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SERPENT -  LIBERTAIRE

anarchiste individualiste

L'ultra-gauche dans la tourmente révisionniste

L'ultra-gauche dans la tourmente révisionniste

L’ultra-gauche dans la tourmente révisionniste
François-Georges Lavacquerie
« J’en vis un autre qui s’efforçait de réduire la glace en poudre à canon. Il me montra aussi un traité sur la
malléabilité du feu qu’il avait l’intention de publier. »
Swift, Voyage à Laputa
IL Y A UN MALENTENDU, c’est le moins qu’on puisse dire, au sujet de la Vieille Taupe : elle se réclame de
Marx, se proclame libertaire, anti-autoritaire et partie prenante du mouvement révolutionnaire, alors qu’elle est
partout dénoncée comme une officine de propagande antisémite et néo-nazie. C’est que cette Vieille Taupe est
double : avant d’être ce qu’elle est – le quartier général en France des « révisionnistes » –, elle fut une librairie
révolutionnaire ; à ce sujet, on se reportera à l’article passionnant de La Banquise n° 2 (mars 1983) qui explique
très bien la genèse de l’embrouille et notamment les raisons de la rupture de ses rédacteurs avec Pierre Guillaume.
Celui-ci avait, en 1980, ressuscité l’enseigne Vieille Taupe, librairie dont il avait été le propriétaire entre 1965 et
1973, rééditant et diffusant bon nombre de textes révolutionnaires inaccessibles ; il fit rapidement de la Vieille
Taupe 2 une officine uniquement consacrée aux thèses révisionnistes : « On ne sait toujours pas ce que la VT
pense de la Deuxième Guerre mondiale, depuis quatre ans, il n’a été question à la VT2 que de gazage et du droit
d’en parler » (LB 2). Cette rupture, dès 1980, se fit aussi avec les gens de La Guerre sociale avec qui avait été
envisagée une activité commune et qui, dès lors, s’embarquèrent dans l’aventure révisionniste, donnant à Pierre
Guillaume les moyens de persévérer dans son délire. Toutefois, la critique de la dérive révisionniste de P.
Guillaume achoppa sur un point précis, porteur de lourdes ambiguïtés pour l’avenir : le refus de trancher la
question de l’existence des chambres à gaz et le renvoi dos à dos des « exterminationnistes » et des
« révisionnistes ».
Pour les historiens, que la Vieille Taupe appelle « exterminationnistes », elle n’est qu’une aberration particulière
de la secte révisionniste (qu’ils préfèrent appeler négationniste [1]). Les historiens qui travaillent sur la Seconde
Guerre mondiale, et plus précisément sur les camps, ont réfuté en bloc et en détail les « arguments » des
révisionnistes. Des livres fort bien faits – La Solution finale dans l’histoire d’Arno Mayer, La Destruction des
Juifs européens de Raul Hilberg, Le terrifiant secret de Walter Laqueur, Les Chambres à gaz secret d’État d’Eugen
Kogon, le terrible film de Lanzman, Shoah – ainsi que la publication des Discours secrets d’Himmler et de la
confession de Rudolf Hess ont réglé la question au fond. Pierre Vidal-Naquet, entre autres dans Un Eichmann de
papier et Les Assassins de la mémoire, a montré dans toute leur nudité les trucages, les dissimulations et les
mensonges des révisionnistes. La question est de savoir pourquoi c’est dans le milieu radical que cette question a
surgi et pourquoi il est le seul (avec l’extrême droite radicale) à avoir soutenu d’une façon militante le mythe de
l’inexistence des chambres à gaz et avoir accordé du crédit à des truqueurs avérés et des antisémites. Pourquoi
enfin, alors que la rupture avec un Guillaume ou un Guionnet est consommée, certains se cramponnent-ils encore
au « doute » ou refusent de trancher une « fausse question » qu’ils ont eux-mêmes contribué à mettre sur la place
publique ?
D’une façon générale, le révisionnisme ressort à différentes idéologies : antisémitisme nazi ou maurassien,
« antisionisme », anticommunisme, nationalisme allemand ou de divers pays de l’Est. Sa variante « libertaire » ou
ultragauche est plus rare et mal distinguée tant sa dénonciation de la démocratie et du sionisme prête facilement à
confusion. De plus, à l’exception de P. Vidal-Naquet, l’idéologie particulière de la VT est parfaitement étrangère
aux historiens classiques. Ils ne la prennent pas au sérieux, l’assimilent à une pose, à une ruse. Et s’ils jettent un
œil aux textes de la VT ou de La Guerre sociale [2] (GS), ils n’y voient qu’un fatras de références au vieux
mouvement ouvrier, à la Gemeinwesen, qu’une phraséologie hégélo-marxeuse particulièrement indigeste et
rébarbative, complètement coupée de toute réalité. Ils ne comprennent pas quel intérêt on peut porter à ces thèses
et ils ne retiennent que l’aspect de la négation du génocide et des chambres à gaz. Que la VT tire de cette négation
des conclusions anti-autoritaires ne retient pas leur attention. Ils retrouvent dans les écrits de la VT les mêmes
rengaines que chez les néo-nazis allemands ou américains : le typhus comme « explication » de la mortalité juive,
les ergotages sur le nombre de Juifs dans les territoires soviétiques, la lecture à la lettre du langage codé des nazis,
etc. Ils constatent aussi que la VT fréquente des néonazis, les soutient lors de leurs procès, diffuse leurs textes, et
que ceux-ci font de même à son égard. Ils la considèrent comme une variante secondaire du révisionnisme
classique et ne s’intéressent particulièrement à elle que parce qu’elle donne une couverture de « gauche » aux
délires antisémites des révisionnistes.
De 1965 à 1973, la Vieille Taupe fut une librairie et un centre de rencontres et d’activités qui se consacrait à ladiffusion d’une critique anticapitaliste radicale. Si, à la Vieille Taupe « première manière », quelques personnes
s’étaient intéressées aux premiers ouvrages de Rassinier [3], « l’homme de gauche, le révolutionnaire », sans
prendre garde que par la suite cet individu avait eu des fréquentations nazies et commis des livres antisémites (Le
Drame des Juifs européens, Les vrais responsables de le Seconde Guerre mondiale), il a fallu attendre l’affaire
Faurisson pour que l’on associe au révisionnisme et au négationnisme le nom d’une librairie où se rencontrait
autrefois le milieu « radical ».
On ne présente plus le Pr Faurisson. Disons simplement qu’il apporta à la VT deux choses : une « expertise »
autoproclamée sur la question des chambres à gaz et un parfum de scandale. Guillaume fut fasciné par le petit prof
lyonnais qui avait selon lui un instinct remarquable pour détecter le faux et était un grand exégète de Rassinier
dont Guillaume partageait les thèses depuis les années 70. Guillaume se hâta de nouer avec ce petit prof
« apolitique » une alliance tactique et essaya d’y entraîner ses relations. A cet effet, il reprit l’appellation Vieille
Taupe. La Vieille Taupe avait été une librairie, qui tirait une bonne part de son prestige dans le milieu
révolutionnaire des activités d’un groupe informel de « révolutionnaires ». Au nom de ce groupe informel dont ils
avaient été partie prenante à différentes époques, un certain nombre de proches de Guillaume se désolidarisèrent
de cette résurrection d’un label au profit du révisionnisme. Certains mêmes (dont S. Quadruppani) le lui firent
savoir par écrit. Guillaume répondit que la Vieille Taupe était une librairie qui lui appartenait, un point c’est tout.
D’autres parmi ses relations, principalement ceux qui étaient regroupés autour de La Guerre sociale, ne virent
dans l’affaire Faurisson et la réhabilitation de Rassinier qu’une raison contingente, une façon adroite d’ouvrir un
débat sur la Deuxième Guerre mondiale et, par le biais de la critique de l’antifascisme, de ruiner le consensus
démocratique. Impressionnés par l’habileté de Guillaume et heureux de le voir revenir à une activité politique,
c’est bien volontiers qu’il s’intéressèrent à la dernière lubie de Guillaume : la défense du petit prof lyonnais et le
réhabilitation de Rassinier ; ces bons radicaux avaient franchi le Rubicon. La VT deuxième manière apporta dans
la corbeille de mariage son label ultragauche et son réseau militant. Les intellectuels étaient piégés. Ils pouvaient
ignorer les néonazis ou l’ultragauche, mais un professeur d’université procédurier réclamant au nom de la liberté
de recherche en histoire le droit d’être entendu, c’était autre chose. Rapidement, Pierre Guillaume, le leader de la
VT, ne se consacra plus qu’à deux tâches : tout d’abord réhabiliter Rassinier, et faire admettre ses idées ; ensuite,
obtenir le droit à la parole pour Faurisson. Les activités révisionnistes furent bientôt sa seule occupation. Ses amis
se rendirent alors compte que l’activité révisionniste, qui devait être le condottiere de la critique communiste,
menait la guerre pour son propre compte et que les idées qui sous-tendaient cette démarche restaient parfaitement
ignorées, les opposants aux révisionnistes ne voyant dans la VT que le révisionnisme et la négation des chambres
à gaz.
La chose inquiéta certains radicaux mais ils ne mirent pas tout de suite en cause – ou du moins pas publiquement
– cette surprenante orientation ni la confusion qui en résultait : les commentateurs assimilaient de plus en plus la
Vieille Taupe faurissonisée avec la Vieille Taupe première manière et l’ultragauche en général. Mais à ce sujet, la
discussion faisait rage entre les membres des différents groupes et à l’intérieur de ces groupes, car l’activité
révisionniste, à l’ultragauche, se résumait à 2 % de théorie (élaborée pour l’essentiel par la Vieille Taupe et la GS)
et 98 % de conversations de bistrot et de querelles sémantiques. Les querelles et les ruptures d’amitié furent très
violentes, rappelant ce fameux dessin qui résumait si bien l’Affaire Dreyfus : une première case montrait un
paisible déjeuner familial avec cette légende : « Surtout ne parlons pas de l’affaire Dreyfus ! » ; la seconde, un
véritable champ de bataille où les convives se prenaient à la gorge sur la table renversée et en légende, cette amère
constatation : « Ils en ont parlé... » Mais pendant très longtemps, on continua de considérer les « révisos » comme
des camarades ou au moins d’anciens camarades qu’il aurait été odieux de dénoncer politiquement alors qu’ils
étaient en butte aux attaques de gens abominables. À ceci se greffa un phénomène curieux : au fur et à mesure que
des individus entraient dans cette querelle, ils faisaient leurs, peu ou prou, les analyses et les préoccupations des
révisionnistes durs. Quand, ce qui manquait rarement d’arriver, quelques mois plus tard, jugeant que les choses
allaient trop loin, ils rompaient avec eux, ils conservaient néanmoins comme un acquis telle ou telle partie du
programme à laquelle, n’ayant pas avoir voulu faire le voyage pour rien, ils s’accrochaient fort. Lorsque ensuite
ils participaient à des discussions, alors qu’ils pensaient avoir fait une critique sévère mais juste du révisionnisme,
ils s’entendaient à leur grande fureur traiter de révisionnistes ou de crypto-révisionnistes. Hurlant à la chasse aux
sorcières, ils s’empressaient de mettre leurs relations en demeure de prendre position pour eux et contre leurs
calomniateurs, ce qui entraînait inévitablement tous leurs interlocuteurs à se précipiter sur les textes incriminés et
la querelle, de mises en demeure comminatoires en ruptures fracassantes, faisait boule de neige, tant et si bien que
la querelle toucha – et parfois coula – presque tout ceux qui, d’une façon ou d’une autre, appartenaient au milieu
radical. [4]
Mais au fait, qu’est ce qui avait bien pu amener Guillaume, et à sa suite La Guerre sociale [5], à se poser cette
tourneboulante question, et pourquoi ?SELON UN DOGME répandu en milieu radical, tous les pouvoirs se valent et il n’y a pas plus de différences
entre le fascisme et les démocraties qu’il n’y en avait en 1914 entre la France de Clemenceau et l’Allemagne du
Kaiser. Un des points forts du corpus de thèses que partage l’ultragauche est certainement l’analyse que firent de
la Première Guerre mondiale les groupes issus de la gauche italienne et allemande. Ce grand ébranlement du
siècle porte en germe l’instauration des régimes fasciste, stalinien et nazi et la Deuxième Guerre mondiale, la
grande leçon en était le rôle de chiens de garde joué par la social-démocratie, et le danger des idéologies
bellicistes qui amènent le prolétariat à se ranger derrière sa bourgeoisie dans de mortelles croisades au nom de « la
lutte de la civilisation contre la barbarie ».
Sous ses faux prétextes nationalistes, la guerre cachait sa vraie nature : la résolution des contradictions du
capitalisme par la destruction des moyens de production ; le massacre du prolétariat comme antidote à la
révolution. Par ailleurs, l’écrasement de la révolution allemande en 1919 par la social-démocratie, la liquidation
de la révolution espagnole par les staliniens et les républicains, sans parler des guerres coloniales, montraient que
les démocrates n’avaient rien à envier aux fascistes ou aux staliniens. Enfin l’analyse des rapports de classes
montrait que, sous les rodomontades nationales-socialistes, dans l’Allemagne nazie, le capital exerçait un pouvoir
dictatorial sur le prolétariat. De toutes ces observations très justes, bon nombre de révolutionnaires de l’entre-deux
guerres tirèrent la conclusion que l’on se retrouvait dans le même cas de figure que lors de la Première Guerre
mondiale et que tous les pouvoirs se valaient. Héritière de ces courants, l’ultragauche analysa le fascisme comme
une manœuvre de la bourgeoisie pour soumettre le prolétariat et dénonça l’antifascisme comme une tentative de
détourner l’attention des prolétaires de l’antagonisme fondamental qui oppose prolétariat et bourgeoisie, mais elle
le dénonça sans arriver à le dépasser faute d’une analyse suffisante de la nature du fascisme et surtout du nazisme
et sans percevoir l’originalité de ce dernier.
Dans la foulée de la Première Guerre mondiale, une gigantesque vague révolutionnaire avait balayé la vieille
Europe, mais, dès 1923, elle avait été partout vaincue sauf en Russie – où elle avait été confisquée par les
bolcheviques – et dans tous les pays ayant connu des tentatives de révolution, des régimes autoritaires, appuyés
sur l’armée avaient écrasé le prolétariat. En dépit de leurs proclamations idéologiques, toutes ces dictatures,
expression apparente de la petite bourgeoisie, avaient donné le pouvoir à la bourgeoisie. Pour l’ultragauche, il
s’agissait simplement de régimes autoritaires, leurs différences apparentes n’étaient que folklore sans
conséquences, leur dénonciation par les démocraties, qu’une resucée du bourrage de crânes de la Première Guerre
mondiale.
LA MÊME ANALYSE devait donc s’appliquer au fascisme italien et à l’Allemagne nazie. Seulement, dans ce
dernier cas, il y avait quelque chose qui gênait un peu : l’extermination des Juifs. Chaque camp ayant sa part de
responsabilité dans le déclenchement de la guerre et les exactions contre les populations, seul le massacre raciste,
prémédité et industriel permettait de faire la différence. En fait, ce seul point différenciait les perdants – les nazis
–, des Américains, responsables du bombardement de Dresde et d’Hiroshima, des staliniens, responsables du
goulag et de Katyn ou des Français, auteurs du massacre de Sétif. Et si ça n’était qu’un grand alibi ? Voilà qui
serait pratique ! Afin de consolider leur emprise idéologique, les vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale
auraient inventé quelque chose qui les différencierait intrinsèquement des nazis [6] : l’Holocauste.
Ruiner cet argument, c’était ruiner le consensus de la guerre froide, c’était interdire aux démocraties de dire qu’en
dépit de leurs horreurs, elles étaient un moindre mal. Nos bons radicaux avaient trouvé leur œuf en or, la clé de
voûte de l’idéologie du capital sur laquelle ils appuieraient le levier de la critique communiste qui soulèverait le
monde. Car comment la démocratie se relèverait-elle du dévoilement d’un tel mensonge ? Ce dévoilement mettrait
à nu tous les pouvoirs, les ferait apparaître comme les responsables des menaces périodiques qui s’abattaient sur
les prolétaires, et ruinerait par ricochets tous les mensonges qui les empêchent de communiquer entre eux. Car il y
avait bien eu massacres, seulement, ce qu’on présentait aux prolétaires comme les nécessités de la guerre, quand
ils étaient perpétrés par les Alliés, et le résultat d’une idéologie raciste inhumaine, quand ils étaient le fait des
nazis, ne relevait que du froid calcul du capital, qui épongeait ainsi la crise de 1929. D’ailleurs, en accord avec le
dogme, les chambres à gaz qui gaspillaient la force de travail étaient incompatibles avec la nature du capital : « Le
capitalisme ne peut exécuter les hommes qu’il a condamnés s’il ne retire du profit de cette mise à mort
elle-même » (Auschwitz ou le grand alibi). C’est donc que les victimes étaient mortes d’épuisement par le travail
(comme dans les camps staliniens) ou du fait de la dégradation générale des conditions de vie en Europe dont les
prisonniers firent les frais en premier [7]. Si la révélation d’un tel secret n’amenait pas le prolétariat à rejeter le
mensonge démocratique et à renverser ce monde où nous vivons, alors il n’y avait plus qu’à tirer l’échelle.
Ce schématisme marxeux n’était cependant pas partagé par La Banquise, où l’on développait une réflexion sur la
banalité du mal. Les camps sont l’enfer d’un monde dont le supermarché est le paradis : par cette formuleramassée, les rédacteurs de La Banquise entendaient dénoncer l’hypocrisie du discours dominant, qui faisait des
démocraties – du « monde libre » – le meilleur des mondes possibles, celui qui assurait le mieux la survie
biologique des êtres humains et qui garantissait l’accès du plus grand nombre à la consommation et aux loisirs,
tout en rejetant dans un autre monde, hostile et menaçant, à la fois le totalitarisme soviétique de l’est et les
dictatures du sud et en renvoyant dans un autre temps – révolu – le nazisme. Cette diabolisation amenait à
conclure que en dépit de tous ses défauts : « la démocratie était le pire des régimes, à l’exclusion de tous les
autres ». Cette formule roublarde de Churchill permettait de faire apparaître la démocratie comme l’antithèse de la
barbarie et dédouaner le capitalisme – pardon, le libéralisme – qui seul la rend possible, des crimes des dictatures
et du totalitarisme. En fait face aux horreurs de la domination capitaliste qui contraint une bonne partie de
l’humanité à vivre dans des conditions infrahumaines, le plus souvent bien pires que ce que connaissaient ces
populations avant la domination capitaliste et la destruction de leur mode de vie traditionnel, face à la version
moutonnière et privée d’esprit du bonheur marchand proposée comme idéal indépassable de l’humanité, il est
effectivement difficile de ne pas éprouver un énorme dégoût. Cette bêtise triomphante, cette vulgarité partout
étalée, les angoisses mortifères que suscite ce mode de production, les innombrables nuisances, du nucléaire aux
vaches folles, en passant par l’amiante qu’il produit « naturellement » et surtout sa domination sans partage sont
probablement la pire des sociétés possibles, moins à cause de ce mélange de Club Méd et de génocides que de sa
prétention d’être indépassable et incritiquable sur le fond. Certes, à la différence des cauchemars d’Orwell, la
critique des détails y est possible et les opposants de principe peuvent même y jouir parfois de la liberté de dire
n’importe quoi et de l’écrire, mais il n’y a pas d’au-delà de la démocratie. Critiquer la démocratie ou l’idéologie
des droits de l’homme en voulant renverser et non améliorer cette société ne peut être que le fait de fascistes, de
staliniens ou d’obscurantistes divers. Toute critique doit être immédiatement intégrée et utilisée comme
confirmation de l’excellence du fond et nécessaire critique des détails – qui en travestissent la perfection – ou
stigmatisée comme totalitaire et folle. Mais si cette description – partagée par toute l’ultragauche – de notre
monde, comme un système clos à la fois débonnaire et féroce, est somme toute assez juste, elle ne peut justifier, ni
d’un point de vue moral, ni d’un point de vue intellectuel, le basculement qu’opérèrent certains radicaux
regroupés autour de Guillaume, lorsqu’ils prétendirent ruiner cette idéologie en ruinant ce qui leur apparaissait
comme « sa clé de voûte » : le génocide.
ÉVIDEMMENT, il fallait une certaine naïveté pour imaginer qu’on puisse situer en un point précis le mensonge
du capital – et le détruire ! – et une grande niaiserie pour penser qu’une réfutation intellectuelle amènerait la ruine
de l’idéologie et permettrait au prolétariat de communiquer. Il y avait d’ailleurs une petite contradiction dans le
fait d’accorder une telle importance à l’idéologie alors que dans les prémices du raisonnement on lui avait refusé
la capacité de jouer un rôle, même secondaire, dans la détermination de la politique d’un État. Puisque, selon ces
radicaux, dans la question des camps, l’idéologie ne jouait qu’à la marge, seule comptant l’économie qui imposait
l’exploitation de la force de travail.
Mais, analyser l’État nazi comme un simple gestionnaire du capital qui ne pouvait sortir de la logique capitaliste
d’exploitation rationnelle de la force de travail et le considérer comme un bloc – à l’image de l’État stalinien –
comme le firent les radicaux d’obédience bordiguiste, ne pouvait que rendre l’histoire de la déportation
contradictoire, absurde et irrationnelle. Mais l’absurde, la contradiction et l’irrationnel étaient la réalité même des
camps où coexistait le souci d’exploitation « minière » des détenus et la logique de l’extermination raciste
« absurde ». En cela, les camps étaient le reflet fidèle de l’État nazi. Et c’est pour ne pas avoir pris la peine
d’analyser ce dernier que les radicaux, tributaires de leurs schémas mécanistes et hyper rationalistes, écrivirent
tant de bêtises dogmatiques sur la question des camps. Tout pour l’économie, rien pour l’idéologie.
Ce quiproquo sur la nature de l’idéologie est caractéristique de certains cercles ultra-gauche héritiers du
schématisme bordiguiste : on refuse toute influence autre que marginale à l’idéologie dans les rapports de classes
et on la réintroduit dans l’Histoire – ce mouvement par lequel la nature se fait humaine – et dans le prolétariat, la
classe qui ne peut devenir elle-même qu’en se niant, l’instance suprême de l’histoire qui dissout toutes les
séparations : la classe de la conscience.
Devant la carence du prolétariat sociologique (celui qui bosse en usine), c’est donc au prolétariat ontologique
(celui qui est révolutionnaire ou qui n’est pas) de mener cette critique, c’est-à-dire au mouvement communiste, le
parti de la vérité, celui qui dit tout haut ce que le prolétariat ne sait pas qu’il pense. Pour permettre au prolétariat
de penser – et de se penser –, il fallait donc détruire l’idéologie du capital en ruinant « l’histoire officielle ». Vaste
programme. Aussi, plutôt que de le détruire point par point, on choisit de prendre un raccourci. Après quelques
hypothèses vite abandonnées (dont la réhabilitation de Néron), on choisit la question des camps. Outre
l’importance stratégique qu’on a vue, elle présentait un avantage tactique inespéré : la perspective d’une large
diffusion par le scandale qu’elle ne manquerait pas de déclencher. En effet, si, du fait du petit nombre des
révolutionnaires et de la surdité du prolétariat, les thèses de l’ultragauche sur le capitalisme, la démocratie, lecommunisme et la Gemeinwesen rencontraient peu d’échos, cette fois au moins les intellectuels ne pourraient
faire semblant d’ignorer un tel sujet et les thèses qui lui servaient de soubassement. Leur indignation et leurs
réfutations forcément contradictoires et incroyables (à la mesure du mensonge), prenant l’opinion publique à
témoin, ne manqueraient pas de faire arriver aux oreilles des prolétaires les thèses de l’ultragauche. Les réfutations
maladroites et intéressées des intellectuels finiraient pas les déconsidérer et établir la vérité qu’ils voulaient
masquer. Cette nouvelle version du wagon plombé plaisait beaucoup aux radicaux de l’époque, cette façon de
retourner contre l’ennemi ses propres armes leur paraissant le comble de la ruse et la preuve de leur redoutable
sens tactique.
C’est cette tâche stratégique que les « prolétaires » de la VT s’assignèrent. Il y avait tout de même quelque chose
de gênant dans ce raccourci : après tout puisque le mensonge était universel, pourquoi ne pas choisir un sujet dont
les radicaux étaient familiers ? Hélas ! Ni l’Espagne de 36, ni la Commune de Paris, ni l’Ukraine de Makhno
n’avaient une histoire officielle, mais des histoires officielles. Ce point aurait dû retenir l’attention des radicaux
mais ils ne surent pas, ou ne voulurent pas, le voir. D’autre part, seule la solution finale présentait une telle
accumulation de mensonges et de permanence dans le mensonge. Certes, on trouvait à toutes les époques et sur
chaque événement historique de multiples mensonges, faux témoignages, bobards, mais toujours produits à
l’usage particulier de tel ou tel parti et dénoncés au même moment, souvent au profit d’autres, par tous les autres
partis. De plus, dès que la nécessité qui les avait fait naître avait disparu, ils étaient facilement désavoués, sinon
avoués. Enfin, le mensonge portait en général sur des événements secondaires, son moyen habituel était le silence
et s’il était plus général, il visait plutôt les interprétations que les faits eux-mêmes sur lesquels grosso modo tout le
monde s’accordait à peu près.
Seul « le mensonge sur les camps » présentait ce caractère permanent, tonitruant et universel, puisque tous les
pouvoirs le défendent. Enfin il reposait moins sur des interprétations que sur des faits inventés, car ce qui prouvait
le faux c’est que les faits allégués étaient impossibles puisque contradictoires avec la nature du capital (définie par
les représentants de la classe de la conscience). Le faux ainsi fondé théoriquement, il suffisait de l’établir en
pratique, ce qui ne devait pas causer beaucoup de difficultés aux prolétaires de la VT, méprisant la spécialisation
des tâches, bonnes pour les universitaires bourgeois. Ils se firent « sans plaisir [et sans rire] historiens, juristes,
sociologues, psychologues, anthropologues et abattirent en quelques mois un travail qui aurait pris des années à
des salariés de l’Université », tant il est vrai que les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien appris. Avec
de telles méthodes et armés de leur rare sens critique, ils ne tardèrent pas à vérifier leur théorie : ils virent des faux
et des faux témoins partout et même ils ne virent plus que ça.
C’est alors que la dialectique leur joua un petit tour dont ils ne sont toujours pas revenus : elle leur fit découvrir un
mensonge universel bien particulier... Car enfin, une telle énergie dans le mensonge, une telle permanence, une
telle haine contre ceux qui veulent le dévoiler doivent bien cacher quelque chose de vital et qui est présent ici et
pas ailleurs : pourquoi ment-on sur le « génocide » juif ? Pourquoi les Juifs mentent-ils ? Si les Juifs n’ont pas été
exterminés, pourquoi se font-ils passer pour des victimes ? Pour cacher quoi ? Sinon, bien sûr, qu’ils sont les
maîtres ? Et la preuve c’est qu’ils peuvent imposer leur mensonge, car pour que tous les pouvoirs [8] qui
s’opposent sur tout le reste s’accordent sur ce point, il faut bien que ce soit une force supérieure qui s’impose à
eux. En fait, le mensonge du capital c’est de cacher son identité juive.
Certains radicaux se rendirent compte alors qu’il devait y avoir un bogue dans le programme. Ils accusèrent les
promoteurs du révisionnisme de faire de l’antisémitisme comme monsieur Jourdain faisait de la prose car, s’il n’y
avait pas eu génocide juif, il fallait bien en conclure qu’il y avait eu mensonge et complot juifs, comme le disaient
Rassinier et les amis néonazis de la VT. La VT répondit qu’elle n’affirmait pas une chose pareille : elle se
contentait de détruire un mythe. Pour le reste, l’interprétation était libre. L’argument fut jugé un peu court et,
finalement, la plupart des bons radicaux fuirent la VT comme la peste à cause des conclusions nettement
antisémites de la chose puisque, visiblement, le thème du mensonge démocratique comme scandale ne tenait pas
la route face à celui du mensonge juif.
Et, de fait, les thèses de Faurisson et de ses amis eurent vite fait d’occuper tout le terrain « dégagé » par l’article
De l’exploitation dans les camps à l’exploitation des camps (GS n° 3) déjà très infecté par les thèses de Rassinier,
et cela notamment dans les analyses de Pierre Guillaume, pour ne pas parler du malheureux Guionnet, autrefois
excellent camarade et qui vira à l’antisémitisme le plus délirant (avec notamment une curieuse fixation sur la
circoncision).
C’était une chose de resituer les massacres commis par les nazis dans la continuité historique et de refuser de voir
derrière l’unicité ou l’originalité des moyens de ses massacres quelque chose qui en ferait un mal absolu
relativisant donc tous les autres massacres, c’en était une autre d’absoudre le nazisme en niant ou relativisant sescrimes en faisant disparaître la spécificité du massacre : son organisation industrielle et scientifique et son moyen
inédit, les chambres à gaz.
Cela, un certain nombre de radicaux surent le voir, mais beaucoup ne surent pas fixer où commençaient
exactement leurs désaccords avec la VT une fois admis qu’ils partageaient bon nombre des prémices de ses
raisonnements, de ses références et de ses préoccupations. Pourtant, non seulement le coup révisionniste n’avait
en rien fait connaître les idées de l’ultragauche, mais le désaveu du révisionnisme s’étendit aux gens et aux
groupes qui avaient voulu lancer dans le camp adverse – celui de la démocratie – une grenade qui maintenant leur
pétait dans les mains. Le comble fut atteint lorsque les bons radicaux se virent sommés par Pierre Guillaume de
s’engager pour garantir le droit au Pr Faurisson de faire reconnaître ses thèses dans l’université, l’édition, la
presse, voire la justice... au nom du respect de la démocratie, eux qui étaient entrés dans la danse pour combattre
la démocratie ! En y regardant de plus près, certains s’aperçurent que Faurisson, sur bien des points, se faisait
l’exécuteur testamentaire des nazis (La Banquise n° 2) et tenait très fort au mensonge juif, et qu’il était de surcroît
d’une rigueur sélective et truqueur à l’occasion. S’appliquant à eux-mêmes le conseil qu’ils avaient prodigué à
autrui, les signataires de la lettre à Libération « Avez-vous lu Rassinier ? » entreprirent de le lire ce qu’ils avaient
omis de faire jusqu’alors, les livres étant difficilement trouvables et Pierre Guillaume les ayant assurés que ces
livres étaient honnêtes et conformes à ce qu’on pouvait attendre d’un révolutionnaire, pacifiste, antiraciste et
antistalinien. Hélas ! Il fallut bien se rendre à l’évidence : sa réfutation des pertes juives dans Le Drame des Juifs
européens était grotesque dans ses méthodes et odieuse dans l’analyse. Quant à Les Véritables Responsables...,
« C’est trente longues citations qu’il faudrait pour donner toute la mesure du caractère platement antisémite de cet
ouvrage. » (LB n° 2). Considérant qu’ils avaient dans cette affaire travaillé pour le roi de Prusse et devant
l’impossibilité de tirer la VT et la GS de ces errances, les futurs rédacteurs de La Banquise rompirent avec
Guillaume et donnèrent leurs raisons (LB n° 2).
Mais le débat passablement houleux sur les chambres à gaz et le « Faut-il défendre Faurisson ? » continua de
déchirer l’ultragauche pendant des années. La capacité de la VT à nuire aux historiens et au consensus
démocratique, son succès dans la pratique du scandale continuaient de fasciner l’ultragauche tandis que sa
misérable réalité de secte, son activisme obsessionnel, les relents nauséabonds de ses discours et ses louches
fréquentations la dégoûtaient de plus en plus. Beaucoup ne sachant exactement où porter leurs attaques et faire la
critique de ce qui était commun entre eux et la VT, l’accusèrent de pousser le bouchon un peu trop loin. Ils
attaquèrent la mégalomanie de Guillaume, la folie antisémite d’un Guionnet (Aigle noir). Ils se rattrapèrent aux
branches en excommuniant la VT, à cause de son juridisme, de sa volonté de mener un débat démocratique, de
jouer les experts, sans jamais trancher sur le fond de la question, puis se rappelant les fréquentations honteuses de
la VT, ils se souvinrent d’une maxime, un peu courte mais qui serre bien : « Pris ensemble, pendus ensemble ! »,
et ils détalèrent.
Finalement, de ruptures en excommunications, il ne resta plus sur le terrain du révisionnisme militant [9] que la
VT, qui compensa les défections en puisant dans le vivier des amis de Faurisson. En effet, vers la fin des années
80, la VT [10] fut la seule à continuer de « travailler » à l’élaboration théorique du révisionnisme en publiant des
travaux ou en décortiquant tel ou tel document ou en ratiocinant sur tel ou tel texte ; elle constitue ce qu’on
pourrait appeler le premier cercle du révisionnisme. Relié au premier, on trouve encore une sorte de deuxième
cercle du révisionnisme rassemblant différents groupes ultragauche, le plus souvent réduits à deux ou trois
personnes faisant du « révisionnisme de seconde main », en recyclant les « travaux », parfois euphémisés, de la
VT ou de ses amis nazis pour développer leur propre critique de la démocratie ou de l’antifascisme. Le
révisionnisme étant utilisé non seulement pour son utilité stratégique, mais aussi comme un critère de radicalité
permettant de faire le tri entre les vrais révolutionnaires, indifférents aux calomnies de la bourgeoisie et de ses
suppôts (Bordiga ne disait-il pas à propos des staliniens : « Je tiens beaucoup à être appelé par ces gens-là traître,
bandit, fasciste et contre-révolutionnaire. »), de ceux, qui, infectés par l’idéologie démocratique canaient au
moment où il fallait faire preuve de détermination. Ce genre d’attitudes dérivait facilement lors des discussions
arrosées vers un révisionnisme de café du commerce particulièrement lourdingue, où le goût de choquer et de se
montrer le plus radical possible amenait certains à s’enfermer dans le rôle de l’horrible réviso antisémite et
fascisant. Le résultat de ces discussions était évidemment terrible, et figeait dans le rôle du réviso celui qui, par
vanité, refusait de se dédire. Enfin, à la périphérie de ce deuxième cercle existait une nébuleuse d’individus et de
groupes se contentant d’allusions aux thèses révisionnistes au détour d’un texte ou d’une discussion, comme si ses
thèses faisaient partie des acquis du mouvement révolutionnaire, sur lesquelles il n’y avait plus guère à revenir ; ce
révisionnisme mou et insidieux se révélant le plus difficile à combattre, car ceux qui le portaient affectaient la plus
grande indifférence aux thèses révisionnistes et refusaient donc de discuter de « points de divergence
secondaires ». Ils accusaient leurs contradicteurs de leur chercher de fausses querelles et de les entraîner sur un
terrain piégé sur lequel ils étaient décidés à ne pas entrer, tout en maintenant bien sûr « le point de détail » :
l’inexistence, ou le caractère douteux, des chambres à gaz, ce qui, « à leur grande surprise », mettait en fureurleurs contradicteurs.
A cause de la confusion entre ces différents types de révisionnisme radical, traversés par les trajectoires
individuelles, et du poids, terrible en milieu radical, des amitiés et des inimitiés, il n’y eut pas de condamnation
nette, définitive et collective du phénomène réviso avant le tract Les ennemis... (cité en annexe) et sa dénonciation
fut à l’image du révisionnisme radical, ambiguë, partielle, fluctuante et contradictoire. Toutefois, en dépit de ses
manœuvres, la VT finit par être ostracisée et le « deuxième cercle » : la GS, le Frondeur ou Guerre de classes,
jugés par la plus grande partie du milieu ultragauche infréquentables végétèrent, puis disparurent.
On verra cependant certains radicaux revenir donner un coup de main, « en solidarité contre la répression de
l’État » ou pour « affirmer le droit à la libre expression démocratique ». Cette attitude « voltairienne » est
cependant assez suspecte. Les camarades prendraient-ils la défense d’un groupe qui, parce qu’il aurait affirmé que
les nègres puent et qu’en plus ils sont très bêtes, serait en butte à la répression étatique ? Prendre la défense des
révisos, c’est dire qu’on les juge encore proches ou bien qu’il y a dans leurs thèses des choses défendables ou du
moins tolérables et faire un distinguo entre eux et les ordures du PNFE. C’est permettre à la VT de continuer son
petit jeu de trompe-couillons, car la VT se prétend toujours révolutionnaire et trouve encore quelques oreilles pour
l’écouter.
Pour la VT en effet, l’attitude révisionniste n’est qu’un sous-produit de son activité générale de critique de
l’idéologie et d’affirmation d’un point de vue communiste sur le monde. Elle se présente comme une fraction
isolée du prolétariat luttant sur le front de l’Histoire contre le mensonge capitaliste et les multiples rackets
idéologiques qui le défendent. Pour elle, idéalement, l’activité révisionniste ne devait être qu’une facette de son
activité, un raid rapide et destructeur sur le terrain de l’ennemi, et elle proclame qu’elle y renoncerait bien
volontiers... pourvu que ses idées soient admises et le « mythe » officiellement abandonné. Et plusieurs fois elle a
chanté victoire, crié : « Le mythe est mort ! », et annoncé un retour à des occupations plus classiques. Seulement
voilà, le « mythe » résiste, la victoire se fait attendre. Ses actions provocatrices, ses analyses délirantes et ses
manipulations mensongères ont déclenché non seulement la fureur et l’anathème, mais aussi un renouveau
d’enquêtes, de travaux universitaires et (ironie de l’histoire) un réel travail de révision de l’histoire qui a mis à
terre son château de cartes [11].
La VT a été obligée de redoubler d’activité pour colmater les brèches, critiquer de plus en plus de témoignages, de
travaux, et reprendre sans cesse son travail de Sisyphe. « Les prolétaires de la VT » ont dû, les forces manquant
dans leur milieu naturel, nouer des « alliances tactiques » avec des gens situés politiquement à leurs antipodes,
comme avait dû s’y résoudre Rassinier : les néonazis du PNFE, de la Librairie française ou d’Ogmios. Ceux qui
n’étaient pour eux, au départ, que des alliés de circonstance auxquels ils reconnaissaient volontiers tous les défauts
du monde, sauf que, sur un point précis – et peut-être pour des raisons odieuses aux prolétaires –, ils défendent la
vérité, devinrent des alliés puis des amis [12]. Et les prolétaires de la VT de se tourner vers leur milieu d’origine,
l’ultragauche, pour lui reprocher d’avoir, par manque de courage, déserté le front et de laisser, si la VT n’était pas
là, le monopole de la vérité en histoire aux néonazis. La VT ne manque pas de rappeler d’ailleurs que,
conformément à l’orthodoxie ultragauche, toutes les idéologies se valent et sont également ennemies et que leur
reprocher de fréquenter (uniquement pour des raisons tactiques, précise-t-elle benoîtement) des néonazis, c’est
faire de la démagogie gauchiste, voire, péché suprême en milieu radical, de l’antifascisme... D’ailleurs,
explique-t-elle, puisque le génocide n’a pas eu lieu, les nazis ne sont pas pires que les Américains ou les staliniens.
De plus, c’est une idéologie vaincue. Alors que leurs adversaires, eux – l’impérialisme américain, le sionisme et
les démocraties –, qui couvrent de boue les révisionnistes mais aussi à chaque occasion le mouvement
révolutionnaire, sont toujours au pouvoir (la liste contenait encore il y a peu le stalinisme, mais depuis il a fait
défaut). Les bons radicaux opinent du chef.
La VT rappelle par ailleurs tout ce qu’elle a encore de commun avec l’ultragauche et le soutien que beaucoup il y
a quelques années lui ont accordé [13], les analyses qu’ils partagent encore (sur la nécessité d’une révolution
communiste ou la dénonciation de la démocratie) et combien les historiens « exterminationnistes » devraient être
odieux à tout radical : ne sont-ils pas des universitaires, des journalistes ? Ne défendent-ils pas toujours la
démocratie, l’État et « l’histoire officielle » ? Ne sont-ils pas, horrosco referens, antifascistes et pour la plupart
prosionistes ? Les radicaux jurent leurs grands dieux qu’ils n’ont rien à voir avec de tels gens, qui leur semblent
aussi odieux que les folkloriques nazis – et bien plus dangereux.
La VT évoque le climat de lynchage et de chasse aux sorcières qui entoure son activité et qui vise autant, dit-elle,
son activité révisionniste que sa position de classe. D’ailleurs, une telle virulence de la part de gens attachés à
défendre tous les pouvoirs ne prouve-t-elle pas que la VT dérange ? Une telle unanimité de tous les rackets
idéologiques contre elle ne plaide-t-elle pas en sa faveur ? Nos bons révolutionnaires sont troublés. Ils n’ont certespas envie de faire chorus avec les universitaires bourgeois et les antifascistes contre d’anciens camarades avec qui
ils conservent parfois des liens d’amitié. « Tout de même, ces fréquentations avec des fascistes ? – N’avez-vous
pas vous-mêmes fréquenté des universitaires ou des gauchistes ? », et cet argument, qui ferait rire partout ailleurs
qu’à l’ultragauche, remet la balle au centre : un point partout.
C’EST QUE LA CRITIQUE de la VT en tant que secte d’ultragauche décomposée n’a pas été menée jusqu’au
bout. Certes, il est loin le temps où la VT pouvait, à l’occasion d’une démonstration de consensus civique, comme
la manif Copernic en 1980, faire diffuser un tract d’inspiration faurissonienne à tout un cartel de groupes
ultragauches en mal d’unité tactique. Et la plupart des gens qui animaient ces courants ont rompu avec Pierre
Guillaume, décidément trop délirant. Certains même (cf. La Banquise) ont expliqué publiquement les raisons de
leur rupture mais la plupart ont quitté ce terrain en catimini, jurant, mais un peu tard, qu’on ne les y prendrait plus.
Pourtant, par commodité, et pour éviter de déchirantes remises en cause, certains ont longtemps regardé comme
un « acquis » le « doute » sur les chambres à gaz. Ils reconnaîtront certes volontiers qu’il y a eu un massacre des
Juifs et qu’il était voulu, concéderont même que les nazis ont essayé de dissimuler le crime, mais c’est déjà
beaucoup pour eux. Ils s’arrêtent là et attendent les félicitations. Mais félicite-t-on quelqu’un qui a entendu un
coup de tonnerre de l’acuité de son ouïe ? Et puis, sur la question des chambres à gaz, ils pilent. Ils ne parlent plus
de mensonge ni de mythe, mais ils tiennent pour le doute. Ils ne savent pas... Il faudrait vérifier les sources, savoir
l’allemand, il faut se méfier de « l’histoire officielle ». C’est leur dernier mot. Surprenante modestie – mais sur ce
seul sujet.
De toute façon, pour eux, les chambres à gaz n ajoutent ni ne retirent rien à la réalité du massacre et à son horreur.
C’est une question qui n’a pas d’importance. Mais dire que cette question n’a pas d’importance, c’est dire que
pour soi, elle n’a pas d’importance et que le fait que l’interlocuteur la juge importante n’a pas non plus
d’importance ni non plus le fait que tant de gens la jugent importante. On se retrouve alors en pleine
schizophrénie, car il faut à la fois affirmer que la question n’a pas d’importance et soutenir en même temps avec la
dernière énergie qu’on refuse de la trancher... puisqu’elle n’a pas d’importance. Pourtant, si elle n’a pas
d’importance, pourquoi en avoir débattu pendant tant d’années, pourquoi refuser de la trancher ? Est-ce si difficile
que ça ? Et pourtant, elle est importante, cette question. D’abord pour la compréhension du mécanisme de
l’extermination. Aucun révisionniste n’a contesté vraiment l’existence des Einzatsgruppen – dont on possède les
comptes rendus détaillés d’opération – et qui firent des centaines de milliers de morts et si l’Etat nazi a choisi
d’autres moyens, c’est parce que les fusillades de masse lui posaient trop de problèmes (les exécutants étaient
moralement détruits par cette expérience) et c’est pour cela qu’il a choisi un mode industriel moins impliquant
pour les bourreaux et plus « rentable » ; on est là au cœur de l’originalité du crime nazi. Ensuite, elle a une
importance morale écrasante, car la nier, c’est priver les victimes de leur mémoire et en faire le jouet non de leurs
bourreaux mais de leurs illusions, de leur fausse expérience, de leur fausse conscience. Quant à dire qu’elles ont
existé comme métaphore de l’horreur nazie et que c’est aussi important que si elles avaient existé « en vrai », c’est
affirmer qu’on se refuse (quand ça vous arrange) à discerner le mythe de la réalité – ou qu’on en est incapable – et
donc renoncer par-là même à toute analyse historique. Mais dans ce cas, il fallait le dire tout de suite et s’abstenir
de tout travail historique ou politique.
Elle est importante enfin car refuser de la trancher, c’est avaliser le doute et donner raison aux révisi

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