauf exception, des mêmes pays. On peut donc en déduire qu’il existe une relation essentielle entre la dette extérieure et la nouvelle division du travail souhaitée par les grandes banques. »

(Samuel Lichtensztejn et José M. Quijano, La Dette des pays sous-développés et le rôle des banques privées internationales, éd. Publisud, 1982)

La dette du tiers monde a révélé qu’il n’était plus possible pour les banques d’accorder des prêts avec comme seul objectif que le tiers monde consomme les productions industrielles de l’OCDE. Le terme de l’échange étant inégal et le coût du matériel importé toujours croissant il était devenu patent que de nombreux pays ne pouvaient plus honorer leur dette, on parla même d’annuler (5) la dette du tiers monde.

La période où les prêts servaient à subventionner les importations commençait à toucher le fond. Le financement du développement du tiers monde va se muter en financement des déficits. C’est à ce moment qu’un remodelage du paiement de la dette fut basé sur l’exploitation pure et simple des forces de travail du tiers monde. Les banques et multinationales y voyaient leurs intérêts, les bourgeoisies compradores aussi en faisant entrer des devises pour payer le service de la dette. L’époque des délocalisations du centre vers la périphérie avait commencé :

« D’après les banquiers les plus importants, les pays du centre conserveraient dans l’avenir leur monopole sur les industries de haut rendement qui exigent des technologies sophistiquées tandis que les pays du tiers monde les plus avancés se lanceraient dans les industries ou les usines de montages qui requièrent beaucoup de main-d’œuvre. L’axe nord-sud des circuits commerciaux ne serait plus consacré uniquement à l’échange de produits manufacturés contre matières premières ; le commerce de marchandises diversifiées prendrait la première place. »

(Samuel Lichtensztejn et José M. Quijano, op. cit.)

Aussi dès l’an 2000 les PED produisaient près du quart de la production manufacturière mondiale. Alors qu’en 1970 les quatre cinquièmes de la production manufacturière mondiale étaient encore concentrés dans les pays du centre (Europe occidentale, Amérique du nord, Océanie et Japon).

L’impact des chocs pétroliers sur les pays en développement et les pays les moins avancés

On accorde généralement trop peu d’attention à ce que furent véritablement les chocs pétroliers et leurs conséquences. Nous allons donc résumer la situation en mettant l’accent sur ce qui nous semble essentiel. Pour les PED et PMA, l’impact de l’augmentation du prix du brut (+ 400 %) fut dévastatrice, ces pays sans ressources pétrolières significatives ne disposant pas des devises suffisantes pour acheter les produits dérivés du pétrole (engrais, produits chimiques...). Le concept de « quart monde » comme nouveau classement hiérarchique du capital était né. Le bonheur des uns venait de faire le malheur des autres. Les pays de l’OPEP vont bénéficier, entre 1974 et 1980, d’un excédent de 330 milliards de dollars ; alors que le déficit commercial des pays non pétroliers, le quart monde, sera de l’ordre de 300 milliards (6) .

Après le choc pétrolier de 1973, le déficit des pays importateurs du tiers monde passe de 36,8 % à 72,7 % en 1977. L’Inde, le Bangladesh et certains pays d’Afrique noire sont dans des situations dramatiques. C’est au final l’OPEP qui servira de bailleur de fonds pour amortir la douloureuse augmentation du prix du brut. Il faut souligner que c’est par le truchement du FMI et de capitaux saoudiens que l’opération « facilité pétrolière » va se faire. Elle est censée aider les pays les plus pauvres. Mais le gros des pétrodollars, 120 milliards, sera recyclé par les banques américaines, européennes et japonaises.

Quelques années après, changement de programme : les Etats-Unis décident la déréglementation de leur marché domestique et développe le concept de « grande bassine » (7) où tous peuvent s’approvisionner en pétrole selon le cours de celui-ci.

« Le premier Executive Order signé par Ronald Reagan, en janvier 1981 déréglementait entièrement le marché pétrolier intérieur. L’idée directrice n’était plus la quête de l’indépendance énergétique mais la minimisation du coût de l’approvisionnement. L’évolution de la dépendance pétrolière serait déterminée par le libre fonctionnement du marché, c’est-à-dire par la libre concurrence entre pétrole domestique et pétrole importé. »(Ramses, éd. Dunod, 2005, p.146)

Nous savons tous ce qu’il en est advenu, une instabilité en dents de scie, mais à la hausse, du prix du pétrole. Si durant la période 2000-2003 le prix du baril se stabilise entre 22 et 28 dollars, suite à un effondrement en 1998 à 10 dollars, la période 2004-2008 sera celle de l’explosion de la demande ; les prix vont atteindre 100 dollars le baril avec un pic de 145 en 2008. Le baril est actuellement (juillet 2013) à 106,61 dollars.

1994 : la dette des pays en développement explose de nouveau

A la fin de l’année 1994, la dette des PED explose de nouveau, elle passe de 840 milliards de dollars en 1982 à 1 900 milliards de dollars. Ceci correspond à un nouvel afflux de capitaux privés qui se sont investis en Argentine, Chine, Corée du Sud, Indonésie, Malaisie, Mexique, Thaïlande. Tous sauf la Chine vont entrer en crise : 1994, troisième crise mexicaine ; 1997-1998, crise dite asiatique, qui touchera l’Indonésie, la Corée du Sud, la Thaïlande, la Malaisie ; 2001-2002, crise en Argentine.

La crise de la dette des PED n’est au final que celle du capital total et va se manifester par toute une série de dévalorisations financières (8), dont la crise argentine de 2002 mettra en exergue le risque de la dette souveraine. Ces événements seront à la base du revirement de la politique monétaire américaine et son spectaculaire gonflement du déficit. Les Etats-Unis venaient remplacer les PED ou économie émergente comme pôle débiteur des marchés financier mondiaux. L’Allemagne de l’Ouest et le Japon prenant la place de l’OPEP comme pourvoyeurs de fonds.

Depuis, la crise dite des subprimes (2007-2008) a éclaté aux Etats-Unis, centre du capitalisme mondial, et s’est étendue à l’échelle mondiale. Six années se sont écoulées et malgré des mesures en tout genre la crise est toujours là, et rien ne permet de relancer la machine. Pire encore, les peuples constatent que le sauvetage des banques par les Etats (2007-2009) a engendré la dégradation des finances publiques débouchant sur une crise de dettes souveraines dont ils sont les victimes. Nous voyons des Etats comme le Portugal, l’Irlande, l’Espagne, l’Italie prendre le chemin du défaut de paiement de la Grèce.

Les gouvernements de gauche comme de droite ne sont en place que pour faire payer leur crise aux peuples. Les plans d’austérité tombent en cascade malgré les autocritiques intéressées du FMI et du G7. Début mai, le Premier ministre portugais annonçait qu’il allait faire de sévères coupes dans les dépenses publiques (9) afin de respecter les engagements budgétaires. Pedro Passos Coelho a annoncé le report de l’âge du départ à la retraite, l’allongement du temps de travail et la réduction du nombre des fonctionnaires. L’Union européenne a aussi ses mingong (mot chinois désignant les migrants de l’intérieur) ; dans des pays comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal de nombreux sans emplois sont contraints à l’émigration : selon une organisation patronale espagnole, plus de 300 000 Espagnols ont quitté le pays depuis 2008. La crise grecque est une aubaine pour l’Allemagne qui a besoin chaque année d’un flux migratoire de 200 000 immigrés ; 30 000 Grecs ont rejoint l’Allemagne entre juin 2011 et juin 2012 et 25 000 Espagnols tous les ans.

Dans un monde de suraccumulation de capitaux et de surcapacité industrielle, il devient quasiment impossible de poursuivre les rythmes de croissance à la hausse, c’est-à-dire d’être en mesure de poursuivre une accumulation élargie. Les mesures d’austérité qui ont balayé la planète, ont bien entendu rétréci le champ d’activité de la demande mondiale au détriment de tel ou tel bloc économique ou de certaines filières industrielles, les surcapacités du secteur automobile le démontrent chaque jour (10). La dernière réunion du G7 (10 et 11 mai 2013 à Londres) a mis en relief certaines contradictions au sein de la finance mondiale. Alors que le FMI et le G20 commencent à faire leur autocritique sur les mesure d’austérité, la convocation d’un G7, par le Royaume-Uni qui en a la présidence, visait à affirmer qu’il fallait maintenir le cap de l’austérité et compter sur les banques centrales pour la relance. Autrement dit, la réunion du G7 avait pour but de contrer l’autocritique du FMI sur les dommages infligés à l’économie par la rigueur trop sévère. Pour les Britanniques la solution réside dans la création monétaire par les banques centrales, c’est-à-dire faire fonctionner la planche à billets et monétiser la dette.

Jouer sur la masse monétaire c’est la base du monétarisme, mais en arriver à créer de la monnaie de singe c’est une échappatoire qui aura des conséquences catastrophiques, comme les dévaluations compétitives l’ont montré. Le participant canadien au G7, Jim Flaherty, pourtant partisan de l’austérité, s’est tout de même interrogé sur les conséquences d’une explosion des masses monétaires : « Je comprend l’intérêt mais c’est censé rester une mesure temporaire et ne pas devenir un levier permanent sous peine d’en devoir payer les conséquences. » Cependant la boîte de Pandore est de nouveau amplement ouverte au pays du Soleil Levant. Le Japon veut doubler sa masse monétaire d’ici fin 2014, ce qui a fait chuter le yen à son plus bas niveau depuis quatre ans. De son côté, aux Etats-Unis, la Fed poursuit ses injections de monnaie dans les circuits monétaires à la cadence de 85 milliards de dollars par mois.

La guerre des monnaies revient sur le devant de la scène comme mesure protectionniste. Tous vont finir par dévaluer leur monnaie pour récupérer des parts de marché au détriment des autres. Par exemple la dévaluation de la monnaie japonaise va redonner un coup de fouet à l’exportation de Toyota, Nissan (11), Honda... au détriment des industries automobiles chinoises, allemandes et coréennes ; mais il ne faudra pas attendre beaucoup de temps pour que les lésés baissent à leur tour la valeur de leur monnaie. Chaque coup de boutoir de ce genre entraîne des restructurations et des licenciements massifs ainsi que l’augmentation de la productivité... L’Allemagne, dont la croissance se fait à l’export, a immédiatement réagi et considère qu’il y a triche ; les Américains vont dans le même sens que les Allemands et pensent qu’il est déloyal d’être concurrencé par un simple effet de change.

« On glisse de la guerre commerciale à la guerre des monnaies, qui peut être alimentée par une surenchère sans fin », déplorent-ils. De fait, si tout le monde se met à faire marcher la planche à billets, le vrai danger devient global, on redoute la formation de nouvelles bulles financières au-dessus de ces masses de capitaux flottants.

En conclusion

La doctrine Monroe, du nom du président des Etats-Unis (4 mars 1817-4 mars 1825) célèbre pour son « l’Amérique aux Américains » suivi de la reconnaissance des nouvelles républiques latino-américaines, ne fut qu’une entreprise visant pour l’Amérique du Nord à chasser l’occupant espagnol. Le wilsonnisme et son droit des peuples à disposer d’eux-même poursuivra dans le même sens, les indépendances nationales n’étant que le prélude à la pénétration du capital financier.

L’emprunt international est à ce niveau l’expression du capital total, ce capital qui déjà commence à sortir des cadres nationaux sous la forme de l’impérialisme (capital financier). Ce qui est caractéristique c’est que le système semble complètement imperméable aux crises de la dette, au risque Etat… Comme une vague, le capital financier vient sans cesse se heurter sur la falaise de l’endettement qui s’effondre, puis reprend de l’ardeur. La question qui se pose alors est de savoir pourquoi et jusqu’où un tel système peut tenir.

Dans cet article nous avons essayé de montrer comment le capital financier va de crise en crise par un mouvement en spirale, que l’exportation des capitaux n’a rien de progressiste ou d’humaniste mais ne vise que la reproduction du capital, son élargissement. Quand le profit baisse, le capital fait ses valises et cherche d’autres opportunités. La dette du tiers monde montre bien les diverses étapes ayant au final menées à la crise mondiale. Les chocs pétroliers avaient pour fonction de sauver la monnaie universelle en péril, représentée par le dollar. La stratégie américaine était que leurs rivaux européens et japonais ainsi que le tiers monde contribuent à supporter une partie de leur crise monétaire et commerciale afin d’éviter l’éclatement du système. Le cartel pétrolier anglo-américain allait utiliser les chocs pétroliers à ces fins.

Les Etats-Unis furent dans un premier temps bénéficiaires de la crise pétrolière qu’ils avaient déclenchée. Ils payent le pétrole un peu plus cher, mais l’Europe et le Japon encore plus ; quant au tiers monde, il n’existe déjà plus, et on parle de quart monde ; un quart monde principalement endetté auprès de banques américaines. Fin 1975, les deux tiers des prêts octroyés venaient de banques américaines.

Les Américains pensaient qu’ils avaient finalement sauvé le monde d’une catastrophe financière en mettant l’Europe et le Japon à contribution, en procédant à deux dévaluations du dollar pour amortir les chocs pétroliers, faisant ainsi payer les pays de l’OPEP qui devront ensuite essuyer la dette du quart monde, c’est-à-dire les créances américaines sur lui.

Les Etats Unis avaient réussi à améliorer provisoirement leur position concurrentielle sur le marché des produit manufacturés, revalorisé le brut américain (et celui de l’Alaska) tout en remettant le dollar en selle sur le marché des changes. Le cartel des sept sœurs empochait les bénéfices. Cependant l’Europe, le Japon et d’autres pays vont réagir, les uns en créant des sociétés nationales comme l’ENI italienne, les autres, de l’OPEP, cherchant à amortir la facture des dévaluations du dollar.

Cette redistribution, à coup de chocs pétroliers et de dévaluations du dollar, va transformer l’OPEP en bailleur de fonds du tiers monde et permettre ainsi aux banques privées de se retirer provisoirement d’un secteur qui ne donne plus le jus espéré (12). C’est la manne financière de l’OPEP qui va hériter des déboires des PED dont la croissance se trouve interrompue du fait de la hausse du prix du pétrole et de la chute du prix des produits primaires agricoles et miniers.

Le retournement monétariste de 1979 et la vague libérale qui va suivre vont permettre aux marchés financiers internationaux de submerger tous les systèmes de contrôle et notamment ceux des Etats sur l’économie. Ce qui veut dire que le capital financier, qui a le marché mondial comme terrain de jeu, poursuit son émancipation des carcans étatiques, via la globalisation financière. La Bourse au grand dam de feu Lénine (13) revient en force et va faire plier les rigidités du capitalisme monopoliste d’Etat tant a l’Ouest qu’à l’Est. Les capitaux sans rendement suffisant se sont tournés vers les marchés boursiers émergents à haut rendement. Dès 1980 il y aura une accélération des Investissements directs internationaux (IDI). Au début des années 1990, le développement de ce qui fut appelé « la régionalisation boursière », est passé en dix ans de 1 000 milliards de dollars de capitalisation à 2 000 milliards. En 1994 la dette des économies émergentes explosera et va être le signal d’une crise de l’endettement international notamment centré sur l’Amérique latine, chasse gardée des banques américaines.

La dette latino-américaine est vite apparue comme pouvant faire exploser le système financier international, prouvant ainsi que cette dette était celle du capital total. Tout un système de colmatage, de plan Brady et autres ne feront que reculer les échéances : la Citicorp (14) est contrainte de provisionner pour créance douteuse ce que d’autres banques ne peuvent pas faire. Le système financier international entrera finalement dans la tourmente avec la crise des subprimes et mijote depuis dans les bassines de l’Union européenne confrontée elle aussi non seulement à la dette publique, mais encore au risque Etat. Actuellement les spéculateurs misent sur le pétrole, espérant une reprise de l’économie mondiale en 2014, comme ils espéraient auparavant une poussée indéfinie des cours de l’or.

Rien de tout cela ne sera au rendez-vous ; même le FMI en doute. Par contre les surcapacités, les dépenses publiques vont se poursuivre et l’inflation va commencer à s’étendre.

Gérard Bad fin juin 2013

Au sujet de l' inflation voir sur ce blog

Bibliographie : Ramses, éd. Dunod, 2005 ; Jean-Marie Chevalier, Le Nouvel Enjeu pétrolier, éd. Calmann-Lévy, 1973 ; Samuel Lichtensztejn et José M. Quijano, La Dette des pays sous-développés et le rôle des banques privées internationales, éd. Publisud, 1982 ; Pascal Arnaud, La Dette du tiers monde, éd. La Découverte, 1984 ; Jacques Adda, La Mondialisation de l’économie, éd. La Découverte, 2012.

NOTES

(1) En anglais PIGS correspond au français porc, et le S à Spain (Espagne).

(2) L’expression « tiers monde » date du 14 août 1952, sous la plume d’Alfred Sauvy dansL’Observateur politique économique et littéraire, en référence aux deux blocs d’alors, mais aussi au Tiers Etat de la révolution française : « Car enfin ce tiers monde ignoré, exploité, méprisé comme le tiers état, veut lui aussi, être quelque chose ».

(3) Créée en 1964, la CNUCED a pour objectif d’intégrer les pays en développement dans l´économie mondiale de façon à favoriser leur essor.

(4) Le taux de chômage commençait son ascension : entre mi-1973 et mi-1975 il passe de 5 % à 9 % aux Etats Unis et de 2,5 % à 5 % dans la CEE.

(5) Quand on parle d’annulation de la dette, il s’agit surtout de réduction des dettes publiques contractées auprès d’Etats et organismes internationaux officiels. Pour la dette privée, pour un pays devenant insolvable, il y a peu de recours de la part des créanciers. D’où un marché gris où ces créances se revendent, au titre de junk bonds (obligations pourries), avec une forte décote (effets de la notation de la dette et de la prime de risque sur les taux d’emprunt).

(6) Pascal Arnaud, La Dette du tiers monde, éd. La Découverte, 1984, p 47.

(7) La formule « one great poll » est de Morris Adelman, professeur au MIT, un des principaux experts du marché pétrolier.

(8) Voir a ce sujet l’article « Crise, la fin des rafistolages » dans Echanges n° 138, p.48.

(9) Pour trouver 4,8 milliards d’euros d’ici à 2015, le gouvernement portugais veut supprimer 30 000 postes de fonctionnaires et porter l’âge du départ à la retraite à 66 ans. Le projet de budget 2013 augmente les impôts sur le revenu de 30 % en moyenne.

(10) La conséquence directe de ce marasme, c’est la sous-utilisation des usines en Europe. Dans le secteur automobile, sur cent sites de production, 58 % perdent de l’argent car ils n’utilisent pas pleinement leurs capacités. « La sous-utilisation des usines européennes a atteint un niveau critique, et les réductions de capacité annoncées à ce jour seront très probablement insuffisantes pour pallier la situation, indique Laurent Petizon, directeur général d’Alix Partner’s. Pour ajuster la production aux faibles volumes de ventes anticipés pour les années à venir, il conviendrait de réduire les capacités de 3 millions d’unités. Ce chiffre équivaut à la fermeture de dix usines de la taille du site PSA de Sochaux (316 700 voitures produites en 2012). L’étude révèle que la sous-utilisation des sites touche particulièrement la France, où 62 % des usines perdent de l’argent. » (L’Usine nouvelle [usinenouvelle.com], rendant compte d’une étude du cabinet de conseil Alix Partner’s, selon laquelle le marché automobile restera durablement déprimé, avec des surcapacités de production toujours plus criantes.)

(11) Carlos Ghosn, notamment, président de Nissan, déplore depuis de nombreux mois la vigueur du yen, « qui entrave la compétitivité des groupes japonais ».

(12) De 1978 à 1982, la dette des pays non pétroliers passe de 336 à 612 milliards de dollars et les banques vont limiter leur prêts. (Pascal Arnaud, op. cit., p73).

(13) Lénine : « En d’autres termes, l’ancien capitalisme, le capitalisme de la libre concurrence, avec ce régulateur absolument indispensable qu’était pour lui la Bourse, disparaît à jamais. Un nouveau capitalisme lui succède, qui comporte des éléments manifestes de transition, une sorte de mélange entre libre concurrence et monopole. » (L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme.)

(14) En avril 1998, Citicorp va fusionner avec Traveler Group pour devenir Citigroup.

Posté par spartacus1918 à 06:45 - Economie Politique - Commentaires [2] - Permalien [#]

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Commentaires sur Gerard Bad:L' endettement international et l'échappatoire de la planche à billet.

Posté par HSGBFM, lundi 21 octobre 2013 | Recommander | Répondre

  • La météorite de l’ hyperinflation fonce sur la planète ?
    publié le
    et arti­cle est paru sur le blog http://spar­ta­cus1918.canal­blog.com en juin 2009.
    11 juin 2009 - Alors que le Comité natio­nal des conseillers du com­merce extérieur de la France (CNCCEF ) cons­tate une amél­io­ration rapide de la situa­tion éco­no­mique, allant jusqu’à dire que la reprise prévue pour 2010 sera au rendez vous dès cet été 2009, Jacques Attali, lui, prédit une hyper­in­fla­tion et un Weimar planét­aire.
    S’il a le mérite, chif­fres à l’appui, de nous aver­tir qu’une mét­éo­rite type Weimar va frap­per la planète, sa conclu­sion consis­tant à dire que l’Union europé­enne (UE) doit encore s’endet­ter pour sortir de la dette nous laisse per­plexe. Résumons ses infor­ma­tions : la dette totale des Etats-Unis représ­entait en jan­vier 2009 500 % du PIB, alors qu’en jan­vier 2008 elle s’élevait à 350 % du PIB. Ce qui, tra­duit en dol­lars, nous amène à la somme dém­enti­elle de 54 000 mil­liards de dol­lars (une cen­trale nuclé­aire coûte 4 mil­liards d’euros.)
    Ensuite, Jacques Attali met l’accent sur la dicho­to­mie des encours des ban­ques par rap­port à leur fonds pro­pres, met­tant ainsi en exer­gue l’impor­tance du capi­tal fictif. Aussi, quand les encours se mon­tent à 84 000 mil­liards de dol­lars, les fonds pro­pres n’en représ­entent que 4 000 mil­liards, soit un ratio de 20 % alors que celui-ci ne doit jamais dép­asser 15 %.
    Les Etats-Unis ont injecté 12000 mil­liards de dol­lars pour jugu­ler la catas­tro­phe, dont 1800 mil­liards ont servi à ren­flouer les ban­ques dont les fonds pro­pres ne dép­assent pas les 1300 mil­liards. Il en rés­ulte, selon Jacques Attali, « qu’elles sont, à ce point, tech­ni­que­ment en faillite ».
    Jacques Attali indi­que que pour lui le fac­teur aggra­vant de la crise pro­vient du fait que les ban­ques cen­tra­les finan­cent direc­te­ment des entre­pri­ses en dif­fi­cultés, ce qui revient à créer les condi­tions du pire. Ceci pour­rait expli­quer en partie « l’effet Viagra » d’une reprise immi­nente pro­nos­ti­quée par le CNCCEF.
    Ensuite, Attali aborde la ques­tion du finan­ce­ment de l’éco­nomie mon­diale. Celle-ci se débat dans une crise de sur­pro­duc­tion dont nous ne voyons pour l’ins­tant que la pointe de l’ice­berg, mais déjà des colos­ses comme GM sont natio­na­lisés. Attali semble vou­loir relan­cer le système en injec­tant des mil­liards et des mil­liards de dol­lars dans l’éco­nomie-monde.
    100 000 mil­liards de dol­lars, c’est le chif­fre qu’il avance pour sauver la planète, mais il s’inter­roge : qui aujourd ’hui peut prêter ce fric ? Les mar­chés de capi­taux ? il ne faut pas y comp­ter – il ne reste plus que les Etats, mais ceux-ci devien­nent aussi sus­pects. L’éco­nom­iste amé­ricain Nouriel Roubini vient de pro­nos­ti­quer sur son blog la faillite pro­chaine de l’Angleterre.
    L’éco­nom­iste Attali en arrive fina­le­ment à dire que per­sonne ne vien­dra cra­cher au bas­si­net. Les pét­ro­mon­archies du Golfe, vic­ti­mes de la chute des cours du pét­role, se tâtent pour ache­ter les Rafales de Sarko, quant aux Chinois ils ne dis­po­sent que de 2 000 mil­liards de dol­lars. Jacques Attali ne nous pro­pose même plus la micro-finance comme fac­teur de relance. Seule sub­siste pour lui la pers­pec­tive d’une hyper­in­fla­tion.
    L’his­toire éco­no­mique du capi­ta­lisme montre que celui-ci est dual et qu’il est contra­dic­tion en actes. Voilà pour­quoi il peut passer du keynés­ian­isme au moné­tar­isme et en reve­nir à un néo-keynés­ian­isme... son prag­ma­tisme n’est plus à dém­ontrer. La bous­sole qui le dirige, encore plus actuel­le­ment qu’hier, c’est que l’argent rap­porte de l’argent comme le poi­rier des poires (l’expres­sion est de Karl Marx). Comme le capi­tal finan­cier est par­venu, au tra­vers de l’argent (de la mon­naie mar­chan­dise), à « s’auto­no­mi­ser » jusqu’à deve­nir capi­tal fictif, il ne faut pas s’étonner qu’il se déb­atte tou­jours dans sa propre sphère, celle de la cir­cu­la­tion du capi­tal, pour se sortir du marasme.
    C’est là qu’inter­vient la poli­ti­que monét­aire, qui va du res­ser­re­ment du crédit à la plan­che à billet, de l’infla­tion à la déf­lation, de la déf­lation à la refla­tion... La sphère de pro­duc­tion, celle où la richesse se crée, par le tra­vail sala­rié et l’extor­sion de la plus-value, appa­raît à cette classe capi­ta­liste comme une entrave à la réa­li­sation de ses pro­fits. Apparaissent ainsi des pré­dateurs, non seu­le­ment cde la classe prolét­aire, mais aussi du capi­ta­lisme lui-même, au sens où Marx le fai­sait remar­quer « La véri­table bar­rière de la pro­duc­tion capi­ta­liste, c’est le capi­tal lui-même » (1).
    La ques­tion de savoir si nous nous diri­geons vers une hyper­in­fla­tion géné­ralisée nous semble mal posée. D’une part parce que cette hyper­in­fla­tion existe déjà dans nombre de pays, et d’autre part parce que cette der­nière est une entrave au taux de profit. Plus le système de crédit est développé, et plus la maît­rise de l’infla­tion devient néc­ess­aire. Le moné­tar­isme des années 1980, pour cette raison, a tout fait pour jugu­ler l’infla­tion, mais elle a pris un autre chemin : celui de l’endet­te­ment géné­ralisé.
    Bien entendu l’uti­li­sa­tion de la plan­che à billet est un fac­teur qui déva­lo­rise la mon­naie. Tant que cette création de mon­naie jugule la déf­lation (chute des prix) les capi­ta­lis­tes la trouve accep­ta­ble. Mais avec les chif­fres que nous livre Jacques Attali, le système va se trou­ver dans l’impos­si­bi­lité d’emprun­ter sur les marché inter­na­tio­naux, il ne lui res­tera plus que la plan­che à billet.
    Un signe préc­urseur : le 18 mars 2009, la Federal Reserve Bank (Fed), la banque cen­trale amé­ric­aine, a annoncé sa décision de rache­ter les bons du trésor amé­ricain (dette à long terme des Etats-Unis). Autant dire que les Etats-Unis veu­lent réd­uire leur dette en se trans­for­mant en faux-mon­nayeurs. La banque cen­trale amé­ric­aine, celle de la mon­naie mon­diale, la gar­dienne de l’équi­valent uni­ver­sel, a décidé depuis le 18 mars 2009 que la garan­tie sur cette mon­naie repose sur un fond de rés­erve de cré­ances pour­ries. De plus la Fed se pro­pose même de rache­ter les dettes privées de gran­des sociétés natio­na­les en quasi-faillite, par exem­ple Général Motors.
    On ne réa­nime pas un noyé en lui fai­sant boire de l’eau.
    C ’est pour­tant ce que le monde finan­cier essaye de faire en se trans­for­mant en usine à papier-mon­naie repo­sant de plus en plus sur rien, sur aucune valeur ni aucune richesse. Ce qui fait régul­ièrement réagir les pays dét­enteurs de dol­lars, comme la Chine et la Russie, qui pro­po­sent de rem­pla­cer le dollar par une unité de compte inter­na­tio­nale du type des droits à tira­ges spéciaux. D’autres pro­po­sent le retour à l’étalon-or...
    Notre propos ici n’est évid­emment pas de donner des recet­tes pour sauver le capi­ta­lisme mais de dém­ontrer les conséqu­ences et affres de son main­tien. Il ne fait aucun doute que le trans­fert de la faillite du système finan­cier sur les Etats (la fis­ca­lité et les impôts), la « moné­ti­sation des déficits » comme ils disent, aura des rép­er­cutions catas­tro­phi­ques pour les peu­ples dont cer­tains subis­sent déjà l’hyper­in­fla­tion. Cette hyper­in­fla­tion va-t-elle, telle la gan­grène, remon­ter toute l’éco­nomie mon­diale ? Si tel était le cas, les salai­res réels per­draient du pou­voir d’achat du jour au len­de­main, les retrai­tes seraient laminées, comme lors de la crise de l’Argentine, les fonc­tion­nai­res atten­draient, comme les fonc­tion­nai­res afri­cains, d’être payés. Le chômage aug­men­te­rait et serait de moins en moins indem­nisé, ren­dant la crise sociale insup­por­ta­ble .
    G. Bad
    (1) Le Capital, III, Editions socia­les, I, p.263 ; P.II, p.1032.

    Posté par spartacus1918, jeudi 24 octobre 2013 | Recomman

Gerard Bad:L' endettement international et l'échappatoire de la planche à billet
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